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« L’œil est la lampe du corps » (19/08/2020)

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Dieu pose sur nous un regard d’amour qui ne juge pas et ne condamne pas. Tel est le regard de Jésus. Parce qu’il regarde l’homme avec amour, avec son cœur, son regard est capable de susciter la vie, de faire naître l’amour et de récréer l’homme.

Le regard en langage humain est l’expression la plus vivante des sentiments profonds de la personne (Cf. E. Levinas). Le regard humain s’origine dans le regard de Dieu, un regard dont la qualité est d’être éminemment poétique. Poétique selon la racine grecque du verbe créer, avec les spécifications qui s’y ajoutent : causer, faire devenir, donner la vie, inventer, imaginer, tenir grand compte de, faire avec art... La Révélation biblique est le fruit de ce premier regard, expression d’un étonnement poétique. Le regard de Dieu est saisi comme la manifestation de respect pour l’être humain, une marque de déférence en laquelle tout individu a « du prix à ses yeux » (Is 43, 4 ; 49, 16). En son origine, le regard de Dieu sur l’homme est fait d’étonnement et d’émerveillement « Dieu vit que cela était bon » (Gn 1, 31). Ce regard de l’artiste Divin est un regard créateur, un regard poétique, de l’aspect unique, de la valeur de chaque être humain... De dire d’André Frossard : « Dieu ne se sait compter que jusqu’à un ». À ses yeux, chacun se révèle comme une personne originale et irremplaçable...

 

L’Évangile souligne que tout se joue et se situe dans la manière de regarder. Il y a voir et voir. Dieu pose sur nous un regard d’amour qui ne juge pas et ne condamne pas. Tel est le regard de Jésus. Parce qu’il regarde l’homme avec amour, avec son cœur, son regard est capable de susciter la vie, de faire naître l’amour et de récréer l’homme. Il a suffi d’un regard d’amour pour que la Samaritaine reconnaisse son péché et que, de son cœur desséché, jaillisse le désir de Dieu, l’eau vive qui fait d’elle l’apôtre de son village (Jn 4, 1-42).

 

Il a suffi d’un regard d’amour pour que Zachée, bouleversé dans son cœur, s’ouvre au partage et à l’espérance (Lc 19, 1-10). Il a suffi d’un regard d’amour pour que la femme adultère reçoive la lumière qui la relève, la libère du péché et de sa honte (Jn 8, 1-11). Il a suffi d’un regard d’amour pour que Marie-Madeleine renaisse à la tendresse et à l’amour vrai (Lc 7, 36-50). Il a suffi d’un regard pour que l’aveugle-né prenne sa vie en mains (Jn 9, 1-41). Il a suffit d’un regard pour que les disciples quittent tout et suivent Jésus (Jn 1, 35-48). Il a suffi d’un regard d’amour pour que Marie, Mère de Jésus devienne Mère de l’Église (Jn 19, 26-27). Il a suffi d’un regard pour que Pierre ose à nouveau dire au Seigneur : « Tu sais tout, tu sais que je t’aime » (Jn 21, 15-19).

 

Parce que Jésus regarde avec son cœur, il voit ce que personne ne peut voir. Dans la piécette de la veuve, il a reconnu la générosité d’un cœur qui aime Dieu plus que tout (Lc 21, 1-4). Dans le parfum de Marie-Madeleine, dans son geste de tendresse, il a saisi et pris la défense d’un grand amour (Lc 7, 36-49). Ainsi, Dieu et l’homme deviennent « entrailles de mère » d’abord par le regard. Le regard est la fenêtre du cœur. Par lui le cœur voit, s’éprend, s’émeut, s’ouvre ou se ferme.

 

Le regard est premier et décisif. Il est créateur de vie ou destructeur d’espérance. Tout peut exister par un seul regard comme tout peut être détruit. Le regard est important. En hébreu, le même mot signifie le regard et la source. Le regard est la source de l’homme. Jésus dira : « L’œil est la lampe du corps » (Lc 11, 34), c’est-à-dire la source de la lumière. Par ce regard, l’homme se remplit de beauté ou de laideur, d’amour ou de haine. Le regard est vraiment une source pour l’homme et, par lui, l’homme peut être une source pour les autres.

 

Par le regard, nous avons le pouvoir de devenir « entrailles de mère » qui donnent la vie ou la refusent, la font naître ou avorter. Nous accueillons l’autre et le laissons entrer en nous par le regard avant même que nous lui avons ouvert les bras. Le prêtre et le Lévite ont vu l’homme étendu à terre avec le regard de la loi. Le Samaritain l’a vu avec le regard de la miséricorde, avec, dans son cœur, le regard de Dieu. Le miracle de la miséricorde s’est alors produit (Lc 10, 29-37). Se faire le prochain de Dieu ou de l’homme, c’est l’accueillir en notre cœur et avec notre cœur par le regard, un regard éclairé par l’Esprit jailli du cœur du Christ.

 

Regarder avec le cœur, c’est découvrir en l’homme cet « essentiel invisible aux yeux », cette part de beauté, de noble, de pur, de bon qu’il y a en chaque être malgré des apparences contraires. C’est voir l’homme d’abord, et non son péché ou sa faiblesse. Regarder avec le cœur, c’est voir en chacun ce qu’il a de meilleur, ce en quoi il est « à l’image de Dieu ». Regard de miséricorde, né de l’amour, celui-ci est porteur de vie, créateur de vie, de joie et d’espérance. Il est capable de faire exister ce qui n’était pas et de donner vie à ce qui était mort.

 

Un petit conte d’Henri Nouwen, théologien hollandais, illustre admirablement ce que le regard du cœur est capable de réaliser. « Un jour, écrit-il, un sculpteur était en train de travailler un grand bloc de marbre. Un enfant le regardait et voyait des morceaux qui tombaient par terre. Ne comprenant pas, il s’en va. Au bout de quelques semaines, il repasse chez le sculpteur. Et voilà qu’à la place du bloc de marbre il aperçoit la statue d’un superbe lion.

 

Tout surpris, il demande au sculpteur : comment as-tu su qu’il y avait un lion dans le marbre ? Parce que mon cœur savait qu’il y était, répondit le sculpteur ». N’est-ce pas le regard de Jésus ? Regarder l’autre avec le cœur comme le sculpteur, c’est lui permettre d’exister, c’est faire apparaître ce qu’il y a de meilleur en lui. En chacun de nous, en chaque homme, il y a un « lion », une « merveille » à découvrir ou à faire naître. Dieu sait dans son cœur qu’en tout homme, il y a un fils.

 

Saurons-nous, en regardant cet homme, y reconnaître un frère à aimer et à faire exister selon l’admirable parabole de ce rabbin qui, pour mettre à l’épreuve ses disciples, leur posa un jour cette question : « - À votre avis, à quoi peut-on distinguer le jour de la nuit ? Comment peut-on reconnaître le moment où la nuit s’achève et où le jour commence ? - C’est dit l’un, quand on peut distinguer un chien d’un mouton. - Non ! dit le rabbin. - C’est, enchaîna un autre, quand on peut reconnaître la différence entre un figuier et un dattier. - Non ! dit le rabbin. - C’est peut être, se hasarda un troisième, quand on peut, à distance, différencier un homme d’une femme ? - Pas du tout ! répondit le rabbin.

 

Puis il ajouta après un long moment de silence : Tant que tu n’as pas encore reconnu dans le visage de tout homme un frère à aimer, il fait encore nuit dans ton cœur. »

Bruno LEROY.

15:47 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |