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GUY GILBERT AU VATICAN. (12/03/2006)

Photo : Christophe Dumortier dit Qitof.
Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People R. P.
Guy GILBERT Fondateur Association «Père Guy Gilbert-Bergerie de Faucon» France.
Je suis heureux d’être avec le Cardinal Hamao, S.E. Mgr Marchetto et vous tous. Je n’ai rien écrit, parce que je voulais vous connaître avant et préparer 20 questions, une par minute. Enfin, la première rencontre internationale pour la pastorale des enfants de la rue. Enfin. Je me disais souvent: quand c’est que les Cardinaux vont faire un truc qui tire un peu. C’est capital d’unir nos forces dans nos formes différentes, ce que nous vivons avec les gens de la rue, que ce soit avec des femmes, des hommes, des bonnes sœurs, des curés, des évêques. Chacun a son job. Le Cardinal Hamao tout à l’heure aurait pu me demander: pourquoi ton «look»? J’étais en clergyman d’abord, avec les cheveux courts. Et puis j’ai vu les policiers français insulter les noirs de sales Négros, de délinquants, et je me suis dit: je ne suis pas un diamant moi! Un mec m’a dit: prends ce blouson. Et il y a 34 ans qu’il me l’a donné. Quand un policier m’insulte, vu mon «look», je vais à l’Ancien Testament: œil pour oeil. Uniquement pour la forme, je respecte profondément le boulot de policier, mais s’il est raciste, je ne peux pas le supporter. Je suis dans la ligne de Jean Paul II parce qu’il a parlé d’inculturation. On n’est pas tous obligés de se mettre en blouson noir. Ma vie a été projetée dans une inculturation totale, la plus grande possible, dès le début. Don Bosco s’est battu dans la rue. Ma tactique parfois c’est de dire: je frappe d’abord, je bénis après. Dans la rue la violence des jeunes est telle qu’il faut aussi rentrer dans une certaine culture de violence et non pas pour se faire respecter, mais simplement pour rentrer dans leur culture. Et j’ai horreur de la violence. Mais c’est une technique que j’ai pris de temps en temps. Dans la rue ils ont 200 mots de vocabulaire. Donc, apprendre leurs mots. Quarante ans de vie. Je pensais être curé de campagne, et j’ai été en Algérie où j’ai rencontré un jeune qui mangeait après le chien et c’est ça qui m’a doucement amené à faire ce job. Souvent des prêtres me disent de vouloir s’occuper des enfants de la rue. On connaît un drogué, on connaît des délinquants et petit à petit on avance. N’importe qui ne peut pas vivre avec des délinquants, il faut des dons très précis. Vivre avec. J’ai vécu pendant 15 ans avec les bandes de rue. J’ai vu des choses terribles. J’ai vu des morts, j’ai voulu vivre avec eux parce que je pense que le don de Dieu c’était de me faire vivre l’amour au cœur d’une extra violence. Et je ne remercierai jamais assez l’Église pour m’avoir permis de vivre cet apostolat en plein cœur de l’Église même. J’ai l’apparence de la marginalité mais je ne suis pas un marginal dans l’église. J’ai pris le col romain pendant ces jours parce que je me suis dit que Mgr Marchetto va me chasser de ce Congrès. Mais ce clergyman je l’avais acheté quand j’ai marié le fils du Roi des Belges. Ma pratique: je suis resté fixé sur les 13/16 ans. Un jeune de 13 ans a sodomisé très violemment un jeune de 11 ans. Pénalement ils vont en prison à 13 ans. En France ils peuvent rester 2 ans. Je l’arrache au juge en disant que ce n’est pas en prison qu’il s’en sortira et le juge accepte. De plus en plus en France les juges refusent de mettre en prison, ils ont honte, et ça c’est nouveau depuis 5 ans et s’est très beau. Aller jusqu’au bout. Les jeunes que je prends à 13 ans je m’en occuperai 10-15 ans s’il le faut. Notre problème de niveau éducatif est mondial. On s’occupe d’une tranche d’age, ensuite on les passe aux autres et aux autres, ce qui fait qu’un jeune de 16 ans a 40 éducateurs pendant son enfance. Est ce que c’est normale de vivre avec 40 adultes quand on a 16 ans? Je dénonce ce système haché, terrible. On démolit toute l’affectivité et la vie d’un jeune. Les jeunes que j’ai connu il y a 40 ans, quand ils sont en prison je vais les voir. Ils auront un mandat tous les mois et je les attends à la sortie. C’est pour ça que nous en prenons pas plus de 10 par an. Créer des petites structures. Je vois des structures énormes. Ce sont des machines à s’occuper de la «viande» délinquante. On ne s’occupe plus des humains, on s’occupe des délits. Ma pratique est la zoothérapie. Ces jeunes sont des cas très lourds de justice. Plus personne les veut. Je les prends en priorité. Premièrement, parce que je pense que se sont des êtres de lumière et qu’il y a toujours une part de cristal dans l’être le plus déchu. Deuxièmement, le regard du Christ sur la croix vis-à-vis du bon Larron m’a toujours fasciné. C’était une pourriture, une ordure, mais le Christ l’a regardé et il a demandé pardon et il est monté au Paradis. Jean Paul II a déclaré de nombreux saints mais c’est le seul à qui Jésus Christ a dit: Viens. Au début l’alphabétisation est impossible. Ils ont 14 ans et ont quitté l’école depuis les 5/6 ans. Leur faire doucement des cours quand ils le désirent. Mais une fois qu’ils l’ont désiré ils ne reviennent plus en arrière. Ensuite un apprentissage, et après des familles d’accueil. Leur payer leur permis de conduire. C’est ça mon évangélisation d’abord. Leur apprendre que quelqu’un restera avec eux jusqu’au bout. La véritable évangélisation ce n’est pas de s’occuper de tranches, de les jeter, d’en prendre d’autres, mais c’est de regarder quelqu’un avec amour comme Christ regardait et allait jusqu’au bout de son humanité. Pour ça il ne faut pas avoir 150 «délinquants» évidemment. S’il y a des rechutes, nous sommes là. Je signale que nous parlons toujours dans nos instances de jeunes pauvres d’Asie, Philippines, etc. et je vous signale, frères et sœurs bien aimés, que vous avez une jeunesse dont on parle très peu, c’est la jeunesse des nantis, les jeunes dont les parents sont séparés et qu’ont de l’argent à pas savoir qu’en faire, c’est de la drogue et le suicide souvent. Et si je pouvais passer des pauvres jeunes émigrés, dont je m’occupe, aux jeunes du XVIème arrondissement à Paris je m’en occuperais. La pauvreté c’est de ne pas d'être aimé par quelqu’un. Ce n’est pas au Brésil dans des favelas, c’est d’abord de n’être aimé par personne, voilà la pire des pauvretés. Je m’occupe beaucoup des jeunes émigrés parce que, ayant passé 13 ans en Algérie, je connais l’arabe, je connais le Coran et je peux, moi, chef chrétien, «émir» chrétien, leur dire: dans ton Coran il y a écrit ça. C’est très important d’aller chez l’autre pour son éducation. D’où non pas une évangélisation explicite, mais d’éducateur. J’ai 20 équipiers, musulmans, bouddhistes, orthodoxes, protestants, catholiques. Je prie à l’écart de la communauté. Ils viennent avec moi s’ils le veulent. Discrètement. Tous les jours je prie et ils viennent avec moi. Je suis curé de la campagne à coté. La dernière fois le Cardinal Barbarin est venu pour une fête folklorique qui avait été abandonnée depuis longtemps, mais que je refais. Le Cardinal me dit: Guy, j’ai cru voir 5 arabes parmi les enfants de chœur. J’ai répondu: Monseigneur c’est nouveau, ça vient de sortir. Et j’ai lui expliqué que les jeunes me suivent souvent parce que je les ai pris en prison sans leur rien dire. Nous prions. Quand Jean Paul II à Assise a réuni toutes les religions, il n’a jamais dit «prions ensemble», mais «ensemble pour prier». Je le fais depuis des années et c’est très beau. On se rassemble, on reste silencieux et chacun prie dans sa religion. Évangéliser par la présence. En France on me demande souvent: comment tu les évangélises? Je dis: en fermant ma bouche. Et je prends l’exemple du Christ qui, pendant 30 ans, s’est tu. Il faut pas que nous oublions ça. Nous voulons toujours ramener notre religion, mais le Christ s’est tu, et ce silence a été un silence extraordinaire parce que ça lui a permis, ensuite, de parler 3 ans. Je leur donne jamais des règles évangéliques mais je leur dis: aime ton ennemi. Le soir les jeunes ne se couchent jamais sans se demander pardon de façon très humaine. Chacun critique l’éducateur devant tout le monde avec affection, parfois violemment, mais toujours on demande pardon. C’est la religion de l’amour, ce n’est pas dit, mais c’est vécu et bellement, je peut vous assurer. Ces jeunes ont fait de moi ce que je suis; je ne suis pas grande chose, mais si je suis le prêtre qu’on aime et qu’on admire dans l’Église c’est grâce à l’Église d’abord, et ensuite c’est grâce aux jeunes délinquants avec lesquels je vis. Témoigner est capital. J’ai pris 5 ans de silence sans rien dire. J’ai reçu des insultes, on m’a volé, on a failli me tuer. Aucune importance. Disait St Paul: c’est là dedans que tu dois être heureux de vivre l’amour du Christ. Mais il faut témoigner quand c’est le temps de le faire. Quand j’ai un micro de télévision je parle de deux choses, de la misère des jeunes de France et de l’évangile, alors là aucun problème. J’ai écrit 21 livres qui ont été vendus en 1.500.000 exemplaires. Cela m’a étonné parce que je ne voulais rien écrire. Mais on m’a demandé d’écrire et j’ai écrit. Nous devons témoigner par l’écrit, par la parole aussi, quand on nous le demande. Interpeller l’Église catholique et romaine. Enfin les Évêques vont en prison célébrer, enfin! A Noël et à Pâques. Combien de fois j’ai dit aux Évêques: comment vous pouvez laisser seuls les prisonniers à Noël et à Pâques en n’étant pas capables d’aller les voir? Ils le font maintenant. Il faut demander aux Évêques de détacher des prêtres à plein temps. Mais il ne faut pas oublier une chose. En 1970 j’étais avec 5 prêtres, 4 se sont mariés. Il y a des risques importants à cause de l’immoralité de la rue. Il faut que l’Église prenne ce risque dans ces milieux extrêmement difficiles. Parce que souvent on admire le prêtre, mais on le laisse en paix et il peut crever tout seul. Comme on a mis un Évêque aux Armées, complètement détaché, on pourrait un jour faire la même chose avec un Évêque qui soit complètement détaché à cela. Je répète, il faut multiplier les petites structures, puisque les grandes structures tuent l’inspiration. Soixante-dix Associations sont nées de nôtre «Bergerie de Faucon». J’en suis le père spirituel, mais détaché. Pour moi, dans nos structures nous ne prenons pas plus de 10 jeunes par an et seulement 20 équipiers, qui font partie d’une équipe forte, fidèle, équilibré, jetant dans cette tâche toutes ses forces. Pour ce qui concerne l’aspect économique, 35% de nos finances vient de l’État, le reste sont des dons et mes droits d’auteur. On est tous responsables et il faut unir nos forces nationales, laïques et ecclésiales. Il faut dire à l’État sans cesse: le miroir d’une société c’est dans la rue que vous le voyez. Interpellez socialement. Au cœur de la misère on devine, on voit, on touche les carences d’un État. Je vous dirai simplement, en terminant maintenant, travailler seul est suicidaire et je pèse bien mes mots. Ensemble, c’est ce que nous faisons aujourd’hui. Si je n’avais pas 48 heures tous les 10 jours pour me taire et aller dans un couvent de moines, il y a longtemps que j’aurais tout abandonné.
Guy Gilbert.

19:40 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (2) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |