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RAINER MARIA RILKE. (02/04/2006)

Un ange passe et s’attarde parmi nous

 

Rainer Maria Rilke est significatif pour notre époque, ce poète le plus éloigné dans l’éloignement , le plus élevé dans le sublime, le plus solitaire dans sa solitude,est le contre poids de notre temps. (Marina Tsvétaïva)


Rainer Maria Rilke est surtout connu en France pour ses lettres à un jeune poète qu’il écrivit à 27 ans et beaucoup moins pour des oeuvres bien plus essentielles comme les Cahiers de Malte Laurids Brigge, les Sonnets à Orphée ou les Élégies de Duino.
Certes les traductions en français de Rilke sont légion, mais toutes inéluctablement imparfaites, même celle de Maurice Betz faite sous son contrôle. Car la langue allemande de Rilke est ancrée dans le lyrisme particulier de cette langue et par l’emploi quasi-systématiques de vers rimés impossibles à rendre en français sans préciosité. La rythmique si personnelle qu’il donne à la langue allemande est inapprochable, moderne et évidente à la fois..
Et souvent cette tendresse presque féminine de ses vers n’est rendue que par la mièvrerie.
Rilke, lui-même traducteur éminent, au fond ne désirait pas être traduit. Il aura écrit des poèmes en français (Les Quatrains Valaisans) et là, la magie n’est plus présente.
Sa vie commencée dans la contrainte d’une éducation militaire ne sera plus ensuite qu’une volonté de refus de s’enraciner. Né le 4 décembre 1875 à Prague, il mourra de leucémie le 29 décembre à Valmont ; et non pas en cueillant une rose comme le veut la légende qui l’entoure.
Sa tombe à Rarogne est bien seule, avec une rose qui veille.
Lui le poète autrichien, il sera toujours en partance vers l’ailleurs, toujours en voyage mais toujours sûr de sa mission quasi divine.
Il tutoyait les anges sachant que le beau n’est jamais que le commencement du terrible
Jamais donc il n’aura de demeure, vivant hébergé par des mécènes, indifférent aux possessions terrestres. Il acceptait cette errance et cette solitude, persuadé qu’il devait avant tout, avant tout amour, porter son oeuvre et que l’hospitalité sur terre lui était due, à lui le visionnaire, l’illuminé.
De longs voyages, de nombreuses fréquentations aussi en font le premier véritable poète européen.
Quelques rencontres auront marqué sa vie, donc ses poèmes :
-La découverte de Paris, « la ville souffrance » en 1902, mais où il revint sans cesse, fasciné et effrayé,et l’asservissement à Rodin dont il fut le secrétaire à partir de l’âge de 30 ans
-La fusion à 22 ans avec son âme-sœur Lou Andreas Salomé qui sera la femme révélée et la formatrice véritable du poète. Grâceà elle, il sort de son doux somnambulisme et reçoit le choc de la Russie, du monde.
Sa poésie se densifie et s’élève, ses lettres envoyées à tant de correspondantes sont plus belles que ses jours.
- La rencontre, par lettres seulement, avec Marina Tsétaïva qui le poussera à se dépasser dans les mots contre la douleur, Marina qui se suicidera en Russie après avoir soigneusement caché un seul petit paquet, ses lettres avec Rilke .
D’autres rencontres adviendront (Valéry,..), d’autres amours aussi (Blandine,.. ;) mais le reste de sa vie ne sera qu’une longue méditation sur l’existence humaine, sur la mort qui doit mûrir en nous, que nous devons porter à maturité :
"Donne à chacun sa propre mort/La mort née de sa propre vie, où il connut l'amour et la misère"... " car nous ne sommes que l'écorce, que la feuille, le fruit qui est au centre de tout, c'est la grande mort, que chacun porte en soi »
Vénéré par les poètes, moins connu des autres il est le phare essentiel de la poésie du XXèsiècle. ses paroles sur l’amour, la vie, ses visions spirituelles sont toujours essentielles.
« Nous sommes les abeilles de l'Univers. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l'accumuler dans la grande ruche d'or de l'invisible ».
Rilke, l’archange poète, est diaphane comme insaisissable pour nous les humains . Sa poésie se mérite, car elle ne se donne pas si on n’a pris soi-même connaissance de sa solitude.
Le mieux est maintenant de lui laisser la parole
Quelques poèmes traduits
« Rilke tenait pour une trahison de sa poésie toute traduction qui ne restituerait pas en même temps que sa pensée, le mouvement intérieur, le rythme et la musique de l’original » Cet avertissement de Maurice Betz, ami intime de Rilke nous aura guidé. Tant de poèmes de Rilke ont été traduits malgré tout. Leur musique ne l’aura pas été

Il faudrait les porter longtemps en soi, et tentait de les rendre tout à la fin, simplement, aussi légèrement qu’un adieu.


 

A la musique


Musique :haleine des statues.

Sans doute :sérénité des images
Tu parles là où les paroles finissent.
Toi temps,
planté à la verticale des cœurs qui s’effacent
Pour qui ce sentiment ? O toi sentiment changé en quoi ?
- :en paysage que l’on peut entendre.
Toi l’étrangère :Musique.
Toi poussée en notre espace du cœur.
Toi le plus intime de nous, en nous dépassant tu jaillis au dehors-
adieu sacré :
là l’intérieur nous assiège
comme lointain le plus balisé,
comme l’autre versant de l’air ,
pur
immense
inhabitable désormais


 

livre de pèlerinage


Dans ce village se dresse la dernière maison
si seule comme la dernière maison du monde.
la route, que le petit village ne peut garder
s’en va lentement plus avant dans la nuit.
Ce petit village n’est plus qu’un passage,
empli de pressentiments et de peur
entre deux immensités,
un chemin vers les maisons au lieu d’une passerelle ;
Et ceux qui délaissent ce village, erreront longtemps
et beaucoup sans doute mourront en chemin
Parfois quelqu’un se lève au milieu du soir
et sort et va et va et va
parce qu’une église se dresse à l’orient
et ses enfants le bénissent comme mort
et un autre, qui meurt dans s sa maison,
demeure à l’intérieur, reste à la table et au verre,
alors ses enfants partent de par le monde
vers cette église qu’il a oubliée



Solitude


La solitude est comme une pluie
Elle monte de la mer à la rencontre des soirs,
Des plaines, qui sont lointaines et dispersées
elle va jusqu’au ciel qui toujours la possède
et là du ciel elle retombe sur la ville
Elle se déverse sur les heures indifférenciées
lorsque les rues se tournent vers le matin
Et lorsque les corps qui ne se sont pas trouvés
se détachent l’un de l’autre abusés et tristes
Et lorsque les hommes qui se haïssent
sont obligés de coucher ensemble dans un même et seul lit
Alors la solitude s’en va dans les fleuves


 

Heure grave


Qui à cet instant pleure ici ou là dans le monde
Sans raison pleure dans le monde
pleure sur moi
Qui à cet instant rit ici ou là dans la nuit
Sans raison rit dans la nuit
rit de moi
Qui à cet instant se lève ici ou là dans le monde
Sans raison se lève dans le monde
vient vers moi
qui à cet instant meurt ici ou là dans le monde
sans raison meurt dans le monde
me regarde




automne


Les feuilles tombent, tombent comme des lointains
comme si aux cieux dans des jardins éloignés, tout flétrissait
elles tombent en gestes de refus ;
Et dans les nuits la lourde terre tombe
depuis toutes les étoiles dans la solitude
Nous tous nous tombons.

Cette main là tombe
et vois les autres aussi : cela est en elles toutes
et pourtant il est quelqu’un, qui retient toute cette chute
dans ses mains avec une douceur infinie



livre d’heures


Alors que feras –tu Dieu si je meurs ?
Je suis la cruche (si je me brise ?)
Je suis la boisson (si je m’altère ?)
Je suis ton habit ton commerce,
Avec moi perdu tu perdrais ton sens .
après moi tu n’auras plus de maison,
où les mots proches et chaleureux te salueraient.
De tes pieds fatigués tombera
cette sandale en velours qui est moi
ton grand manteau te quittera,
ton regard, que je réchauffe avec mes joues
que je reçois comme une couche
voudra venir, me cherchera, longuement-
et se posera contre le coucher de soleil
avec des pierres inconnues au creux de lui-même.
Alors que feras-tu Dieu ? J’ai très peur



Jour d’automne


Seigneur il est maintenant temps.
L’été fut très grand
Repose ton ombre sur les cadrans solaires
et détache les vents sur les plaines
Ordonne aux derniers fruits d’être pleins
accorde-leur encore deux jours du sud
Force-les à la plénitude et chasse
les derniers douceurs dans le vin lourd
Qui maintenant n’a point de maison, n’en bâtira plus
qui maintenant est seul, le restera longtemps
il veillera; lira, écrira de longues lettres
et inquiet, fera les cent pas dans les allées
quand les feuilles tournent en rond



Le chant de la mer


Souffle aussi vieux que le monde et venant de la mer
vent de mer dans la nuit
tu ne viens pour personne
si quelqu’un veille
alors il doit savoir, comment il te surmonte
Souffle aussi vieux que le monde et venant de la mer
qui souffle seulement pour faire résonner
les pierres antiques haut et fort
les déchirant d’infini
O combien il te ressent
le figuier noué au sol
la-haut au clair de lune



Sonnet à Orphée 9
seul celui qui a tenu haut la lyre
aussi au milieu des ombres
a le droit de dire
le présage de la louange infinie
seul qui avec les morts pavots mangea,
du leur mangea
ne perdra plus à nouveau
le plus léger des sons
Aussi le reflet de l’étang
peut souvent s’estomper :
Sache l’image
Alors dans les étendues doubles
les voix se feront
éternelles et douces



ÉLÉGIE À MARINA TSVÉTAÏEVA


Marina, toutes ces pertes dans le grand tout, toutes ces chutes d’étoiles
Nous pouvons partout nous jeter, quelque que soit l’étoile,
nous ne pouvons l’accroître !,
Dans le grand tout les comptes sont fermés.
Ainsi qui tombe ne diminue pas le chiffre sacré.
Toute chute qui renonce choit dans l’origine et,là, guérit.
Tout ne serait donc que jeu, métamorphose du semblable, transfert
Jamais un nom nulle part, le moindre gain pour soi-même
Nous vagues Marina, et mer nous sommes !
Nous profondeurs, et ciel nous sommes !
Nous terre, Marina, et printemps mille fois,
ces alouettes lancées dans l’invisible par l’irruption du chant
Nous l’entonnons avec joie, et déjà il nous a dépassé
et soudain notre pesanteur rabat le chant en plainte...
Rien n'est à nous. A peine si nous posons notre main autour
du cou des fleurs non cueillies...
Ah déjà si loin emportés, Marina, si ailleurs, même sous la plus fervente raison. Faiseurs de signes, rien de plus.
Cette tache légère, quand l'un de nous ne le supporte plus et se décide à prendre,
se venge et tue. Qu'elle ait pouvoir de mort, en effet, nous l'avions tous compris à voir, sa retenue, sa tendresse
et la force étrange qui fait de nous vivants des survivants...
Les amants ne devraient, Marina, ne doivent pas en savoir trop sur leur déclin. Ils doivent être neufs.
Leur tombe seule est vieille, leur tombe seule se souvient, s’obscurcissant sous l’arbre qui pleure, se souvient du « à jamais ».
Leur tombe seule se brise ;...
nous sommes devenus pleins comme le disque de la lune. Même à la phase décroissante, ou aux semaines du changement,
nul qui puisse nous rendre à la plénitude, sinon nos pas solitaires, au-dessus du paysage sans sommeil.


 

Seigneur donne à chacun


O seigneur donne à chacun sa mort à lui
sa mort qui vienne de sa propre vie
où il connut amour, sens et détresse
Car nous ne sommes que l’écorce et la feuille.
La grande mort, que chacun porte en lui,
là est le fruit autour de qui tout gravite.
C’est pour lui qu’un jour les jeunes filles se lèvent
et viennent comme un arbre sortant de la lyre
et les garçons pour lui désirent devenir homme
et les femmes deviennent pour ceux qui ont grandi
confidentes des peurs, qui sinon personne n’aurait pu prendre.
C’est pour lui que demeure éternel ce qui fut entrevu,
quand bien-même écoulé depuis longtemps
Et quiconque, qui modela et bâti,
devint monde par ce fruit
il fut et gel et fonte
et il venta, il brilla, en lui
Toutes les chaleurs entrèrent en lui
Le cœur et le cerveau brûlant de blancheur-
Pourtant tes anges passèrent comme nuées d’oiseaux
et ils trouvèrent vert tous les fruits.


 

Morceau de fin


la mort est grande
nous lui appartenons
bouche riante
quand nous nous croyons
au milieu de la vie
elle ose pleurer
au beau milieu de nous



 

11:10 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : SPIRITUALITÉ DE LA LIBÉRATION. |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |