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NE PAS ÊTRE CONDITIONNÉ PAR LES ÉCHECS DE CE MONDE. (02/10/2010)

En entendant l’enseignement de Jésus sur les conditions d’accès au Royaume, les Apôtres prennent conscience qu’ils ne sont pas à la hauteur. Le sentiment douloureux de leur impuissance et le besoin impérieux d’une aide venant de Dieu lui-même, leur arrache un cri qui trahit leur angoisse - que nous partageons peut-être : « Augmente en nous la foi ! »


Ils ont compris que l’enseignement de leur Maître ne débouche sur pas une idéologie nouvelle, mais qu’il appelle à une conversion radicale, un abandon total à celui qu’ils appellent justement « Seigneur » et non « Rabbi ».


La réponse de Jésus confirme que c’est effectivement du côté de la foi que se trouve la réponse, mais il oppose à leur demande d’une augmentation quantitative, une conception déconcertante : il suffirait d’avoir la foi gros comme une minuscule graine, qui ne dépasse pas la taille d’une tête d’épingle, pour déraciner par notre seule parole un mûrier noir (sycomore) qui peut résister six siècles aux intempéries !


Autant dire que la foi n’opère pas selon l’ordre et la logique de ce monde : parler à un arbre, qui vous écoute, et qui se transplante dans un milieu de vie qui n’est pas le sien, est pour le moins inhabituel !


La foi agit certes, mais de manière totalement imprévue et imprévisible : « Le vent souffle où il veut : tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du souffle de l’Esprit » (Jn 3, 8). La seule chose que nous puissions faire, est de nous rendre disponible à l’action de ce principe de vie et d’action nouvelles : « Ce qui est né de la chair n’est que chair ; ce qui est né de l’Esprit est Esprit » (Jn 3, 6). C’est parce qu’elle nous met en relation directe avec Dieu, qu’elle permet de réaliser l’impossible.


La parabole que Jésus propose à la suite de ces paroles déconcertantes, n’est pas faite pour arranger les choses. Nous revenons dans la vie quotidienne, pour une comparaison qui touche les relations entre un maître de maison et son serviteur - littéralement : son esclave. Dans la première partie du récit, l’esclave accomplit le travail ordinairement attendu de lui : labourer ou garder les bêtes. Arrivé au domicile de son maître, celui-ci l’interpelle pour une tâche très particulière, puisqu’il s’agit de servir à table – le terme utilisé - diakonein, d’où est dérivé le terme « diacre » - désigne spécifiquement le service des tables, entendu comme service de la charité, dans le livre des Actes des Apôtres.


Certes cette besogne supplémentaire retarde l’heure du repas du serviteur ; cependant il ne s’agit pas d’un travail exigeant et lourd, comme celui dont il s’est acquitté tout au long du jour, mais plutôt d’une responsabilité honorifique, puisque ce ministère est habituellement confié à l’homme de confiance du maître - voire son fils - qu’il appelle à entrer dans son intimité. Voici donc que l’esclave change de statut et est élevé, sans qu’il sache pourquoi, au niveau d’héritier, au prix d’un léger service qui n’exige de lui aucun effort.


Cette tâche supplémentaire, anodine en apparence, ressemble étrangement à la foi pas plus grosse qu’un minuscule grain de moutarde, qui accomplit des prouesses - si du moins elle reçoit la priorité dans nos vies, c'est-à-dire si elle passe avant le manger et le boire du serviteur.


En rapprochant les deux parties de la péricope, il nous semble que Jésus veut attirer notre attention sur ce qui, au prix de peu d’effort, peut transformer complètement notre condition existentielle peu enviable, asservis comme nous le sommes à la nécessité d’un travail laborieux à répéter indéfiniment.


Il suffit de peu de choses : à savoir de prendre le temps au terme de notre journée, de nous attabler avec le Seigneur à la table de sa Parole ou de son Eucharistie, afin de redécouvrir dans la foi, que nous ne sommes pas « des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c'est un Esprit qui fait de vous des fils ; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l'appelant : "Abba !" C'est donc l'Esprit Saint lui-même qui affirme à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers ; héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire » (Rm 8, 15-17).


La référence à la nécessité de la souffrance a de quoi nous inquiéter ; mais notre foi ne devrait pas être conditionnée par les échecs en ce monde ; ceux-ci sont même salutaires pour nous conduire à incarner notre confiance dans une attitude d’abandon toujours plus radicale, car « le juste vivra par sa fidélité » (1ère lect.), c'est-à-dire par une foi éprouvée.


C’est précisément pour qu’il puisse tenir bon « jusqu’au temps fixé », que saint Paul invite son « fils bien-aimé » Timothée à « réveiller en lui le don de Dieu qu’il a reçu par l’imposition des mains de l’Apôtre » (1ère lect.) : la foi est en effet participation à « la force de Dieu » dans l’Esprit « d’amour et de raison », qui veut nous saisir dans toutes les dimensions de notre être pour nous rendre capables de devenir des diaconoi, serviteurs de la charité - c'est-à-dire des serviteurs de l’Evangile, dont nous sommes établis « dépositaires » comme nous le rappelle encore saint Paul.
Dans l’attente de l’intervention ultime de Dieu et du retour en gloire du Christ, c’est encore la petite graine de la foi qui nous permet de confesser que la venue du Seigneur ne fait aucun doute : sa promesse « se réalisera, mais seulement au temps fixé. Elle viendra certainement, à son heure » (Ibid.).


Il ne nous appartient pas de savoir ni le jour ni l’heure où la lumière de Pâques viendra dissiper la ténèbres du vendredi saint qui étend son voile de mort sur notre terre (Mt 25, 13). C’est pourquoi nous poursuivons notre route dans la certitude de foi que la promesse « tend vers son accomplissement et qu’elle ne décevra pas » (Ibid.).



« Seigneur, "réveille en nous le don" que tu nous as fait au jour de notre baptême. "Augmente notre foi" ; ou plutôt : vivifie-la par une nouvelle effusion de l’Esprit de charité, afin que nous ayons la force de déraciner tous nos doutes et de "vivre par notre fidélité », allant au-devant de toi "en te rendant grâce et en t’acclamant par nos hymnes de fête" » (Ps 94).



Père Joseph-Marie.

18:33 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |