Lire Zundel m’a appris à voir le monde avec un regard d'enfant. (21/09/2008)
Comment passe-t-on de la recherche et de l’enseignement à la vie d’un curé de montagne dans le village le plus haut d’Europe, après quinze années dans l’industrie comme ingénieur de recherche en mécanique (hydraulique, nucléaire, acoustique sous-marine, aéro-spatiale).? Il fallait sans doute tomber " Très-bas " pour monter aussi haut. Quelle folie créatrice, quel vide fallait-il traverser pour faire ce passage? Dans quel abîme de désespoir fallait-il être plongé pour aller chercher si haut quelque chose que l’on cherchait ici-bas? Chercheur de vérité et de beauté, ne suis-je pas toujours en marche vers de nouveaux horizons, vers de nouvelles découvertes, de nouveaux visages, toujours émerveillé par la beauté et sensible au désespoir des hommes d’aujourd’hui.
La rencontre de Maurice Zundel m'a permis de sortir d'un regard soi-disant scientifique sur le monde. Soi-disant, car en fait ce regard était un regard rempli de désespérance, fruit d'une éducation trop exclusivement rationnelle. Avec Zundel, je suis progressivement sorti du monde de l'extériorité, de l'horizontalité et du bruit, pour atteindre des sommets de silence et de la solitude. N’oublions pas que Zundel est né et a vécu aux pieds du Jura et des Alpes, à Neufchâtel, à Lausanne et à Bex, entre lac et montagne où la beauté des paysages ouvre le regard sur l’autre coté du monde. En montagne, la nature nous invite à prendre de la hauteur, à changer de perspective, à voir les choses autrement, à passer des vérités de la plaine aux vérités de la montagne.
Lire Zundel m’a appris à voir le monde avec un regard d'enfant, c’est-à-dire avec plus de simplicité et de transparence; Zundel ne sacralise pas, il ne cherche pas à idéaliser, mais il accueille la présence des choses et des êtres dans leur nudité, tels qu’ils adviennent dans leur apparaître. Il ne s’agit pas ici ni de rêver ni de fuir dans un autre monde mais de voir et de vivre, ce monde-ci, autrement. Zundel ne nous fait pas changer de monde, mais plutôt de vision du monde. Il m'a libéré de la simple subjectivité de l’artiste mais surtout de la froide objectivité du scientifique pour m’initier à un regard autre sur un monde Ouvert, Vierge et Transfiguré.
Ce regard zundelien ne vit pas dans un rapport fusionnel avec les choses, ni ne s'en sépare en les jugeant de l'extérieur, mais, simplement, il s'émerveille de leur présence, sans jugement ni exaltation. Ce regard d’espérance, n’est pas une simple illusion, ni un optimisme béat, mais une douce folie, celle de l'évangile; par-delà les illusions et les désillusions, l’enchantement et le désenchantement du monde, Zundel nous apprend à écouter la musique silencieuse des choses, celle que le Verbe chante à travers sa création. Par delà les contradictions de l’existence, Zundel nous initie à une logique autre que celle de la simple rationalité fondée sur le principe d’opposition. Zundel nous fait retrouver dans la grande tradition Taoïste, que l’on rencontre chez Nicolas de Cuse, qui est réconciliation des contraires et coïncidence des opposés. Folie humaine ou divine sagesse? Ou simplement " Docte Ignorance " de l’expérience du vide chez nombres de mystiques d’Orient et d’Occident?
Ne voir que les contradictions ne nous enferme-t-il pas dans le monde clos de la rationalité. Ne voir les choses que du dehors, n'est-ce pas méconnaître leur intériorité et donc la dignité et la grandeur de l'homme, c'est à dire sa liberté. En ne regardant que les oppositions, ne risque-t-on pas de ne voir que la face défigurée du monde en oubliant son coté transfiguré? Notre foi ne nous appelle-t-elle pas, d’abord, à regarder du coté de la Lumière de Pâques? C'est là le pari et peut-être la folie zundelienne. Les signes de désespérance ne sont-ils pas aujourd'hui les traces du Visage défiguré du Christ dans l'agonie de notre civilisation?
Les choses, alors, n'engendrent-elles qu’angoisse du vide et ne plongent-elles pas l'homme dans le néant et l'absurde? Ne sont-elles pas aussi des appels à la liberté et à l’éveil de la conscience. Zundel a ce regard d’éternité, qui sauve l’homme parce qu'il le libère de lui-même, en le libérant de tout jugement sur les événements, sur les autres et sur Dieu. Le monde visible n'est plus clos sur lui-même, il s'ouvre sur l'infini. "L'univers n'est plus qu'un immense sacrement, l'infini est au cœur de la matière transfigurée". Zundel nous apprend à devenir libre des jugements qui nous enferment, et donc vide d’angoisse et rempli d'espérance. Pourquoi croire en quelque chose, dans des espoirs humains quand il nous faut croire en Quelqu'un. Alors le donné est transformé en don, le visible n'est plus désespérant car il est la trace de l'invisible.
Par delà les espoirs et les désespoirs humains, l'espérance zundelienne est une épreuve, celle d’un saut dans le vide,… de l'abandon et de la confiance en la vie. Elle n'est pas seulement une espérance sur un Au-delà, elle se tient dans la pure éclaircie du tombeau Vide, dans l'attente de la résurrection qui est à la fois déjà là et pas encore. "La présence efficace, quelle qu’elle soit, écrivait Heidegger, se tient dans la pure éclaircie du Vide ou du Rien…Ce vide n’est pas l’évacuation du monde, le Rien n’en est pas l’anéantissement, mais la condition de sa manifestation." Le vide est le contrepoids de la pesanteur. Ou plutôt, entre la pesanteur et la grâce, il y a le vide, qui est le centre de gravité de tous les équilibres physiques et spirituels. Depuis Pascal, ce n'est plus la nature qui a horreur du vide, mais la pensée des hommes. Si l'homme désespère, c'est parce qu'il a peur du vide et de la pauvreté, qu'il a peur d'avancer sans voir et sans maîtriser son avenir. Au contraire à l'épreuve de la réalité, Zundel nous montre que le vide, l’abandon et la pauvreté en esprit sont, au cœur de l'être, la condition nécessaire à tout équilibre sur terre comme dans le ciel.
Il y a un temps pour tout, un pour le plein, un pour le vide, il y a un temps pour construire, un temps pour détruire. il y a un temps pour naître et un pour mourir. Un avant et un après. Mais entre les deux il y a le "maintenant", " l’entre-deux " de nos deux mains vides, il y a le temps de vivre la grâce de l’instant présent. Entre le vide et le plein, " il y a ", ce " je ne sais quoi ", ce " presque rien " qui ne mène " nulle part ", sinon à la dynamique créée par la tension entre l’ombre et la lumière. Entre l'absence et la présence, il y a une porte étroite, un vide qui permet de passer de l'autre coté des choses, il y a un saut dans le vide, celui de la foi, comme l’écrit G. Bernanos : "La foi, c’est vingt quatre heures de doute, moins une minute d’espérance". De cette foi de Zundel, jaillit alors son espérance dans l’homme, comme espérance de Dieu. "La vraie vie, alors, ne peut se saisir et la mort ne l'arrête pas. Au delà du tombeau, où le cœur spirituel bat éternellement, des mains invisibles sont tendues vers nous, écrivait Zundel. La vie, par delà les espoirs et les désespoirs humains, aboutit inévitablement à cette rencontre, à cette Présence inépuisablement nouvelle où la personne respire."
François Darbois, le 15 juin 1997
19:45 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |