"Le génie de la prière" (01/11/2008)
Maurice Zundel
La création de l'homme, suivant la conception de Michel-Ange, réalisée au plafond de la Sixtine, concentre tout son mystère dans le doigt de Dieu tendu vers le doigt de l'homme qui reçoit son influx.
Le regard extatique, la tête inclinée dans un mouvement d'ineffable consentement, l'Adam juvénile semble aspirer la vie qui jaillit de l'attouchement divin. Il ne subit pas l'existence, il l'accepte comme un don, en adhérant à la Source de son être avec tout l'élan de son esprit.
On ne pouvait exprimer plus magnifiquement la vocation de l'homme et le prix de sa liberté.
Par notre corps, nous ne sommes qu'un fragment d'univers -- un point dans l'espace, un instant de la durée, une vapeur, un souffle -- et les lois qui régissent la matière dominent sur nous.
Par l'esprit, nous pouvons nous soustraire à cette servitude et mener une vie affranchie de l'espace et du temps.
N'est-ce pas ce que l'art accomplit déjà, d'une certaine manière, en infusant à un peu de matière le rêve immortel du génie qui s'exprime en elle? Mais ce qui est vrai de l'oeuvre est encore plus vrai de l'artiste. C'est en lui-même qu'il doit réaliser son plus beau chef-d'oeuvre: en ouvrant tout son être à l'Infini qui l'appelle, en livrant son coeur à Dieu qui veut y modeler sa Vie.
La prière constitue cette remise et cet abandon, cet affranchissement et cette renaissance, la prière que beaucoup considèrent comme une servitude, et qui est, en vérité, le sacre de notre liberté. Car elle signifie, justement, que nous ne sommes pas enfermés dans le déterminisme du monde physique et livrés à l'étreinte impersonnelle de forces inconscientes, mais enveloppés, au contraire, d'une présence vivifiante et soutenus par une tendresse infinie, avec la possibilité de transformer sans cesse notre dépendance en oblation d'amour.
La prière fait de notre vie un don et nous établit dans une relation filiale avec notre Créateur.
Elle n'a donc point pour fin de renseigner Dieu sur nos besoins, qu'Il connaît infiniment mieux que nous; elle ne se propose pas non plus de l'amener à consentir à leur satisfaction, car sa bonté infinie ne cesse de vouloir notre bien, mais de faire coïncider bien plutôt notre volonté avec la sienne, pour que son amour ait dans le nôtre une réponse de plus en plus parfaite.
[...]
Ce n'est jamais Dieu qui se refuse, c'est toujours l'homme:
"J'étendais chaque jour les mains
vers un peuple rebelle."
La maison dont les volets sont clos en plein jour est encore dans la nuit. Et ce n'est pas la faute du soleil:
"La lumière luit dans les ténèbres
et les ténèbres ne l'ont point comprise."
Pascal a exprimé ce duel prodigieux dans une des phrases les plus tragiques du Mystère de Jésus, où il fait allusion à l'agonie du Sauveur:
"Jésus a prié les hommes et n'en a pas été exaucé."
Dieu nous exauce toujours; c'est nous, hélas! qui demeurons sourds à sa voix, c'est nous, pour reprendre le mot de Pascal, qui ne l'exauçons pas.
Et Il accepte cet exil mystérieux qui bouleverse le coeur des saints:
"Io piango perchè l'Amore non è amato", disait en sanglotant le poète franciscain Giacopone da Todi: "Je pleure parce que l'Amour n'est pas aimé."
Dieu ne veut pas forcer la porte de notre âme. Son règne, en nous, ne peut s'établir sans nous.
(Extrait de "L'Évangile intérieur", 7e édition, Éd. Saint-Augustin, p. 55-57.)
19:19 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |