La gratuité attire spontanément la méfiance. (30/07/2011)
L’amour de Dieu est gratuit. Nous le savons, mais cela est sans doute une des choses les plus difficiles à concevoir pour nos esprits qui ne connaissent que les lois de nos commerces. La gratuité attire spontanément la méfiance. « Venez acheter et consommer » est un langage qui nous parle ; « sans argent et sans rien payer », là c’est une autre histoire. Cela paraît louche. Ou bien la qualité de la marchandise est mauvaise, ou bien il y a une contrepartie cachée. Nous restons sur nos gardes !
Cette gratuité est pourtant des plus douces, parce qu’elle exprime la solidarité de Dieu avec nous et parce qu’elle illustre la profusion de son amour pour nous. Notre Dieu scelle une Alliance éternelle, par laquelle il se rend présent et solidaire de nous. Si bien que saint Paul peut déclarer avec assurance : « qui nous séparera de l’amour du Christ ? La détresse ? La persécution ? La faim ? (�) rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu ». Désormais le Christ habite chacune de nos expériences humaines. Il est, pour toujours, l’Emmanuel, Dieu avec nous. Le Christ habite notre faim et, dans sa compassion, la partage.
La multiplication a lieu « dans un lieu désert », c’est-à-dire dans un lieu inhabitable. Jésus est au désert, mais cette fois, il n’y est plus seul, il est avec la foule et sa faim. La multiplication a lieu alors qu’« il se fait tard », c’est-à-dire à l’heure où la vie décline. C’est l’heure de la prière des disciples d’Emmaüs, le moment de la fraction du pain. Dans cette multiplication des pains, la plénitude du symbole eucharistique est ainsi convoquée. Elle rappelle la Pâque, le pain de vie et le sacrifice de l’Agneau pascal. Avec la première lecture, nous comprenons qu’elle rappelle aussi le Création, la libéralité divine et sa bonté inépuisable. Dieu crée en abondance, il donne la vie en abondance, et nous montre ainsi qu’il ne connaît qu’une arithmétique : celle de la multiplication qui naît de la fraction : « rompant les pains, il les donna à ses disciples ». La générosité créatrice s’opère dans la fraction pascale, la générosité de Dieu nait de sa pauvreté.
Le signe des pains partagés ne peut donc pas être lu comme une manifestation de la puissance de Dieu, sollicitée pour produire une quantité de nourriture démesurée. Il montre au contraire la manière humble et pauvre d’utiliser des ressources infimes et très insuffisantes. Tel est l’enseignement pour les disciples, invités à renoncer au reflexe commercial pour offrir ce que Dieu seul peut donner. Notre Dieu est ainsi : il donne, tout simplement. Il n’y a rien à acheter chez lui, surtout pas son amour et sa grâce. Il n’y a rien à gagner non plus. On ne gagne pas son ciel comme un ouvrier gagne son salaire. On ne gagne pas non plus son salut comme on gagne le lot d’une tombola. Dieu donne, gratuitement, sans mérite de notre part, sans arbitraire de sa part, en partageant pauvrement le peu que nous avons à lui offrir.
Une épreuve reste encore à franchir. Quand on a entendu cette nouvelle extraordinaire de la gratuité de l’amour de Dieu, il est encore possible de le mépriser. Aussi Isaïe nous éloigne-t-il de ces débats en mettant en lumière le manque qui nous habite, la soif que nous éprouvons, et que Dieu vient combler : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! ». Nous avons soif de l’amour de Dieu, nous avons faim de sa miséricorde. Voilà pourquoi nous sommes irrésistiblement attirés par lui. Aussi devons-nous être attentifs à sa parole : « Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez ». Voilà où est notre erreur ! L’organe qui assure notre survie n’est pas l’estomac, mais l’oreille. Nous ouvrons tout grands nos yeux pour ne pas perdre une miette du pain circulant parmi 5 000 hommes, sans compter les femmes et les enfants, mais l’évangéliste préfère que nous ouvrions nos oreilles. Elles ouvrent la voie de l’obéissance et de la filiation, elles nous rapprochent de Dieu et nous donnent d’accueillir le Verbe.
Du coup, voici notre oreille débarrassée des considérations tout humaines, de nos dividendes et des calculs à court terme, qui nous faisaient lire l’évangile comme celui de la « multiplication des pains ». Il nous apparaît alors que ce mot de « multiplication » n’est jamais prononcé. Nous assistons seulement à une bénédiction et un partage.
La lenteur de l’action montre l’importance de la préparation. Il faut prendre le temps de s’asseoir. De prendre les cinq pains et les deux poissons. Ce n’est pas grand-chose, certes, au vu de la quantité qui serait nécessaire. Mais c’est tout ce que nous avons. L’essentiel est là. Ne rien retenir. Donner sans compter et sans faire de réserve. Au risque de tout perdre. Au risque de se perdre. Lever les yeux au ciel, rendre grâce car ce que nous donnons vient de Dieu. Bénir le ciel qui fait de nous des pauvres et nous donne toujours assez. Cinq pains et deux poissons, c’est bien assez pour qui utilise le don de Dieu au service du Royaume. Dans le rythme lent de l’été, pensons à chacun des petits actes de nos quotidiens, accompagnés d’une parole. La parole de notre prière. La parole de Dieu sur nos lèvres. C’est elle qui nourrit. C’est elle qui opère le miracle.
Elle, et nous. Le Seigneur désigne en effet le chaînon manquant : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Nous avons à rompre le pain et à partager. Le repas extraordinaire, en lui-même, occupe peu l’attention de saint Matthieu. « Tous mangèrent à leur faim ». L’évangile oriente plutôt nos regards sur Jésus, faisant avec nous chacun des préparatifs méticuleux de notre piété. Il les féconde de sa Parole. Mais s’ils portent du fruit, s’il se passe quelque chose, c’est parce que, dans la foi, nous agissons conformément à cette parole. C’est le pas que Jésus demande aujourd’hui à ses disciples : quand on a tout donné, ne pas attendre la multiplication des pains, mais oser partager encore, comme si le panier n’allait jamais se vider.
Frère Dominique.
20:00 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |