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Témoins, signes d’Espérance ! (03/06/2007)

 
 
Christiane BARADEL
d'après les notes relues de Claude Michel
 
 
 
 
   

Introduction :

En préambule, je voudrais dire qu’on m’a demandé de venir ici, et je me suis laissée tenter. J’estime que vos paroles ont autant de poids que la mienne. Votre expérience de vie est riche. Nous sommes témoins du Christ et famille du Seigneur. Je souhaite que dans les carrefours, vous ayez la simplicité de vous exprimer sur ce qui est le coeur de votre vie de croyants témoins de l’espérance aujourd’hui.

Aujourd’hui, Thérèse de Lisieux est à l’honneur, c’est un signe d’espérance pour les jeunes et aussi pour les moins jeunes.

Nous sommes des signes d’espérance pour le monde d’aujourd’hui, et pas seulement pour les jeunes. Mais croyons-nous en cette espérance dont nous sommes porteurs ? Il ne s'agit pas seulement de réciter le credo, mais cette espérance reçue me fait-elle vivre moi aujourd’hui, suis-je vivant ? Ou suis-je mort-vivant, même avec deux jambes ? Sommes-nous des vivants ? Si nous le sommes, alors nous sommes porteurs d’espérance.

La vie parle à la vie et quelque chose de plus grand passe à travers nous. Moi aussi, au travail, en famille, suis-je encore vivant pour l’autre ? Est-ce que je vis ? Je pose un certain nombre d'actes, pour ma famille et pour d’autres. Mais poser des actes, c’est de l’ordre du faire.

Or je parle du registre de l’être. Quand le faire est uniquement dans le faire, cela fait du bruit. Quand le faire est porté par l’être, il produit des fruits, ceux de l’Esprit, en général plus discrets que ceux du faire. C’est important de se partager cela.

Qu'est-ce que la relation ?

Nous allons voir comment se noue la relation avec autrui et avec nous-mêmes. On me dit que la relation est difficile dans bien des cas. Il y a plusieurs niveaux de relation : celle où on échange sur la pluie et le beau temps pour ne pas entrer en relation trop profonde mais qui permet, tout de même, d’entrer en contact, contact qui ne nous met pas en cause par rapport à l’autre et ne suscite pas de déplacement entre les deux. Et cependant, heureusement qu’il y a cela.

On passe l’un à côté de l’autre d’une certaine manière sans se voir. Mais on passe peut-être trop souvent ainsi les uns à côté des autres.

On a besoin de partager sur l’essentiel de ce qui nous fait vivre, sur le coeur de notre jardin d’Eden. Sur la base de confidences qui me sont faites, je sais qu’on peut vivre une grande solitude entre mari et femme si on ne partage pas sur le coeur de ce qui fait vivre. Il peut y avoir sur des sujets délicats, le silence qui creuse le fossé puis la crevasse sans fond. Et si l’autre savait ce que je suis !.....

 Il est question là du dévoilement par rapport à celui qui est le plus proche, car c’est se mettre en état de faiblesse, de capacité de se laisser toucher par l’autre et je ne sais pas ce qui peut advenir de moi quand je me laisse toucher par l’autre. C’est la vulnérabilité. Mes repères sont bouleversés.

Le mystère de la relation est de se laisser toucher par l’autre, pas envahir au point d’être détruit, mais de faire place à l’autre afin qu’il visite mon jardin, et me révèle ainsi qui je suis. Qui vous dit votre visage ? L’autre, la relation dans la quotidienneté de la vie. Si nous n’entrons pas dans cette approche, nous ne pourrons entrer dans la vulnérabilité du Christ. C’est mon expérience. On apprend à se barricader parce qu’on a reçu des coups et qu’on veut se protéger. Je ne crois pas avec le temps que l’on puisse vivre ainsi. Il en est de même dans la vie spirituelle.

Ne pas avoir peur de l'autre

Si nous avons peur, nous nous refermons sur nous-mêmes, notre nuque se raidit, et l’Esprit n’entre pas. Nous avons fermé la porte à l’Esprit. Je crois que nous vivons lorsque nous sentons les fibres de notre coeur et de notre corps se distendre, alors nous sentons de manière palpable la vie qui passe en nous, nous sommes des vivants. Le Christ, l’Esprit du Seigneur peut nous visiter. Quand nous ne voulons plus ou nous ne pouvons plus, nous nous fermons à l’autre, et avoir un regard qui ne regarde plus et un coeur qui se ferme, c’est devenir vieux. Tout est disposition du coeur. C’est important qu’on ait bien cette sensibilité. Si nous n’entrons pas dans cette dynamique-là, nous ne pourrons vivre le partage.

Je voudrais vous faire partager ma vision des choses, à la manière des peintres impressionnistes. On ne voit pas le tableau d’un seul coup, mais on voit une multitude de petites touches et à la fin de la journée, ou bien on n’aura rien vu, ou bien on aura vu le tableau entrer dans la dynamique de ce qui est soi-même.

Ce qui est important, dans ce que vous allez vivre, c’est de repartir différents, témoins heureux, même dans les temps actuels. Heureux, oui, quand on découvre la relation qui nous fait vivre au plus profond de nous-mêmes, que l’on soit marié, veuf, éploré par des douleurs impensables, par la perte d’enfants, d’un membre de sa famille, malgré tout, ce que l’on peut partager dans la joie et la confiance, c’est le regard qui transfigure la quotidienneté de la vie.

Et Dieu vit que cela était bon !

Je voudrais vous faire partager ce regard sur la vie où chacun est très beau. Vous allez dire que je suis " fada " comme on nomme le simple d’esprit dans le Midi de la France ? Non, je travaille rationnellement dans mon métier, mais lorsque vous regardez l’autre, vous contemplez quelqu’un, c’est le Christ. Quand vous regardez votre enfant ou votre mari, ils sont très beaux, comme neufs, car la relation qui vous anime est neuve comme la rosée du matin. Rien n’est habituel dans l’ordre de la relation, tout est étonnement (le jour qui se lève, les personnes qui me sont données ici et maintenant), je suis heureuse de l’être avec lequel je vis depuis trente ans, et il est tout neuf. Il est très beau et je ne l’avais jamais découvert ainsi.

Et devant la mort que devient la relation ?

La relation permet la saveur de l’inattendu et notre regard ne s’affadit pas au fil des années. Découvrir le regard d’un enfant, quelle joie ; c’est fabuleux d'être en vie, de regarder des êtres vivants.

Voir un enfant grandir c'est beau. Mais comment vivre si soudain il disparaît ? Même si sa perte douloureuse nous fait éclater en mille morceaux, nous savons que dans le mystère de Dieu il n’est pas perdu et qu’il est encore plus proche de nous en Dieu qu’il ne l’était lorsqu’il était à côté de nous.

 La perte d’un être cher peut nous initier à une nouvelle dynamique de la relation à laquelle le Christ nous invite. Ce dont j’ai pris conscience, c’est que dans cette relation creusée de façon violente par la disparition d’un être cher, quelque chose en nous veut remettre la main sur celui qui nous a été ravi. Quand Marie-Madeleine a vu le Christ, elle a voulu remettre la main sur Lui, on se dit comme elle : si je pouvais retrouver l’enfant que j’ai tant aimé, Dieu me dit : non, élève ton âme. Jésus fait entrer Marie-Madeleine, comme les apôtres, dans une relation nouvelle : "je suis encore plus proche de toi que tes yeux ne le voient. Je suis au-dedans de toi." Mais moi j’ai envie de dire : non, c’est quand je te touche Seigneur. Mais le Seigneur invite à ce que les yeux de la foi soient ceux du coeur et nous allons entrer peu à peu dans cette démarche.

Quelle est notre soif ?

Pour préparer cette progression, nous allons lire le texte de la Samaritaine pour nous inviter à regarder avec des yeux neufs ce que dit le texte, et notre vie également. Ce texte est proposé aux catéchumènes en vue de leur baptême. Il y a une démarche dans cette soif : naître avec, connaître et pour cela il faut avoir soif. Un catéchumène a soif n’est de boire à l’eau vive. Avons-nous soif encore les années passant ? Alors le puits est sans fin.

Mais nous recevons à la mesure de notre soif. Si nous n’avons plus soif, nous ne recevons rien. Trois personnes peuvent entendre les mêmes paroles, et les recevoir très différemment. Les textes sont une source d’eau vive. Nous te y puisons ce que nous venons y chercher : "Seigneur, je m’approche du puits, mais je suis fatiguée. Je ne sais plus comment boire." Ecoutons le Christ nous dire : "Donne-moi à boire."

 Dans ce texte de la Samaritaine, qui entre en relation avec qui ? Ce qui serait important dans les carrefours, c’est de dire simplement si aujourd’hui on peut être las et si cela ne nous parle plus. Avoir la simplicité de le dire, car la soif de l’autre peut faire irruption en moi et je peux compter sur la soif de l’autre pour me porter. Etre attentif à qui cherche qui, qui entre en relation avec qui, dans ce texte.

J’essayerai ensuite de vous faire partager mon étonnement, de vous montrer comment ce texte est significatif d’une rencontre en 1997-1998. Les vraies rencontres sont celles qui nous font vivre, les autres nous mettent en contact. Mais il y a peu de vraies rencontres qui nous touchent dans le coeur de notre vie. C’est important. Il y a des personnes très avancées en âge, qui ont soif de ces véritables rencontres qui donnent de l’énergie pour vivre. Pourquoi ont-elles besoin de cela, alors que les forces de vie semblent les abandonner ?

Il y a deux grandes tendances, les uns se cristallisent et se ferment, d’autres sont dépendants pour tout, mais ont ce rayonnement à cause de leur besoin de rencontres vraies avec qui vient les voir.

Ensuite on essayera de percevoir que dans la relation il faut être deux, mais l’un peut se fermer. Alors l’autre doit-il se fermer aussi ? Vous allez me dire : "vous n’avez jamais rencontré de personne qui vous ferme la porte au nez ?" Dans la relation il faut être deux, mais si l’autre ou moi-même, se ferme à l’autre (nous sommes des saints avec des pointillés de fermeture), comment regarder l’autre pour que je ne le rejette pas ?

Faire appel à quelque chose de très difficile : pour moi, c’est penser que si l’autre se ferme, c’est que son regard est obscurci comme le mien peut l’être. Ne pas jeter la pierre à l’autre, mais penser que l’autre (autre de moi-même) a le coeur obscurci aujourd’hui. Il ne peut pas m’entendre et m’accueillir (capacité d’ouverture). Qui peut me donner le regard assez transfiguré pour transfigurer à mon tour mon prochain ?

Il y a plusieurs niveaux dans la conscience. Il faut que quelque chose en nous soit convaincu (âme) pour que cela infiltre notre quotidien. Comment puis-je regarder l’autre et voir que l’autre est beau même s’il ne m’accueille pas ? En cherchant bien, il y a la réponse. La source d’eau vive nous dit qui est l’autre, qui je suis, et qui est le Christ. Ce que je vois de l’autre, même s’il se ferme, est plus profond que ce qu’il me donne à voir dans sa fermeture. Je vais voir plus loin et c’est important.

Cela je l’avais entendu il y a plusieurs années et je ne le comprenais pas. J’entendais les mots et je pensais que c’était réservé aux génies, aux modèles et un jour, il a fallu qu’on me le redise (important d’entendre la parole dite par d’autres : c’est une parole qu’on n’entend plus avec sa tête, mais avec le coeur et elle peut remonter ainsi vers la tête). Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps, et un jour je crois que j’ai compris, entrevu ce que cela pouvait être. Un petit morceau du voile de cette connaissance-là qui est réservée aux simples d’esprit. S’approcher de la source et quelqu’un nous enseigne. Voir notre origine à tous. Cela éclaire aussi sur les psaumes. Le ciel se lève sur les bons et sur les méchants.

J’ai commencé à entrevoir ce que cela pouvait être mais en me délestant de beaucoup de choses et il faut encore me délester, et cette vision m’a laissée entrevoir l’introduction à "comment aimer ses ennemis." Les ennemis sont ceux qui provoquent la fermeture la plus complète. Déjà partons de ceux avec qui nous ne pouvons pas entrer en contact, car il y des divisions mortifères, là où il y a exclusion de l’autre. Comment notre regard se métamorphose car nous voyons un peu comme Dieu nous a donné de voir dans le jardin d’Eden, regard unificateur entre la vie et la connaissance.

Nous voyons ce qui se passe mais aussi plus loin. Il ne s’agit pas de gommer ce qui est fait mais de rechercher la blessure de l’autre, ce qui fait que cet homme est blessé si profondément, que ce qui a été l’être désiré par Dieu ne peut plus s’exprimer avec amour. Métamorphose du coeur de l’homme, celle de la soif : viens boire. On reboucle sur la soif de la Samaritaine. C’est un texte actuel pour nous aujourd’hui.

Il y a un autre éclairage sur les témoins. Il faut remarquer une chose surprenante, c’est de voir comment la rencontre avec le Maître, le Christ Ressuscité, pour nous en terme de tradition dans l’Eglise, dans ce qui nous est donné à voir dans les gestes qu’il pose, c’est de voir comment cette rencontre avec le Christ est source de guérison, guérison de l’âme. C’est important que nous ayons présent à l’esprit ce genre de flash. Dans l’évangile de Jean, il y a peu de paraboles ou de récits qui relatent des guérisons, mais beaucoup de récits de rencontres. Il est important de voir pourquoi. Jean présente des récits de rencontre plus que de guérison et peut-être y a-t-il dans la rencontre, une source de guérison, liée à notre souffrance, qui est éclatement, division en nous, désunion entre la vie (ce pour quoi nous avons été créés) et la connaissance qui devient centre du monde et exclut le créateur.

Se réconcilier avec soi-même

Cela n’est pas pour nier une démarche intellectuelle, mais nous avons à retrouver la source primordiale, celle qui a donné naissance à ce que nous sommes. Il y a tout un ensemble où on est en disjonction, en tension. Il faut retrouver l’union, la réconciliation entre nous et nous-mêmes. Nous faisons alors la paix avec les autres, la paix, la réconciliation de Dieu avec nous et nous devenons propagateurs de cette paix.

Cette tension doit exister cependant elle doit être vécue non en opposition et en éclatement, mais en extension comme les bras du Christ sur la croix. Dans cette tension, je suis, je vis, là je reconnais que je suis divin, humain, et dans cette réconciliation de la connaissance (naissance en Dieu), je peux comprendre la souffrance des hommes et ma souffrance et cela me mène à la reconnaissance de qui je suis, cela me permet de renouer connaissance avec moi-même et avec les autres.

J’accompagne des adultes catéchumènes depuis 22 ans, des gens de 18 à 85 ans et même un compagnon de la résistance qui avait 75 ans quand j’en avais 22 et j’ai découvert avec mes yeux de 22 ans comment nos chemins de vie se rejoignaient dans la connaissance de la source d’eau vive. Son long chemin et mon petit chemin. Nous buvions à la même source et nous nous comprenions. Plus de barrage d’âge. Le seul barrage est celui de la fermeture du coeur.

Cette expérience m’a laissé une saveur extraordinaire. Chaque fois que j’en parle, je retrouve la saveur de nos rencontres, avec le poids de vie de cet homme. Ce qu’il voyait de Dieu entrait en résonance avec ma soif. Nous pouvons mourir mais d’autres naîtront car d’autres ouvrent leur coeur. Le mystère de la création se perpétue par la soif. Sinon, Dieu ne pourrait pas se manifester sur cette terre. Il a besoin de la soif des hommes.

Retour des carrefours du matin sur La Samaritaine

Groupe Un

Jésus est celui qui entre en relation avec la Samaritaine, avec la femme, avec une Samaritaine, il dépasse les préjugés, les barrières sociales. L’initiative de Jésus la provoque dans des gestes quotidiens de puiser et peu à peu de plus en plus profondément, elle est touchée au plus profond au point d’aller dire aux autres ce qu’elle vient de vivre. Il y a la dimension concrète de puiser qui renvoie à une dimension plus grande, la soif chez chaque être humain. Au verset 29 : Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Il y a là une reconnaissance dans un acte d’humilité. La Samaritaine n’avait rien livré encore de sa vie intime d’où le questionnement. Verset 25-26 : "Je sais qu’un Messie doit venir", "Je le suis moi qui parle". Le Christ se dévoile et révèle qui il est.

Pour qu’il y ait rencontre, il est nécessaire que les deux parties s’ouvrent l’une à l’autre, que chacune communique sa soif à l’autre, aux autres. La rencontre entre le Christ et la Samaritaine appelle une rencontre plus large ouverte à d’autres, dans l’élargissement d’une spirale.

Un questionnement très large a été émis dans ce groupe :

- Suis-je capable d’avoir soif ?

- Suis-je capable de dire : donne-moi à boire ?

- Quelle est ma soif ?

- Ai-je soif de la rencontre ?

- Ai-je soif de rencontrer le Christ et pour quoi faire ?

- Ai-je soif de rencontrer le Christ en vie éternelle ?

Groupe Deux

Nous n’avons rien fait des questions qui nous étaient posées mais nous avons partagé sur nos réactions à ce qui avait été dit . Sur ce qui a été dit, certains étaient très contents de notre conférencière, mais quelques uns se sont dit mal à l’aise parce qu’en face d’un langage trop intimiste, personnel ou psychologique pour eux. Plusieurs l’ont trouvé trop émotionnel tout en appréciant les dernières phrases : "Si personne n’a soif, Dieu n’existerait pas sur cette terre". Dieu n’existe qu’à travers la relation que les hommes ont avec lui.

L’un d’entre nous a posé la question : Il y a des milliards d’années, Dieu existait-il avant l’humanité et dans des milliards d’années, existera-t-il sans l’homme ? Nous avons tenté de lui répondre à travers le Christ qui promet la vie éternelle.

En ce qui concerne la Samaritaine, qui cherchait qui ? C’est Jésus qui était en quête de l’homme avant que l’homme ne soit en quête de Dieu.

Groupe Trois

On a évoqué ce que le texte suggère. On part du très simple et très quotidien : Jésus fatigué a soif. Etonnement : le Christ est seul (contrairement à l’habitude). Il s’adresse à une Samaritaine. Le Christ cherche non pour lui mais pour provoquer la recherche. Jésus demande un service alors qu’il pourrait proposer. Pourquoi la femme l’appelle-t-elle Seigneur. Jésus ne répond pas à la provocation. Il cherche la femme, il a l’initiative, la pousse plus loin. C’est une rencontre réussie car il y a soif chez chacune des personnes, il y a soif communiquée aux autres.

Groupe Quatre

On est parti des idées de rencontre. Avec qui ? Avec les gens en qui on se reconnaît souvent avec qui on a des choses en commun. On se rencontre peu avec les jeunes. C’est une grave question pour l’avenir.

Le texte de la Samaritaine : Jésus s’adresse à quelqu’un d’exclu, même de son propre peuple, qui a une vie désordonnée. Cela a quelque chose de consolant pour nous qui ne comprenons pas . Les Apôtres non plus n’ont pas compris avant la Pentecôte alors qu’ils avaient Jésus en face d’eux.

Rencontrer les autres, c’est partager quelque chose avec eux, sinon ce n’est qu’un contact sans profondeur.

Réponse aux questions

Je vous remercie pour ce qui a été dit dans tous les groupes et pour les questions évoquées, même celles qui me concernent. Je peux être éventuellement déstabilisée, mais j’accueille toutes les questions. Je reviendrai beaucoup sur la question : ai-je soif ? Ai-je soif de rencontrer le Christ et pour quoi faire ? Il n’y a aucune nécessité impérieuse de le rencontrer si on ne le souhaite pas.

Au sujet de la question du langage émotionnel, intimiste, psychologique. Je ne crois pas que le spirituel soit déconnecté de l’incarné, mais c’est quelqu’un qui fait une relecture de ce qu’il vit, y compris la névrose comme Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Un professeur de théologie disait : j’espère qu’elle ne sera jamais canonisée. Une femme ! Plus une névrosée ! Déclarée Docteur de l’Eglise !!!

Il peut sembler qu’un langage psychologique ou émotionnel soit utilisé. Je ne fais pas abstraction de ce que je peux ressentir, car la vie passe par là. Mais ce que je ressens, j’essaye de le faire passer par le filtre du regard évangélique et cela est épuré par la fine pointe de l’Esprit. Chacun a une dimension spirituelle. Aucune once de notre corps et aucune émotion qui ne passe dans le spirituel. Quand vous lisez ou écoutez des passages de Sainte Thérèse, la quotidienneté de sa vie était source de réflexion et de maturation spirituelle. C’est un problème de lecture. On peut se laisser enfermer dans le registre psychologique, on peut se dire que cela va devenir intimiste : "Dieu avec moi et moi avec Dieu." Non.

Il y a certaines réalités qui sont pour moi des vérités : on ne peut entrer en relation que par appel du Christ, dans une relation un à un. Comme au Baptême, le Christ appelle et je réponds. D’abord la relation est individuelle. La relation est unique. On dit des oui multiples au cours de la vie, jusqu’au oui final d’abandon, dans le passage de la mort. Intimiste ? Y a-t-il une relation privilégiée entre le Christ et chacun (même ceux qui ne vont pas à la messe) ? Oui. Nous sommes connus jusqu’au fond de nos entrailles et ce individuellement. Cette individualité fait notre communion, réalité aussi prégnante. Cette communion entre le Christ et chacun d’entre-nous (singularité de chacun de nos noms inscrits dans les cieux, différence des visages) fait que nous entrons en communion les uns avec les autres à cause de l’Esprit du Seigneur. Nous rejoignons la multitude car ce qui nous lie, c’est la source d’eau vive de la Samaritaine, le fondement.

On donne l’impression d’être pleins, mais ce qui nous constitue, c’est notre vide (un peu comme les atomes qui se tiennent mais il y a beaucoup de vide entre eux). Nous avons notre ego qui s’enracine dans le monde, mais quel apprentissage pour suivre le Maître ? Celui de l’ouverture. Que notre ego qui s’est constitué pour survivre dans notre société laisse de la place à l’Esprit (on se laisse creuser en soi, on se laisse évider, on se pousse un peu) comme dans la famille quand un nouvel enfant arrive, on se laisse creuser, on se pousse un peu pour accueillir le nouveau venu.

C’est la même chose dans l’ordre de l’Esprit : ce n’est pas si simple de se laisser creuser par l’Esprit qui a pour caractéristique, non de se montrer mais de se retirer. Il va falloir se laisser creuser pour que l’Esprit vienne et fasse mémoire de ce que le Christ a fait. Il fait que notre centre "bien plein de nous-mêmes" devienne creux et là on commence à marcher sur les eaux. Recevons ce que nous sommes. Si je me laisse évider à l’intérieur parce que baptisée en Christ, c’est vrai aussi pour l’autre et quand nous célébrons, nous célébrons ce que nous sommes : le Christ présent en nous et parmi nous.

Il est important de voir notre approfondissement personnel. On parle toujours des autres, or l’Eglise, c’est nous. Si on cherche en nous ce qui nous constitue et nous fait vivre, on n’a pas à avoir peur de ce genre d’approche. Il n’y a pas de dichotomie entre l’humain et le spirituel. Un vrai spirituel passe le quotidien de sa vie au crible.

Je me souviens il y a très longtemps, j’étais à la chorale de Notre-Dame de Paris. On célébrait tous les offices lors des grandes fêtes. Un jour le cardinal était là et il régnait une grande agitation dans la nef. Un prêtre a été chercher la communion pour la chorale. Ce prêtre a été chercher le corps du Christ, il marchait normalement, et dans cette agitation, il était calme, et nous apportait le Corps du Christ. Je me suis dit : voilà l’important. Dans ce brouhaha, il nous a recentrés individuellement par sa personne car il vivait cette relation avec le Seigneur et il faisait revenir le calme et la paix autour de lui par cette même relation. Le calme s’est fait dans la chorale, à cause de la paix qui était en lui. Cela a été une leçon de voir comme un pas peut manifester la dimension de vie qu’on partage avec quelqu’un. La qualité d’une marche peut être porteuse d’enseignement pour ceux qui sont là. Ce qui est individuel rejaillit au niveau de la communauté, pensons aux membres du Corps du Christ de Saint Paul.

Reprise l’après midi (commentaire des carrefours du matin)

- Christiane Baradel

Je vais rebondir sur ce qui a été dit sur la Samaritaine. Mais je garde en mémoire les questions posées dans le groupe un : suis-je capable d’avoir soif ? Donne-moi à boire. Quelle est ma soif ? Ai-je soif de la rencontre, de rencontrer le Christ et pour quoi faire ? Je dis un grand merci aux personnes qui ont eu le courage de poser ces questions. Ai-je soif de rencontrer le Christ pour la vie éternelle ? Ces questions vont être en trame tout l’après-midi.

 • Je vais reprendre le texte de la Samaritaine. Il a été remarqué que cet épisode se passe dans un pays où il y avait des dissensions entre les Samaritains et les Juifs. Il y a la symbolique du puits et de la Sagesse, entre les sources profondes de la vie et des eaux qui procurent la vie éternelle. La symbolique du puits renvoie à la rencontre avec les hommes et avec Dieu.

Jésus donc est seul, ses disciples sont partis acheter des provisions pour manger. Une femme arrive. Quand une femme vient à la sixième heure, une heure avancée dans la journée, c’est qu’elle n’est pas prévoyante. Sortir au moment où la chaleur est à son maximum est un mauvais point pour la femme qui a mal géré son temps,.pourrions-nous dire

 Jésus rencontre donc une femme de Samarie et lui dit : donne-moi à boire. C’est Jésus qui demande à boire et non pas la femme. Jésus parle avec elle. Qui parle à qui ? Jésus parle à la femme qui lui répond. Qui rencontre qui ? Certaines personnes ont fait la remarque que cette femme était courtisée. Un homme de plus, pourquoi pas. Ce n’est pas écrit, mais pourquoi pas. Dans la relation avec quelqu’un, un premier dialogue s’installe mais ensuite comment passer d’un stade à l’autre. Je vais faire des parallèles. Quand on entre en dialogue, il a tout un arrière fond qui présuppose une poursuite du dialogue.

On constate l’étonnement de la femme qui répond sur le plan de la connaissance qu’elle en a ce jour, dans le registre de la classe sociale qui correspond à l’époque. On met les personnes dans des catégories qui permettent de classer afin de savoir comment les aborder. On m’a dit tout à l’heure que j’avais une approche plus féminine que masculine. Oui, mais nous avons tous une composante féminine. Un homme a une composante masculine et féminine. A l’aube du grand passage, ce serait dommage que vous n’ayez pas développé votre côté féminin, messieurs. Mais aussi, mesdames, vous avez une composante masculine.

Cette femme est étonnée de ce que dit Jésus, car ce n’est pas dans le registre habituel : "Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te donne...." . On a là un changement de registre, parce que Jésus qui s’approche de la Samaritaine est en état de vulnérabilité quand Il demande quelque chose et nous le sommes tous quand nous demandons, mais il y a en même temps une très grande capacité à recevoir. Jésus dans le dialogue va la préparer à recevoir, va la préparer à la connaissance d’elle-même et à son attente et à quoi Dieu la destine.

"Serais-tu plus grand que Jacob ?"... "Tout homme qui boit de cette eau..."

De nouveau Jésus la fait entrer dans un registre sur lequel il continue. Il est sur le plan de la connaissance des origines de cette femme. Il y a toujours ce hiatus : comment entrer en relation avec quelqu’un ? Jusqu’où faut-il aller pour cela ? Y a-t-il des recettes ? Cela se saurait s’il y en avait. Peut-être est-ce que le Christ dit après que la femme lui ait dit : "Donne moi de cette eau." Il lui dit : "Va chercher ton mari". Elle ment: "je n’ai pas de mari."

La question est : comment se fait-il que Jésus ait pu répondre cela ? Lit-il dans le marc de café ? On répond souvent par : il est vrai Dieu. Je perçois comme un consensus dans la salle. Comment a-t-il pu deviner cela ?

C’est la connaissance de la rencontre. Il est vrai Dieu parce qu’il est pleinement homme, parce qu’il élève l’humanité à sa plénitude. Et dans sa capacité d’ouverture, il est mis à nu dans sa relation avec l’autre. Nous sommes dans le jardin secret de chacun, dans sa nudité. Nous sommes vus dans les moindres recoins de ce que nous sommes et Jésus a vu la Samaritaine telle qu’elle est. Il sait qu’elle a eu cinq maris et elle sait que Jésus le sait parce qu’Il a une ouverture complète à l’autre, car on est dans le registre de la communion : on est un dans le Christ tout en étant multiples.

Il nous est donné à nous aussi d’être ouverts pour percevoir en l’autre son essence (mystère sacré) non par violation de la personne, mais par une parole de vérité qui dévoile à l’autre la connaissance de son intimité. Dans nos relations, quand nous vivons cela, c’est de l’ordre de la grâce, de la rencontre fulgurante, deux regards qui se croisent et se sont connus de toute éternité. Ils sont amoureux. Quand Jésus a vu la Samaritaine, Il a vu l’intimité de cette femme, Il lui dit : "voilà qui tu es" (accueil de l’autre pour lui dire : tu est réellement cela), pas par moralisme.

Et la Samaritaine s’écrie : "je vois que tu es un prophète."

Dire cela, c’est reconnaître que celui qui parle dit une parole de vérité sur sa propre vie. Cela nous arrive aussi. Certains nous disent des paroles de vérité sur notre propre existence.

"Crois-moi femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem, l’heure vient où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité".

Filiation du dialogue où l’on change sans arrêt de registre. On passe de la vie (boire), au dévoilement de la vie (la femme et ses cinq maris) sur un plan où on reconnecte sa vie avec son sens profond : l’adoration de Dieu. C’est aussi ce que l’on fait dans la démarche catéchuménale. Quand on est parrain ou marraine d’un futur baptisé, c’est ce que l’on fait. A partir de la quotidienneté accompagnée, on établit conjointement un dialogue qui permet de voir les traces de l’Esprit dans la vie de cette personne.

Cette femme était en attente de quelqu’un, elle avait soif. "Je sais qu’un Messie doit venir". Cette femme qui n’obéissait pas à la Loi, va avoir la révélation du "Je suis". "Je le suis" dit Jésus. A cette femme-là, Jésus manifeste l’intimité de qui Il est, c’est à dire qu’il est Fils de Dieu. Quand nous vivons des rencontres, quand nous accompagnons ces catéchumènes, si nous sommes croyants au Fils de Dieu, je crois qu’il y a de cette dimension-là qui est manifestée dans la lecture du quotidien de la vie, on voit le mystère de la vie, on lit les événements, les signes des temps. Ce serait dommage de ne pas , donner ces signes en lecture aux catéchumènes.

Les jeunes disent : "et vous, que dites-vous ?" Nous avons tous quelque chose à leur dire. Il faut que les paroles soient articulées à un vivre évangélique. Si on attend pour parler que ce soit seulement un prêtre qui parle, c’est dommage. Les jeunes attendent que ce soit des hommes et des femmes dans la vie qui leur parlent en leur disant ce que Dieu a fait dans leur vie. Si on ne peut articuler ce discours, il y a une rupture de transmission entre les aînés et eux. Et les jeunes vont aller chercher ailleurs, car nous avons peur de dire ce qui nous fait vivre, peut-être comme la Samaritaine qui a cinq maris.

On a peut-être l’équivalent de cinq maris qu’on ne voudrait pas que l’autre voie. Il faut accepter que l’autre nous voie tels que nous sommes. Les jeunes disent : on en a assez de voir les anciens qui disent une chose et ne la font pas. Il faudrait gratter à la surface. C’est dans les erreurs et les égarements reconnus que passe le chemin de croissance. Si on reconnaît qu’on est un peu mort, on peut ressusciter. C’est la même chose dans l’ordre de la relation. Jésus a vu qui était la Samaritaine. Les jeunes (mutation de fin de siècle) nous questionnent sur qui nous sommes. Qui êtes-vous vraiment ? Quel est le Dieu dont vous dîtes être les croyants ? Je la reçois aussi cette question. La soif de rencontrer le Christ et pour quoi faire ? Si les jeunes sentent que vous n’êtes pas en connivence avec ce que vous dites, ils s’en vont.

La Samaritaine attendait : Je sais qu’un Prophète doit venir. Elle a soif et le Christ a soif d’elle et de lui donner la connaissance : "Je le suis, moi qui te parle". C’est une initiation profonde.

J’insiste encore sur cette soif, car pour rencontrer d’autres, hommes ou femmes, nous ne pouvons le faire en profondeur que si nous avons soif de les rencontrer. La plénitude du Christ est dans sa capacité d’avoir soif. de l'autre.

Si nos regards sont éteints, sans vie, de ces regards d’hommes qui ne vivent plus, qui sont vides, cela fait froid dans le dos. Si quelque chose est mort, il faudrait lui redonner vie, le ressusciter. C’est la même question depuis le Deutéronome : choisir la vie ou la mort. Notre liberté est la possibilité de choisir de renoncer à la vie (Acte premier), le fait de ne pas vouloir vivre.

"Je Suis" : écho à cette dimension, révélation de l’intimité de Dieu, de qui Il est, révélé à Moïse dans le Buisson Ardent. Il faut enlever nos sandales pour marcher sur la terre sainte, enlever ce qui est en trop, comme la Samaritaine, vue dans sa nudité : le Christ la voit telle qu’elle est.

 Si nous voulons entrer en relation avec l’autre, sans mainmise sur lui, il faut enlever nos sandales. Ce qui est vrai pour l’autre est vrai aussi pour nous. "Je Suis" est en nous. Il serait dommageable que des personnes participant à l’adoration du Saint Sacrement avec piété, regardent ensuite de façon désagréable les mendiants à la sortie de l’Eglise car dans l’adoration, il y un face-à-face avec le Christ, or c’est ce même Christ qui est en nous-mêmes. Quand on sort, le mendiant est aussi celui que le Christ visite. Il a autant d’importance à nos yeux que le Saint Sacrement. Ce serait dommage de ne pas avoir la même attitude.

A l’Eglise, certains disent : "c’est ma place et il faut se pousser" . Mais l’accueil de l’autre, est devant soi mais aussi au dedans de soi. Il y a une distorsion difficile à vivre mais il faut rassembler ce qui semble opposé pour tenir l’articulation. Il n’y a pas deux choses distinctes. La compréhension du Christ ressuscité est à intégrer dans l’aujourd’hui pour chacun d’entre nous. Les jeunes attendent que nous ne restions pas à un niveau de conceptualisation, sans adéquation avec le quotidien de nos vies.

Le travail qu’a fait Jésus avec la Samaritaine, il va le faire ensuite avec ses disciples qui ne comprennent pas grand chose. J’ai même entendu dire par certains : "alors on n’a pas d’effort à faire, puisqu’ils n’ont rien compris, eux." Non. D’enfants en croissance, nous devons devenir des partenaires en altérité. Dieu souhaite des vis-à-vis. Si on attend passivement, on risque d’être déçus, si on croit qu’on va tout comprendre de l’autre côté. Il faut faire des efforts ici-bas. On n’entre pas dans la dilatation de l’amour sans avoir fait l’expérience de l’amour maintenant.

Sur cette terre, on a une seule chose à apprendre, aimer. Nous faisons nos classes de l’amour sur cette terre. Si nous disons : ma profession, mes actions en Bourse, seulement, au passage de la mort, nous ne pourrons pas comme cela entrer dans la vision béatifique.

Il faut avoir appris à aimer déjà un peu sur la terre et c’est pourquoi ces femmes de l’Evangile qui ont tant aimé de façon maladroite, sont prêtes. La femme donne, l’homme souvent consomme. La femme donne et cela permet d’entrevoir la disposition du coeur.

Le cardinal Poupard disait : on peut reconnaître à la femme le caractère génial de l’amour, l’intuition profonde de ce qu’est l’amour. Amour filial, sponsial, maternel. C’est intrinsèque à la femme.

Je reviens sur la relation. Quand on a une relation où la vérité de l’être rencontre la vérité d’une parole dévoilée, elle va le dire aux autres. Combien de jeunes disent aussi, parce qu’ils ont rencontré des témoins (témoins connus ou inconnus) qui leur disent une parole de vérité, venez voir un homme qui m’a révélé quelque chose de moi-même. Ils appellent d’autres jeunes. C’est une démarche de vie. Quand on dévoile quelque chose d’existentiel, l’autre le sent et en parle à son tour. C’est important que nous ne parlions pas seulement pour nous-mêmes mais aussi pour d’autres.

Une vraie relation ne met pas en dépendance, mais relève l’autre et lui permet d’être autonome. Que l’autre grandisse et que je ne prenne pas de place en lui. Le Christ relève la Samaritaine de ce qu’elle pensait dégradant en elle. Les paroles de vérité disent juste et cautérisent en même temps. Quand elles sont dites avec la même source que celles du Christ, elles ne sont pas reçues comme un jugement ou une sanction, mais comme un relèvement. Il ne faudrait pas que ce soit des paroles de colère (l’éclatement à l’intérieur de soi entraînerait la division, la blessure pour l’autre). Aucune de ces paroles de vérité blessante si elle est inspirée par la charité. Mais souvent nous voulons avoir un coup de patte sur l’autre et alors ces paroles font mal. Mais les paroles de vérité dites dans la paix sont des paroles libératrices. Et c’est pourquoi la Samaritaine va chercher les autres.

Ensuite Jésus fait le travail avec ses disciples. J’aime beaucoup ce dialogue. Quelqu’un lui aurait-il donné à manger ? On voit là le cercle fermé des amis qui seraient prêts à s’offusquer d’une intrusion.

"Ma nourriture, c’est de faire la volonté de mon père".

Jésus va rentrer dans un registre où il prépare la compréhension de ce pour quoi il est venu : réconcilier l’homme avec l’homme dans tout ce qui est division pour que naisse un regard d’innocence. De nouveau, Jésus fait même travail avec les disciples pour leur faire comprendre qu’il a besoin d’une autre nourriture : la semence, c’est lui et la nourriture, c’est son corps.

A la fin du texte, les villageois diront : "Maintenant ce n’est plus à cause de tes dires que nous croyons mais nous savons..."

C’est une bonne articulation sur les textes qui vont suivre.

La Samaritaine est un témoin qui appelle d’autres hommes, qui sans elle n’auraient pas écouté la Parole du Christ. Pour notre temps, il n’est pas inutile, nous aussi, d'annoncer la Parole qui le fait vivre.

Ai-je soif de rencontrer le Christ et pour quoi faire ?

Les hommes vivent bien sans le Christ. Quelle est l’importance de vouloir rencontrer le Christ ? Il y a en a une au moins pour moi : Ce que dit l’Eglise : Croire qu’Il a vaincu la mort et que nous aussi ressusciterons avec Lui par le Baptême. Est-ce que cela me fait vivre ? J’espère car c’est ce que nous confessons à la messe tous les dimanches. Si ce n’est pas le cas, il faut comprendre pourquoi. Aux catéchumènes, je leur dis, eux qui se trouvent dans les paroisses après deux ans de parcours catéchuménal, que croire au Christ, c’est important. Ma réponse à moi : ce n’est pas une réponse de l’Eglise d’abord, ce qu’il faut faire, mais que chacun réponde au Christ qui lui dit : "M’aimes-tu ?" Chacun. "Est-ce que tu as envie de me suivre ? Est-ce que tu m’aimes ?" Si on dit oui, on change de relation avec les autres, car quand on regarde le Christ agir, on voit une nouvelle manière d’aimer les hommes. Il ne nous a pas laissé une nouvelle religion mais il nous a appris comment nous devons nous aimer les uns les autres. Veut-on faire partie de la famille du Seigneur ? Personne n’est obligé de répondre ou plutôt tous. Certains m’ont dit : J’ai tout eu. Je suis un " vrai catho ". Mais la question est : qu’est-ce que j’ai fait de la vie que j’ai reçue dans le sacrement ? Est-ce que j’ai reçu l’Esprit ?

La grâce qu’on peut se souhaiter mutuellement : non pas avoir reçu seulement des sacrements, mais avoir reçu l’Esprit. On peut souhaiter en recevant les sacrements, recevoir l’Esprit. Recevoir le baptême en Esprit est à souhaiter à chacun d'entre nous. C’est recevoir comme au Cénacle, là où notre coeur est enfermé, le souffle de l’Esprit qui va entrer. Je n’ai plus peur alors de voir qui je suis. La vie que j’ai menée, les choses que j’ai faites et que je n’aurais pas dû faire, tout va devenir source de vie. L’oeuvre de l’Esprit est de nous pousser vers les autres. Cette disposition intérieure fait qu’on est ouvert à ce qui se présente, qu’on voit les signes lumineux qui nous sont donnés.

Sur les signes, je voudrais vous raconter une anecdote que j’ai entendue de Mère Térésa. Une jeune soeur est venue la voir pour lui dire qu’on manquait de riz pour nourrir les 600 personnes présentes. "Allez à l’oratoire", lui dit Mère Térésa. Même si cela ne lui paraît pas très pratique, la jeune soeur y va. Dix minutes plus tard, un monsieur livre dans la cour des sacs de riz et l’un d’eux se déchire. Il frappe en disant : "ce sac de riz je vous le donne". On a pu faire 601 bols de riz, dont un pour le pauvre. On dit : "c’est fantastique, de l’ordre du miracle." Mère Térésa comme bien des mystiques est pratique, et répond : "non, cela ne me surprend pas. Ce qui m’étonnerait c’est le jour où cela s’arrêtera, car ce jour-là, ce sera le jour où je devrais arrêter la mission". Des signes nous sont donnés mais il faut que nous les voyions, et parfois ils sont difficiles à voir. Il y a des signes de Dieu en 97, 98 et plus tard.

 Il est important de ne pas séparer le spirituel de l’humain, car le spirituel est la fine pointe de l’humain. Un vrai spirituel est un maître en humanité qui sait incarner son adhésion personnelle au Christ qui le rend solidaire en humanité avec les autres, qui le rend incarné dans sa vie.

Nous allons maintenant examiner deux autres textes (L’apparition à Marie-Madeleine et les deux disciples d’Emmaüs).

Pour répondre à une question, je dirai que le côté homme est le côté de la manifestation, et le côté femme est le côté caché, qui se manifeste dans la discrétion, mais les hommes devraient souvent faire ce que les femmes disent. Les hommes disent souvent : Ce que je suis devenu, je le suis devenu grâce à ma femme. La manifestation visible de l’homme, c’est la manifestation cachée de la femme. C’est vrai dans le couple, c’est vrai dans les grandes amitiés, comme Jean de La Croix avec Thérèse d’Avila. La puissance de manifestation du Christ (côté masculin) est Sagesse de Dieu (côté féminin) et la Sagesse de Dieu est dans la puissance de manifestation du Christ.

Voici les questions que je vous propose pour aborder ces deux textes. Vous pourriez dire chacun ce qui vous frappe dans la reconnaissance du Christ, comment ces textes font sens pour nous aujourd’hui, pour chacun de nous. J’aimerais que vous ayez la simplicité de dire si ces textes ne vous disent rien. C’est important de le dire. Grâce à vos questions, nous pourrons rebondir et trouver le fondement réel de notre adhésion au Christ. Si nos coeurs sont moins brûlants, peut-être qu’une parole ou l’écoute d’un frère ou d’une soeur peut les réchauffer.

Remontée des carrefours de l’après midi

(Marie-Madeleine, Emmaüs)

Groupe Un

Nous avons travaillé sur ces deux textes : comment reconnaître Jésus, le Christ? Il y a une rencontre et puis ensuite une reconnaissance plus ou moins longue à venir, puis le témoignage. Donc une dimension de reconnaissance, le témoignage et puis.. ensuite ? Différents éléments. Dans le premier texte, voici un flash : divers éléments laissent songeurs. Marie-Madeleine reconnaît très vite Jésus : Ne me touche pas. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela nous a posé question. " Je monte vers mon père et votre père, vers mon Dieu et votre Dieu ". Jésus établit ici un rapport: c’est mon Dieu et c’est aussi le vôtre. Le deuxième texte est un texte qu’on ne lit jamais assez. On croit le connaître. On a été dépossédés, semblent penser les disciples. Jésus arrive et ils ne le reconnaissent pas malgré toute sa pédagogie et Jésus disparaît. Il faut rencontrer les autres et essayer de reconnaître Dieu dans les autres.

Groupe Deux

Le premier point est celui de la reconnaissance : elle est initiée par le Christ lui-même. Chacun est reconnu par le Christ lui-même, de façon distincte. Marie est nommée par son nom. Elle peut ensuite le reconnaître.

" Ne me touche pas ". C’est un passage très mystérieux. Cela évoque la question du temps. Il n’est pas encore parti vers son père. Il est présent tout en n’étant plus là.

Dans le deuxième texte, le récit est moins intimiste que dans le premier. Il passe en revue l’histoire complète de Jésus. Jésus repasse l’histoire du peuple d’Israël.

Il y a dans le premier texte l’annonce à une personne, et dans le deuxième l’annonce à deux personnes puis ensuite à tout le peuple. L’annonce s’élargit à chaque fois.

Problème de la connaissance des personnes liées à la présence de Jésus, mais les personnes restent vraiment distinctes. On ne voit pas Jésus dans les personnes, mais elles sont vraiment elles-mêmes. "Je vais retourner vers mon père". Jésus ne se confond pas.

Langage de la reconnaissance. Pas de facilité du côté de Jésus qui interpelle vigoureusement les disciples. Exigence de l’amour, de la remise en question.

Groupe Trois

Pour le troisième témoignage, encore un homme. Pourtant il y a une majorité de femmes. Ce doit être le fond féminin en moi. La femme suscite, l’homme se lève.

Après la Résurrection, dans les deux cas, les personnages ne reconnaissent pas le Christ, mais ils étaient ses disciples et le recherchent. C’est essentiel.

La reconnaissance du Christ après la mort n’est pas du même ordre qu’avant : elle est de l’ordre de la foi. "Ne me touche pas"... "Notre coeur n’était-il pas tout brûlant ?.." La reconnaissance se fait à l’intérieur des personnes. Dieu est en soi et à l’intérieur des autres.

Le fondement commun, c’est que ce qui est premier dans la reconnaissance, c’est l’Esprit Saint qui agit, qui fait de chacun des membres du Corps et nous permet l’amour du prochain. Souvent on agit d’abord, et on théorise après et on divinise. Théorisation de la foi : est-ce parce qu’on a bac + 5 qu’on doit avoir une foi bac + 5 ? Ou alors la foi est-elle donnée aux pauvres, comme le dit le Christ ?

• Groupe Quatre

Une femme ! Quelqu’un a fait remarquer que dans Emmaüs, Jésus éveille la soif. Jésus fait mine de s’en aller, éveille la soif et prend des risques (que les autres le laissent aller plus loin : la liberté de l’homme est respectée). Dans ces textes, jésus n’est reconnu qu’après un temps de relecture de sa vie dans Emmaüs (pas dans Marie-Madeleine). Quand Jésus est absent, la reconnaissance se fait. Pour notre vie à nous, ces textes sont très riches car ils nous rappellent l’importance d’une relecture du passé à la lumière des Ecritures. C’est là que Jésus explique ce qui se passe et éveille l’attention des hommes. On a évoqué beaucoup ce temps de relecture, de prière, de présence dans l’absence. On s’est aussi posé la question : la fraction du pain dont il est question dans le texte est-elle la Cène ?

C’est souvent aux femmes que le Christ se révèle, révèle qu’il est Fils de Dieu.

• Groupe Cinq

Dans notre groupe, on a rappelé entre autre que le symbolisme de la table est très important. C’est une communauté réunie qui reconnaît Jésus. C’est un signe très important. L’appel se fait au travers d’un groupe réuni. Jésus se fait reconnaître par des gens paumés, découragés, mais qui cherchaient. On a noté l’opposition entre : " Ne me touche pas " dans ce texte et le " Touche " que le Christ dit à Thomas. Jésus s’adresse à chacun d’entre nous d’une manière différente.

- Christiane Baradel

Je vais vous dire un certain nombre de remarques sur ces textes et répondre à quelques questions posées dans le couloir. 

• D’abord une petite remarque sur la Femme. Il y a beaucoup de femmes dans l’Eglise et si elles s’en allaient, la " maison Eglise " présenterait quelques difficultés de fonctionnement. Pourquoi les femmes? Dans la femme, il y a une connivence naturelle avec l’intimité divine. La femme fait fonctionner son coeur. L’homme fait fonctionner aussi son coeur mais par la raison. Ce qui ne veut pas dire que vous n’ayez pas de coeur, messieurs (votre coeur est au contraire très tendre, friable et fragile et c’est pour cela que vous avez besoin de la force de la femme). Mais la femme a une disposition naturelle à croire sans voir. Il n’y a pas là d’exclusion de la femme par rapport à l’homme. Je n’exclue pas l’homme qui a sa manière de transmettre (la transmission sacerdotale se fait par les hommes). Nous les femmes, nous devrions réfléchir à cela. Il y a une connaissance naturelle de la femme. Il n’y a pas de concurrence avec la transmission sacerdotale manifestée en l’homme. Mais il n’y a pas de pouvoir de l’un sur l’autre. Le sacerdoce est un pouvoir de service.

 Marie-Madeleine : elle va au tombeau, voit deux anges : "Pourquoi femme pleures-tu?". Les femmes ont du mal à se retenir. Elle pleure un être cher, elle est dans la souffrance. Marie-Madeleine manifeste sa détresse. Son être cher lui a été ravi. Quand un de nos petits a disparu, où est-il ? Elle voit Jésus, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Elle connaît le Jésus d’avant, mais ne le reconnaît pas. Son regard doit changer. Un premier dialogue s’instaure sur le terrain de la personne qui recherche. "Je viens chercher le corps du Seigneur". Jésus lui dit : "Marie", comme Jésus pourrait le dire à chacun de nous, le nom écrit dans les cieux, le nom de chacun de nous est appelé de la même manière.

A ce nom, Marie répond aussitôt : "Rabbouni". C’est le Maître, c’est celui qu’elle aimait. Elle ne le voit pas, mais le reconnaît à la voix. C’est le même chose pour nous. Quand le Christ nous appelle, nous répondons : Maître, me voici. C’est la même relation. Vous direz : c’est différent. Mais non, ce n’est pas facile. Jésus lui dit : "Ne me touche pas...". C’est une phrase intéressante : quand on retrouve quelqu’un, on a envie de rétablir le contact physique avec l'autre mais Marie-Madeleine doit apprendre la différence entre avant la Résurrection (je peux toucher Jésus) et après la Résurrection. Avant, je pouvais toucher le Christ, lui verser du parfum sur les pieds et la tête... Après, la personne terrestre doit être rendue à la multitude, sans que personne ne puisse mettre la main sur elle.

Où me cherches-tu ? Je serai dans ton coeur. On retrouve là l’adoration en esprit et en vérité dont Jésus parlait à la Samaritaine. Nous n’avons plus à toucher le Christ car il doit remonter vers le Père, mais à découvrir le chemin intérieur pour découvrir le Christ, à fermer les yeux pour que le coeur se mette à entendre. "Je reconnais le Christ qui habite en moi". On passe à une autre modalité. On passe dans le registre de l’Esprit. Pour cela, de Jésus terrestre, il faut qu’il devienne le Christ rendu à tous dans l’Esprit. Il nous faut nous laisser pénétrer par l’Esprit qui est en nous.

C’est un apprentissage difficile à faire. Marie-Madeleine doit prévenir tous les disciples. Marie-Madeleine a réagi avec son coeur : le Maître, l’Ami, elle voulait mettre la main sur Lui. Il va falloir faire autrement. Pour les êtres qui nous sont chers, nous avons d’autres modalités à apprendre. Il faut que les sens du toucher, de l’odorat se convertissent vers une autre reconnaissance de la présence.

Le Christ nous demande de le suivre sur ce chemin par lequel tous les êtres chers nous sont redonnés dans une proximité et une intimité plus grandes qu’avant. C’est difficile, mais c’est ainsi que l’on poursuivra la route avec le Christ.

 Thomas : Je fais ici allusion à Thomas et au toucher. Heureusement qu’il y a eu Thomas. Cela nous permet de nous justifier. Si on le voyait, on croirait mieux, se dit-on. Non, je ne le crois pas. On a une bonne souche avec les apôtres. Je ne crois pas que parce qu’on verrait le Christ, nous croirions. Thomas est vraiment un homme, le côté masculin fait qu’il a besoin de voir. Jésus honore cela. Mais Thomas ne touche pas le Christ glorifié. Il avance la main, mais ne le touche pas, car dans sa démarche de poser la question et de voir, le Christ répond et Thomas fait alors une démarche de conversion et il n’a plus besoin de mettre la main. Ce ne sont pas les signes qui fondent la foi. " Marche et tu croiras ". Mes " païens " de France Telecom pensent que nous sommes fous parce que, pour eux, ils acceptent de croire sur la base de signes. Mais voilà, il faut d’abord se lever et marcher en écoutant la Parole du Christ, apprendre à lire les signes du Christ, pour croire.

 Emmaüs. Le cardinal Lustiger disait un jour à la radio : "j‘aimerais avoir écouté la catéchèse faite par le Christ au disciples d’Emmaüs". Et pourtant, ce n’est pas pour cela qu’ils ont compris. Il passe en revue toute l’histoire de l’Alliance. Le Christ ne s’impose pas. Il suscite un espace et les disciples auraient pu dire : continue ta route. Mais ils lui proposent de rester avec eux.

On m’a dit : Vous, cela a l’air d’être miraculeux, vos rencontres. Je fais modestement à mon niveau ce que fait le Christ: j’accompagne les personnes et je fais semblant de m’en aller. Et certains me disent : pourrais-tu me parler de cela ... qu’est-ce que tu m’as dit à midi, la trinité, c’est quoi ? Il faut être libre, disponible. Je leur réponds : bon, on va partir de votre vie...

La disponibilité, c’est faire que l’on s’en va et si l’autre a envie que vous restiez, il va vous tirer par la manche. Vous avez à faire une démarche discrète et ensuite l’autre décide. Etre heureux du oui et du non. C’est très ignatien. Il faut être très posé. Jésus donc entre avec eux. Leurs yeux s’ouvrirent, ils le reconnurent à la fraction du pain et il disparut. Un pape disait : ces disciples, ils n’ont pas pu voir le Christ après la bénédiction du pain, car ils ont manqué de foi, elle était trop fragile. Si elle avait été plus grande, ils ne se seraient pas figés sur l’image du Christ pour croire.

Or, ils doivent faire l’apprentissage des signes qui nous sont laissés pour reconnaître sa présence et l’apprentissage de la fraction du pain. Par l’absence, le Christ se retirant, les disciples font l’expérience de la mémoire comme chacun d’entre nous. Comme nous quand nous faisons la relecture de notre vie, nous voyons les signes et nous pouvons dire : notre coeur n’était-il pas tout brûlant ?

22:05 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |