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GRANDE MOBILISATION ANTI-CPE. (04/04/2006)

«On ne fait pas facilement rentrer la rivière dans son lit après de tels événements.» C’est par une formule imagée que Jérôme Fourquet, directeur d’étude à l’Ifop, illustre l’état actuel de l’opinion. Le gros de la mobilisation est peut-être passé. La phase d’accalmie possiblement en vue. Mais la contestation a été si massive et si longue qu’elle laisse encore des traces.

Les observateurs de l’opinion publique partagent le même constat : la parole présidentielle et le changement annoncé d’interlocuteur n’ont pas désarmé les anti-CPE. « Au mieux, cela a permis d’amorcer la fin de la phase de durcissement. Mais pas encore celle de la décrue », affirme Brice Teinturier, du département opinion de la Sofres. Voilà qui explique pourquoi, même si les grèves et les perturbations se sont avérées moins nombreuses mardi 4 avril, les cortèges sont, eux, restés très fournis à travers la France.

Droite et gauche, d’ailleurs, partagent le même diagnostic. « Les dernières enquêtes ne montrent aucunement une démobilisation du mouvement. Bien au contraire », assure ainsi Gérard Le Gall, le « Monsieur sondage » du Parti socialiste depuis des lustres. « Il est indéniable que cela demeure très fort », renchérit Manuel Aeschlimann, conseiller de Nicolas Sarkozy chargé de suivre l’opinion. Pour le député UMP des Hauts-de-Seine, « il était même logique que la mobilisation continue mardi, puisque les annonces faites jusqu’à présent par les plus hautes autorités manquent de précision ».

La perspective d’une victoire

Pour les «sondologues», c’est aussi la perspective d’une victoire, construite au fil des manifestations, qui a permis au mouvement de grossir sur la durée et de tenir mardi encore. « Les syndicats avaient cette fois le rapport de force en leur faveur alors que ce n’était plus arrivé depuis longtemps », souligne Jérôme Fourquet. « Beaucoup de mouvements avaient échoué ces dernières années, l’idée que cette fois cela pouvait changer à condition de maintenir la pression a certainement contribué à l’ampleur des cortèges d’hier (mardi, NDLR) », reprend Gérard Le Gall. Sans compter, ajoute Manuel Aeschlimann, « que beaucoup d’anti-CPE ont choisi cette manifestation pour fêter ce qu’ils considèrent comme le début d’une victoire ».

Du côté des parents d’élèves, on sent monter, en revanche, un sentiment d’impatience. La fédération Peep de Paris s’apprête ainsi à déposer un référé devant le tribunal administratif pour obtenir la réouverture des établissements bloqués. Corinne Tapiero, sa présidente, dénonce en particulier la situation intenable de plusieurs cités scolaires comprenant lycée et collège. « Chaque matin, les parents ne savent pas si leurs jeunes enfants vont ou non être accueillis. Alors même que l’on renforce la responsabilité parentale en matière d’absentéisme, cette situation est inadmissible. » En début de semaine, les associations de parents d’élèves ont réussi, fait rarissime, à se quereller sur la question.

La Peep accuse, sans la nommer, la première organisation, la FCPE, de soutenir les blocages et l’absentéisme. Sur le terrain, une certaine usure face à une situation qui dure devrait pourtant atténuer ces oppositions. Ainsi, à Clermont-Ferrand, les parents des deux fédérations élus au conseil d’administration du lycée Jeanne-d’Arc ont signé un texte commun appelant les élèves à reprendre les cours jeudi. « La situation est catastrophique surtout pour les élèves les plus fragiles, explique André Fermis, délégué Peep. On parle beaucoup des examens mais on oublie toutes les décisions d’orientation qui devraient se faire actuellement. »

155 établissements bloqués

Martin est élève en première au Lycée Jules-Vernes de Nantes où, la semaine dernière, les parents d’élèves se sont accrochés. « ça fait deux semaines que je n’ai plus cours. Je n’ai reçu aucune consigne de mes professeurs pour réviser chez moi », raconte, perplexe, l’élève qui doit passer les épreuves de français du baccalauréat. Martin a participé régulièrement aux assemblées générales de son lycée. Mardi 4 avril, il a voté pour la reprise des cours. « La proportion des partisans de la fin de la grève ne cesse d’augmenter et j’espère qu’ils vont l’emporter », témoignait mardi le lycéen. Le ministre de l’éducation nationale s’est félicité mardi du nombre en baisse de lycées bloqués, soit 155 établissements bloqués (sur un total 4 330) contre plus de 300 une semaine auparavant.

Sur le plan politique, la force des manifestations s’est aussi nourrie de l’effondrement de la popularité du premier ministre. « Dans nos enquêtes, Dominique de Villepin a perdu en deux mois 15 points de popularité, note Jérôme Fourquet. C’est plus que Raffarin sur les retraites ou après la canicule. C’est même plus qu’Alain Juppé durant les grèves de 1995 et pourtant c’est un conflit dont on se souvient encore. » Pour les politiques, voilà une leçon à retenir. « On voit qu’une réforme, quelle qu’elle soit, ne peut pas se faire dans notre pays sans concertation préalable. Et qu’en cas de conflit, il est dangereux de tenter le passage en force ou de parier sur le pourrissement car l’opinion bascule le plus souvent du côté des manifestants », assure le « Monsieur opinion » de l’UMP.

Brice Teinturier, de l’Ifop, lance le même avertissement : « Tout cela montre que bien que la société d’aujourd’hui n’est pas moins combative ou plus résignée qu’auparavant. Après le référendum sur l’Europe, le CPE… à défaut de savoir vraiment ce qu’elle veut, l’opinion sait très bien ce qu’elle ne veut pas. » Reste maintenant à voir si la forte mobilisation de mardi était un baroud d’honneur ou le signe d’une possible continuation du mouvement. Et là, les observateurs s’accordent plutôt à prédire un fléchissement au moment où s’ouvrira la phase de discussions entre parlementaires et syndicats. Les étudiants et les lycéens pensent évidemment à leurs examens qui approchent. La CFDT et la CGT vont également entrer dans la préparation de leur congrès interne. Autant d’éléments qui pourraient nourrir l’aspiration à un retour à la normale dans le camp des anti-CPE.

"Ne jouons pas ce petit jeu"

Dans l’immédiat, les spécialistes de l’opinion font donc plutôt le pari d’une décrue des manifestations. Une phase temporaire avant la vraie sortie de crise. « Une fois la pression retombée et les discussions engagées, je ne pense pas que les syndicats parviennent à recréer une telle mobilisation », pronostique Manuel Aeschlimann. Mais ce proche de Nicolas Sarkozy assure dans le même temps «qu’il serait très dangereux de ne pas tenir les promesses faites en comptant sur un manque de vigilance des manifestants. Ne jouons pas ce petit jeu».

Il est vrai qu’au fil des jours le besoin de pacifier le terrain se fait grandissant. Dans les facultés, la situation ne devrait, toutefois, pas connaître de changement majeur d’ici à la fin de la semaine. Sur de nombreux campus, les étudiants ne votent qu’une fois par semaine, comme à Tours, le lundi. Marie, étudiante parisienne à Jussieu, rappelle aussi qu’entre le vote et la réouverture effective, une semaine sera nécessaire à la remise en état des locaux. Dans les rangs des responsables universitaires, les voix se multiplient pour appeler les étudiants à sauver leur année d’études.

Le président de l’université de Nantes, qui avait appelé au mois de mars le gouvernement à suspendre le contrat première embauche (CPE), a demandé mardi aux étudiants de « reprendre une activité normale à compter du mercredi 5 avril ». François Resche explique dans un courrier adressé à chaque étudiant que les blocus pénalisent principalement les plus fragiles économiquement. « Au-delà des individus, l’institution elle-même – l’université publique – se trouve mise en péril », assure le président de l’université. Dans les facultés qui en sont à huit semaines de grève, tous les cours ne pourront être rattrapés. L’organisation de l’ensemble des examens avant l’été n’est désormais plus garantie.

Mathieu CASTAGNET et Bernard GORCE

( source: La Croix ).

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Des manifestants aussi nombreux que le 28 mars

Entre 500 000 et 1,3 million de personnes ont défilé, mardi 4 avril, dans de nombreuses villes de France (hors Paris) contre le CPE, soit un chiffre comparable à celui du 28 mars à la même heure, selon un décompte provisoire établi dans l’après-midi par l’AFP. Lors de la dernière journée de mobilisation contre le CPE, le 28 mars, entre 521 050 (police) et 1,25 million de personnes (syndicats) avaient été comptabilisées à la même heure par les mêmes sources, sur la base de données relevées dans plus de 70 villes, hors Paris. Dans plusieurs villes de province, la mobilisation a été supérieure à celle du 28 mars : Marseille (entre 35 000 et 250 000), Bordeaux (entre 45 000 et 120 000), Nantes (entre 52 000 et 75 000)…

À Paris, selon la CGT, la manifestation a réuni environ 700 000 personnes.

Au total, à l’issue de la journée du 28 mars, entre 1 et 3 millions de manifestants, respectivement selon la police et les syndicats, avaient été comptabilisés.

Moins de grévistes dans la fonction publique d’Etat
Selon le ministère de la fonction publique, 20 % des agents de la fonction publique d’État étaient mardi en grève à la mi-journée. Soit une baisse de dix points par rapport au 28 mars à la mi-journée. Selon le Snes, dans l’éducation nationale, 42 % des enseignants étaient en grève, contre 56 % le 28 mars dernier.

De légères perturbations dans Les transports urbains
Selon l’Union des transports publics, les perturbations ont été faibles dans les transports urbains en province (sauf à Nice et Marseille), avec un trafic normal dans 80 % des réseaux et des perturbations mineures dans les 20 % de réseaux touchés. Les métros et tramways ont fonctionné dans toutes les villes (sauf la ligne 1 du métro de Marseille). La semaine dernière, l’Union des transports publics avait déjà fait part de « perturbations modérées » dans l’ensemble des villes, avec « 70 % des réseaux fonctionnant à plus de 70 % ».

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Le contrat nouvelles embauches en ligne de mire

Les deux points qui posent problème dans le contrat première embauche (CPE) – la période d’essai de deux ans et la non-motivation du licenciement – sont également présents dans le contrat nouvelles embauches (CNE), destiné aux entreprises de moins de 20 salariés. Pour certains syndicats, toute modification du CPE aura donc forcément des répercussions sur le CNE, en vigueur depuis août 2005. Le PS et le PCF ont chacun déposé une proposition de loi prévoyant l’abrogation du CPE… mais aussi du CNE. Des pancartes en ce sens ont fait leur apparition dans certains cortèges. Mais pour l’instant, les syndicats disent tous vouloir concentrer leurs efforts sur le CPE.

22:52 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |