LA RÉVOLUTION RELIGIEUSE DES ÉVANGILES. (02/02/2008)
Depuis que l’homme a perdu l’amitié divine en se détournant de son Seigneur, il ne cesse de s’égarer sur des chemins de perdition. Pourtant, « Dieu ne l’a pas abandonné au pouvoir de la mort. Dans sa miséricorde, il a multiplié les alliances avec son peuple, afin qu’il le cherche et puisse le trouver » (cf. Pr. Euch. IV). Hélas, le cœur endurci par le péché, l’homme refuse d’écouter la voix du Seigneur et de se soumettre à ses commandements et à ses lois ; il s’enfonce dans le mal et finit par s’exclure du peuple saint. Seul un petit « reste » persévère dans la fidélité, refusant de « commettre l’iniquité » en « prenant pour refuge le nom du Seigneur » (1ère lect.). Le « juste » est celui qui s’ajuste à Dieu en faisant sa volonté, en épousant ses « mœurs » afin de lui ressembler. Aussi ce « peuple petit et pauvre », ces « humbles du pays » qui « renoncent au mensonge et cherchent la justice et l’humilité » (Ibid.), annoncent-ils le visage paradoxal de l’Emmanuel, le Dieu qui vient à nous comme un enfant et dont nous devinons les traits en égrenant les Béatitudes.
Lorsque Nietzsche caricature le christianisme comme « la religion du ressentiment des pauvres » - entendons : de ceux qui ne peuvent pas s’imposer dans ce monde-ci, et se convainquent que le bonheur les attend dans un autre - il a oublié de lire l’Évangile jusqu’au bout : car c’est à la lumière de la passion de Jésus que les Béatitudes prennent tout leur sens. C’est là que Notre-Seigneur nous révèle en quoi consiste la véritable pauvreté, douceur, compassion, miséricorde, justice, pureté de cœur, patience. Celui qui lit les Béatitudes à la lumière de la Croix, découvre que loin d’être l’éloge d'une tranquillité passive et béate, elles appellent à un engagement radical, concret, exigeant, ardu, proposé pourtant comme chemin de bonheur ; mais d’un bonheur vécu à contre-courant ce la mentalité dominante.
Aujourd’hui comme hier, la charte évangélique - c’est-à-dire les Béatitudes - demeure une pierre d’achoppement. Certes il est de bon ton de louer l’élévation de ces paroles, leur pureté morale, etc. Mais qui d’entre nous a résolument choisi de les vivre, ou du moins de s’engager à gravir cette montagne avec l’aide de la grâce ? Nous admirons ces sentences, mais nous les redoutons bien plus encore, car elles heurtent de front nos valeurs - celles que nous avons héritées de ce monde. Pourtant il est impossible de devenir saints - c’est-à-dire d’accéder à la filiation divine - sans adopter le style de vie de Jésus, qu’il nous dévoile précisément dans ces douze versets. Notre-Seigneur déclare « heureux » ceux qui se trouvent dans une situation que nous redoutons - la pauvreté, le chagrin, la persécution -, ceux dont l’attitude est méprisée par notre société - les doux, les miséricordieux, les cœurs purs -, ou enfin ceux dont le comportement va leur attirer des ennuis - ceux qui ont faim et soif de justice, les artisans de paix. Bref : des hommes et des femmes que menacent l’une ou l’autre forme d’exclusion.
Dans un dernier effort d’inculturation des propos de Jésus on pourrait argumenter qu’il s’agit d’un langage poétique, hyperbolique, qu’il faut interpréter et adapter aux mœurs de notre temps… Peine perdue : il suffit de relire la seconde lecture de la liturgie de ce jour, pour se rendre compte que les Béatitudes sont à prendre au pied de la lettre. Saint Paul souligne que l’Église de Corinthe ne contient pas beaucoup de sages, de puissants ou de nobles - ceux que nous aurions spontanément choisis pour assurer le succès de l’Église naissante ; Dieu tout au contraire s’est plu à appeler « ce qu’il y a de fou, de faible, d’origine modeste, ce qui n’est rien dans le monde, afin que personne ne puisse s’enorgueillir devant lui » (2nd lect.). Tel est le nouvel Israël de Dieu ou plutôt le « Reste d’Israël » (1ère lect.) dont le Christ veut faire son Église. A chacun de nous de vérifier si nous nous reconnaissons dans ce « peuple petit et pauvre » qui ne cherche pas sa propre gloire mais « met son orgueil dans le Seigneur ».
Car c’est bien à nous que s’adressent les Béatitudes. Quand Jésus les proclamait sur la colline de Capharnaüm, il n'avait devant lui que de pauvres gens sans éducation religieuse et qui ne brillaient pas par leurs qualités morales extraordinaires. C'étaient Marie-Madeleine la pécheresse, Zachée le collecteur d’impôt, Matthieu le publicain, des pécheurs du lac de Galilée, des malades, des infirmes, bref : des gens comme vous et moi.
Jésus ne décrit pas ce que vit son auditoire, mais il révèle à ceux qui l’écoutent que leur existence, simple et banale, peut devenir un chemin de sainteté, pourvu qu’ils la vivent à la lumière de ses Paroles de feu. A l’écoute de l’enseignement du Sermon sur la Montagne, nous découvrons qu’un trésor est enfoui dans le champ de notre quotidien, et qu’il ne dépend que de nous de le trouver. Notre-Seigneur nous dit que nous sommes « heureux », non pas malgré nos pauvretés, nos larmes, nos efforts de vivre dans la justice et de garder un cœur pur au milieu de l’immoralité généralisée, notre volonté de pardonner et de faire la paix dans un monde de loups, non pas malgré les humiliations subies en raison de notre appartenance au Christ ; mais que le bonheur se trouve tout au contraire au cœur même de ces situations d’échec apparent, dès lors que nous décidons de les vivre à la lumière de l’Évangile.
Dieu nous invite à venir à lui tels que nous sommes ; car c’est dans notre faiblesse qu’il veut mettre sa force ; dans nos larmes, qu’il veut déposer le germe de sa joie ; dans nos pauvretés, qu’il veut déverser sa richesse ; dans notre péché, qu’il veut offrir son pardon ; dans notre mort qu’il veut faire jaillir sa Vie. Sur nos croix, il a déjà fixé la sienne, afin que la gloire transfigure ce qui faisait notre honte, et que notre humanité mortellement blessée soit immergée dans sa divinité.
Telle est la grande révolution religieuse des Évangiles, et en particulier des Béatitudes, qui devraient complètement renouveler notre image de Dieu.
Dans quelques instants, en présentant le Corps et le Sang de notre Sauveur, le célébrant résumera le chapelet des Béatitudes en une seule : « Heureux les invités au repas du Seigneur ». Oui heureux sommes-nous, car en communiant, nous devenons ce que nous recevons : le corps du Christ pauvre, doux, compatissant, miséricordieux, pacifique.
« Seigneur, donne-nous un cœur assez pur pour te voir dans l’humble Hostie en qui nous trouvons notre justification, et nous aurons la force de témoigner, jusque dans les persécutions, du vrai visage du monde qui vient. »
Père Joseph-Marie.
16:27 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |