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JEAN-PAUL II ET LE ROSAIRE ( suite ). (28/10/2007)

 L'énonciation du mystère

 

29. Énoncer le mystère, et peut-être même pouvoir regarder en même temps une image qui le représente, c'est comme camper un décor sur lequel se concentre l'attention. Les paroles guident l'imagination et l'esprit vers cet épisode déterminé ou ce moment de la vie du Christ. Dans la spiritualité qui s'est développée dans l'Église, que ce soit la vénération des icônes, les nombreuses dévotions riches d'éléments sensibles ou encore la méthode elle-même proposée par saint Ignace de Loyola dans les Exercices spirituels, toutes ont eu recours à l'élément visuel et à l'imagination (la compositio loci), le considérant d'une grande aide pour favoriser la concentration de l'esprit sur le mystère. Il s'agit d'ailleurs d'une méthodologie qui correspond à la logique même de l'Incarnation: en Jésus, Dieu a voulu prendre des traits humains. C'est à travers sa réalité corporelle que nous sommes conduits à entrer en contact avec son mystère divin.

À cette exigence concrète répond aussi l'énonciation des différents mystères du Rosaire. Ils ne remplacent certainement pas l'Évangile et ils n'en rappellent même pas toutes les pages. Le Rosaire ne remplace pas non plus la lectio divina, mais il la présuppose et il la promeut. Et si les mystères contemplés dans le Rosaire, y compris le complément des mysteria lucis, se limitent aux lignes maîtresses de la vie du Christ, grâce à eux l'esprit peut facilement embrasser le reste de l'Évangile, surtout quand le Rosaire est récité dans des moments particuliers de recueillement prolongé.

 

L'écoute de la Parole de Dieu

 

30. Pour donner un fondement biblique et une profondeur plus grande à la méditation, il est utile que l'énoncé du mystère soit suivi de la proclamation d'un passage biblique correspondant qui, en fonction des circonstances, peut être plus ou moins important. Les autres paroles en effet n'atteignent jamais l'efficacité particulière de la parole inspirée. Cette dernière doit être écoutée avec la certitude qu'elle est Parole de Dieu, prononcée pour aujourd'hui et " pour moi ".

 

Ainsi écoutée, elle entre dans la méthodologie de répétition du Rosaire, sans susciter l'ennui qui serait produit par le simple rappel d'une information déjà bien connue. Non, il ne s'agit pas de faire revenir à sa mémoire une information, mais de laisser "parler" Dieu. Dans certaines occasions solennelles et communautaires, cette parole peut être illustrée de manière heureuse par un bref commentaire.

 

Le silence

 

31. L'écoute et la méditation se nourrissent du silence. Après l'énonciation du mystère et la proclamation de la Parole, il est opportun de s'arrêter pendant un temps significatif pour fixer le regard sur le mystère médité, avant de commencer la prière vocale. La redécouverte de la valeur du silence est un des secrets de la pratique de la contemplation et de la méditation. Dans une société hautement marquée par la technologie et les médias, il reste aussi que le silence devient toujours plus difficile. De même que dans la liturgie sont recommandés des moments de silence, de même, après l'écoute de la Parole de Dieu, une brève pause est opportune dans la récitation du Rosaire, tandis que l'esprit se fixe sur le contenu d'un mystère déterminé.

 

Le " Notre Père "

 

32. Après l'écoute de la Parole et la focalisation sur le mystère, il est naturel que l'esprit s'élève vers le Père. En chacun de ses mystères, Jésus nous conduit toujours au Père, auquel il s'adresse continuellement, parce qu'il repose en son "sein" (cf. Jn1,18). Il veut nous introduire dans l'intimité du Père, pour que nous disions comme Lui: " Abba, Père " (Rm 8,15; Ga 4,6). C'est en rapport avec le Père qu'il fait de nous ses frères et qu'il nous fait frères les uns des autres, en nous communiquant l'Esprit qui est tout à la fois son Esprit et l'Esprit du Père.

 

Le " Notre Père ", placé pratiquement comme au fondement de la méditation christologique et mariale qui se développe à travers la répétition de l'Ave Maria, fait de la méditation du mystère, même accomplie dans la solitude, une expérience ecclésiale.

 

Les dix " Ave Maria "

 

33. C'est tout à la fois l'élément le plus consistant du Rosaire et celui qui en fait une prière mariale par excellence. Mais précisément à la lumière d'une bonne compréhension de l'Ave Maria, on perçoit avec clarté que le caractère marial, non seulement ne s'oppose pas au caractère christologique, mais au contraire le souligne et le met en relief. En effet, la première partie de l'Ave Maria, tirée des paroles adressées à Marie par l'Ange Gabriel et par sainte Élisabeth, est une contemplation d'adoration du mystère qui s'accomplit dans la Vierge de Nazareth. Ces paroles expriment, pour ainsi dire, l'admiration du ciel et de la terre, et font, en un sens, affleurer l'émerveillement de Dieu contemplant son chef d'œuvre – l'incarnation du Fils dans le sein virginal de Marie –, dans la ligne du regard joyeux de la Genèse (cf. Gn1,31), de l'originel " pathos avec lequel Dieu, à l'aube de la création, a regardé l'œuvre de ses mains ".36 Dans le Rosaire, le caractère répétitif de l'Ave Marie nous fait participer à l'enchantement de Dieu: c'est la jubilation, l'étonnement, la reconnaissance du plus grand miracle de l'histoire. Il s'agit de l'accomplissement de la prophétie de Marie: " Désormais tous les âges me diront bienheureuse " (Lc1,48). 

 

Le centre de gravité de l'Ave Maria, qui est presque comme une charnière entre la première et la seconde partie, est le nom de Jésus. Parfois, lors d'une récitation faite trop à la hâte, ce centre de gravité disparaît, et avec lui le lien au mystère du Christ qu'on est en train de contempler. Mais c'est justement par l'accent qu'on donne au nom de Jésus et à son mystère que l'on distingue une récitation du Rosaire significative et fructueuse. Dans l'exhortation apostolique Marialis cultus, Paul VI rappelait déjà l'usage pratiqué dans certaines régions de donner du relief au nom du Christ, en ajoutant une clausule évocatrice du mystère que l'on est en train de méditer.37 C'est une pratique louable, spécialement dans la récitation publique. Elle exprime avec force la foi christologique appliquée à divers moments de la vie du Rédempteur. Il s'agit d'une profession de foi et, en même temps, d'une aide pour demeurer vigilant dans la méditation, qui permet de vivre la fonction d'assimilation, inhérente à la répétition de l'Ave Maria, en regard du mystère du Christ. Répéter le nom de Jésus – l'unique nom par lequel il nous est donné d'espérer le salut (cf. Ac 4,12) –, étroitement lié à celui de sa Très Sainte Mère, et en la laissant presque elle-même nous le suggérer, constitue un chemin d'assimilation, qui vise à nous faire entrer toujours plus profondément dans la vie du Christ. 

 

C'est de la relation très spécifique avec le Christ, qui fait de Marie la Mère de Dieu, la Theotòkos, que découle ensuite la force de la supplication avec laquelle nous nous adressons à elle dans la seconde partie de la prière, confiant notre vie et l'heure de notre mort à sa maternelle intercession.

 

Le " Gloria "

 

34. La doxologie trinitaire est le point d'arrivée de la contemplation chrétienne. Le Christ est en effet le chemin qui conduit au Père dans l'Esprit. Si nous parcourons en profondeur ce chemin, nous nous retrouvons sans cesse devant le mystère des trois Personnes divines à louer, à adorer et à remercier. Il est important que le Gloria, sommet de la contemplation, soit bien mis en relief dans le Rosaire. Lors de la récitation publique, il pourrait être chanté, pour mettre en évidence de manière opportune cette perspective qui structure et qualifie toute prière chrétienne.

 

Dans la mesure où la méditation du mystère a été attentive, profonde, ravivée – d'Ave en Ave – par l'amour pour le Christ et pour Marie, la glorification trinitaire après chaque dizaine, loin de se réduire à une rapide conclusion, acquiert une juste tonalité contemplative, comme pour élever l'esprit jusqu'au Paradis et nous faire revivre, d'une certaine manière, l'expérience du Thabor, anticipation de la contemplation future: " Il est heureux que nous soyons ici ! " (Lc9,33).

 

L'oraison jaculatoire finale

 

35. Dans la pratique courante du Rosaire, la doxologie trinitaire est suivie d'une oraison jaculatoire, qui varie suivant les circonstances. Sans rien enlever à la valeur de telles invocations, il semble opportun de noter que la contemplation des mystères sera plus féconde si on prend soin de faire en sorte que chaque mystère s'achève par une prière destinée à obtenir les fruits spécifiques de la méditation de ce mystère. Le Rosaire pourra ainsi manifester avec une plus grande efficacité son lien avec la vie chrétienne. Cela est suggéré par une belle oraison liturgique, qui nous invite à demander de pouvoir parvenir, par la méditation des mystères du Rosaire, à " imiter ce qu'ils contiennent et à obtenir ce qu'ils promettent ".38 

 

Une telle prière finale pourra s'inspirer d'une légitime variété, comme cela se fait déjà. En outre, le Rosaire acquiert alors une expression plus adaptée aux différentes traditions spirituelles et aux diverses communautés chrétiennes. Dans cette perspective, il est souhaitable que se répandent, avec le discernement pastoral requis, les propositions les plus significatives, par exemple celles qui sont utilisées dans les centres et sanctuaires mariaux particulièrement attentifs à la pratique du Rosaire, si bien que le peuple de Dieu puisse bénéficier de toutes ses richesses spirituelles authentiques, en y puisant une nourriture pour sa contemplation.

 

Le chapelet

 

36. Le chapelet est l'instrument traditionnel pour la récitation du Rosaire. Une pratique par trop superficielle conduit à le considérer souvent comme un simple instrument servant à compter la succession des Je vous salue Marie. Mais il veut aussi exprimer un symbolisme qui peut donner un sens nouveau la contemplation.

 

À ce sujet, il faut avant tout noter que le chapelet converge vers le Crucifié, qui ouvre ainsi et conclut le chemin même de la prière. La vie et la prière des croyants sont centrées sur le Christ. Tout part de Lui; tout tend vers Lui; et par Lui, tout, dans l'Esprit Saint, parvient au Père.

 

En tant qu'instrument servant à compter, qui scande la progression de la prière, le chapelet évoque le chemin incessant de la contemplation et de la perfection chrétiennes. Le bienheureux Bartolo Longo voyait aussi le chapelet comme une " chaîne " qui nous relie à Dieu. Une chaîne, certes, mais une douce chaîne; car tel est toujours la relation avec Dieu qui est Père. Une chaîne "filiale", qui nous accorde à Marie, la " servante du Seigneur " (Lc 1, 38) et, en définitive, au Christ lui-même qui, tout en étant Dieu, s'est fait " serviteur " par amour pour nous (Ph2,7).

 

Il est beau également d'étendre la signification symbolique du chapelet à nos relations réciproques; par lui nous est rappelé le lien de communion et de fraternité qui nous unit tous dans le Christ.

 

Début et fin

 

37. Dans la pratique courante, les manières d'introduire le Rosaire sont variées, selon les différents contextes ecclésiaux. Dans certaines régions, on commence habituellement par l'invocation du Psaume 69[70]: " Dieu, viens à mon aide; Seigneur, à notre secours ", comme pour nourrir chez la personne qui prie l'humble conscience de sa propre indigence; dans d'autres lieux, au contraire, le Rosaire débute par la récitation du Credo, comme pour mettre la profession de foi au point de départ du chemin de contemplation que l'on entreprend. Dans la mesure où elles disposent bien l'esprit à la contemplation, ces formes et d'autres semblables sont des usages également légitimes. La récitation se conclut par la prière aux intentions du Pape, afin d'élargir le regard de celui qui prie aux vastes horizons des nécessités ecclésiales. C'est justement pour encourager cette ouverture ecclésiale du Rosaire que l'Église a voulu l'enrichir d'indulgences à l'intention de ceux qui le récitent avec les dispositions requises.

 

En effet, s'il est ainsi vécu, le Rosaire devient vraiment un parcours spirituel, dans lequel Marie se fait mère, guide, maître, et elle soutient le fidèle par sa puissante intercession. Comment s'étonner du besoin ressenti par l'âme, à la fin de cette prière dans laquelle elle a fait l'expérience intime de la maternité de Marie, d'entonner une louange à la Vierge Marie, que ce soit la splendide prière du Salve Regina ou celle des Litanies de Lorette ? C'est le couronnement d'un chemin intérieur, qui a conduit le fidèle à un contact vivant avec le mystère du Christ et de sa Mère très sainte.

 

La répartition dans le temps

 

38. Le Rosaire peut être récité intégralement chaque jour, et nombreux sont ceux qui le font de manière louable. Il parvient ainsi à remplir de prière les journées de nombreux contemplatifs, ou à tenir compagnie aux malades et aux personnes âgées, qui disposent de beaucoup de temps. Mais il est évident – et ceci vaut d'autant plus si on ajoute le nouveau cycle des mysteria lucis – que beaucoup ne pourront en réciter qu'une partie, selon un certain ordre hebdomadaire. Cette répartition hebdomadaire finit par donner aux différentes journées de la semaine une certaine " couleur " spirituelle, comme le fait de manière analogue la liturgie avec les diverses étapes de l'année liturgique.

 

Selon l'usage courant, le lundi et le jeudi sont consacrés aux " mystères joyeux ", le mardi et le vendredi aux " mystères douloureux ", le mercredi, le samedi et le dimanche aux " mystères glorieux ". Où insérer les " mystères lumineux "? Considérant que les mystères glorieux sont proposés deux jours de suite, le samedi et le dimanche, et que le samedi est traditionnellement un jour à fort caractère marial, on peut conseiller de déplacer au samedi la deuxième méditation hebdomadaire des mystères joyeux, dans lesquels la présence de Marie est davantage accentuée. Ainsi, le jeudi reste opportunément libre pour la méditation des mystères lumineux.

 

Cette indication n'entend pas toutefois limiter une certaine liberté dans la méditation personnelle et communautaire, en fonction des exigences spirituelles et pastorales, et surtout des fêtes liturgiques qui peuvent susciter d'heureuses adaptations. L'important est de considérer et d'expérimenter toujours davantage le Rosaire comme un itinéraire de contemplation. Par lui, en complément de ce qui se réalise dans la liturgie, la semaine du chrétien, enracinée dans le dimanche, jour de la résurrection, devient un chemin à travers les mystères de la vie du Christ, qui se manifeste dans la vie de ses disciples comme le Seigneur du temps et de l'histoire.

CONCLUSION

 

" Rosaire béni de Marie, douce chaîne qui nous relie à Dieu "

 

39.Ce qui a été dit jusqu'ici exprime amplement la richesse de cette prière traditionnelle, qui a la simplicité d'une prière populaire, mais aussi la profondeur théologique d'une prière adaptée à ceux qui perçoivent l'exigence d'une contemplation plus mûre. L'Église a toujours reconnu à cette prière une efficacité particulière, lui confiant les causes les plus difficiles dans sa récitation communautaire et dans sa pratique constante. En des moments où la chrétienté elle-même était menacée, ce fut à la force de cette prière qu'on attribua l'éloignement du danger, et la Vierge du Rosaire fut saluée comme propitiatrice du salut.

 

Aujourd'hui, comme j'y ai fait allusion au début, je recommande volontiers à l'efficacité de cette prière la cause de la paix dans le monde et celle de la famille.

 

La paix

 

40. Les difficultés que la perspective mondiale fait apparaître en ce début de nouveau millénaire nous conduisent à penser que seule une intervention d'en haut, capable d'orienter les cœurs de ceux qui vivent des situations conflictuelles et de ceux qui régissent le sort des Nations, peut faire espérer un avenir moins sombre.

 

Le Rosaire est une prière orientée par nature vers la paix, du fait même qu'elle est contemplation du Christ, Prince de la paix et " notre paix " (Ep 2,14). Celui qui assimile le mystère du Christ – et le Rosaire vise précisément à cela – apprend le secret de la paix et en fait un projet de vie. En outre, en vertu de son caractère méditatif, dans la tranquille succession des Ave Maria, le Rosaire exerce sur celui qui prie une action pacificatrice qui le dispose à recevoir cette paix véritable, qui est un don spécial du Ressuscité (cf.Jn 14,27; 20,21), et à en faire l'expérience au fond de son être, en vue de la répandre autour de lui.

 

Le Rosaire est aussi une prière de paix en raison des fruits de charité qu'il produit. S'il est bien récité comme une vraie prière méditative, le Rosaire, en favorisant la rencontre avec le Christ dans ses mystères, ne peut pas ne pas indiquer aussi le visage du Christ dans les frères, en particulier dans les plus souffrants. Comment pourrait-on fixer, dans les mystères joyeux, le mystère de l'Enfant né à Bethléem sans éprouver le désir d'accueillir, de défendre et de promouvoir la vie, en se chargeant de la souffrance des enfants de toutes les parties du monde? Comment, dans les mystères lumineux, pourrait-on suivre les pas du Christ qui révèle le Père sans s'engager à témoigner de ses " béatitudes " dans la vie de chaque jour? Et comment contempler le Christ chargé de la Croix et crucifié sans ressentir le besoin de se faire le " Cyrénéen " de tout frère brisé par la souffrance ou écrasé par le désespoir? Enfin, comment pourrait-on fixer les yeux sur la gloire du Christ ressuscité et sur Marie couronnée Reine sans éprouver le désir de rendre ce monde plus beau, plus juste et plus proche du dessein de Dieu?

 

En réalité, tandis qu'il nous conduit à fixer les yeux sur le Christ, le Rosaire nous rend aussi bâtisseurs de la paix dans le monde. Par sa caractéristique de supplication communautaire et insistante, pour répondre à l'invitation du Christ " à toujours prier sans se décourager " (Lc 18, 1), il nous permet d'espérer que, même aujourd'hui, une "bataille" aussi difficile que celle de la paix pourra être gagnée. Loin d'être une fuite des problèmes du monde, le Rosaire nous pousse à les regarder avec un œil responsable et généreux, et il nous obtient la force de les affronter avec la certitude de l'aide de Dieu et avec la ferme intention de témoigner en toutes circonstances de " l'amour, lui qui fait l'unité dans la perfection " (Col 3,14).

 

La famille: les parents...

 

41. Prière pour la paix, le Rosaire est aussi, depuis toujours, la prière de la famille et pour la famille. Il fut un temps où cette prière était particulièrement chère aux familles chrétiennes et en favorisait certainement la communion. Il ne faut pas perdre ce précieux héritage. Il faut se remettre à prier en famille et à prier pour les familles, en utilisant encore cette forme de prière.

 

Si, dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, j'ai encouragé même les laïcs à célébrer la Liturgie des Heures dans la vie ordinaire des communautés paroissiales et des divers groupes chrétiens,39je désire faire la même chose pour le Rosaire. Il s'agit de deux voies de la contemplation chrétienne qui ne s'opposent pas, mais se complètent. Je demande donc à ceux qui se consacrent à la pastorale des familles de suggérer avec conviction la récitation du Rosaire.

 

La famille qui est unie dans la prière demeure unie. Par tradition ancienne, le saint Rosaire se prête tout spécialement à être une prière dans laquelle la famille se retrouve. Les membres de celle-ci, en jetant véritablement un regard sur Jésus, acquièrent aussi une nouvelle capacité de se regarder en face, pour communiquer, pour vivre la solidarité, pour se pardonner mutuellement, pour repartir avec un pacte d'amour renouvelé par l'Esprit de Dieu.

 

De nombreux problèmes des familles contemporaines, particulièrement dans les sociétés économiquement évoluées, dépendent du fait qu'il devient toujours plus difficile de communiquer. On ne parvient pas à rester ensemble, et les rares moments passés en commun sont absorbés par les images de la télévision. Recommencer à réciter le Rosaire en famille signifie introduire dans la vie quotidienne des images bien différentes, celles du mystère qui sauve: l'image du Rédempteur, l'image de sa Mère très sainte. La famille qui récite le Rosaire reproduit un peu le climat de la maison de Nazareth: on place Jésus au centre, on partage avec lui les joies et les souffrances, on remet entre ses mains les besoins et les projets, on reçoit de lui espérance et force pour le chemin. 

 

... et les enfants

 

42. Il est beau et fécond également de confier à cette prière le chemin de croissance des enfants. Le Rosaire n'est-il pas l'itinéraire de la vie du Christ, de sa conception à sa mort, jusqu'à sa résurrection et à sa glorification? Il devient aujourd'hui toujours plus ardu pour les parents de suivre leurs enfants dans les diverses étapes de leur vie. Dans notre société de technologie avancée, des médias et de la mondialisation, tout est devenu si rapide, et la distance culturelle entre les générations se fait toujours plus grande. Les messages les plus divers et les expériences les plus imprévisibles envahissent la vie des enfants et des adolescents, et pour les parents il devient parfois angoissant de faire face aux risques qu'ils courent. Il n'est pas rare qu'ils soient conduits à faire l'expérience de déceptions cuisantes, en constatant les échecs de leurs enfants face à la séduction de la drogue, aux attraits d'un hédonisme effréné, aux tentations de la violence, aux expressions les plus variées du non-sens et du désespoir.

 

Prier le Rosaire pour ses enfants, et mieux encore avec ses enfants, en les éduquant depuis leur plus jeune âge à ce moment quotidien de " pause priante " de la famille, n'est certes pas la solution de tous les problèmes, mais elle constitue une aide spirituelle à ne pas sous-estimer. On peut objecter que le Rosaire apparaît comme une prière peu adaptée au goût des adolescents et des jeunes d'aujourd'hui. Mais l'objection vient peut-être d'une façon de le réciter souvent peu appliquée. Du reste, étant sauve sa structure fondamentale, rien n'empêche, pour les enfants et les adolescents, que la récitation du Rosaire –que ce soit en famille ou en groupes – s'enrichisse de possibles aménagements symboliques et concrets, qui en favorisent la compréhension et la mise en valeur. Pourquoi ne pas l'essayer? Une pastorale des jeunes qui n'est pas défaitiste, mais passionnée et créative – les Journées mondiales de la Jeunesse m'en ont donné la mesure! – est capable de faire, avec l'aide de Dieu, des choses vraiment significatives. Si le Rosaire est bien présenté, je suis sûr que les jeunes eux- mêmes seront capables de surprendre encore une fois les adultes, en faisant leur cette prière et en la récitant avec l'enthousiasme caractéristique de leur âge.

Le Rosaire, un trésor à redécouvrir

 

43. Chers frères et sœurs! Une prière aussi facile, et en même temps aussi riche, mérite vraiment d'être redécouverte par la communauté chrétienne. Faisons-le surtout cette année, en accueillant cette proposition comme un affermissement de la ligne tracée dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, dont de nombreuses Églises particulières se sont inspirées dans leurs projets pastoraux pour planifier leurs engagements dans un proche avenir.

 

Que mon appel ne reste pas lettre morte! Au début de la vingt-cinquième année de mon Pontificat, je remets cette Lettre apostolique entre les mains sages de la Vierge Marie, m'inclinant spirituellement devant son image dans le splendide sanctuaire qui lui a été édifié par le bienheureux Bartolo Longo, apôtre du Rosaire. Je fais volontiers miennes les paroles touchantes par lesquelles il termine la célèbre Supplique à la Reine du Saint Rosaire: " Ô Rosaire béni par Marie, douce chaîne qui nous relie à Dieu, lien d'amour qui nous unit aux Anges, tour de sagesse face aux assauts de l'enfer, havre de sécurité dans le naufrage commun, nous ne te lâcherons plus. Tu seras notre réconfort à l'heure de l'agonie. À toi, le dernier baiser de la vie qui s'éteint. Et le dernier accent sur nos lèvres sera ton nom suave, ô Reine du Rosaire de Pompéi, ô notre Mère très chère, ô refuge des pécheurs, ô souveraine Consolatrice des affligés. Sois bénie en tout lieu, aujourd'hui et toujours, sur la terre et dans le ciel ".

 

Du Vatican, le 16 octobre 2002, début de la vingt-cinquième année de mon Pontificat.

JEAN-PAUL II

 

 

1 Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n.45.

 

2 Paul VI, Exhort. apost. Marialis cultus (2 février 1974), n.42: AAS 66 (1974), p.153: La Documentation catholique 71 (1974), p.314.

 

3 Cf. Acta Leonis XIII, 3 (1884), pp.280-289.

 

4 En particulier, il est bon de noter sa Lettre apostolique sur le Rosaire: Il religioso convegno (29 septembre 1961): AAS 53 

 

5 Angelus: Insegnamenti(1978), pp.75-76: La Documentation catholique 75 (1978), p.958.

 

6 AAS93 (2001), p.285: La Documentation catholique 98 (2001), p.78.

 

7 Au cours des années de préparation du Concile, JeanXXIII n'avait pas manqué d'inviter la communauté chrétienne à la récitation du Rosaire pour la réussite de cet événement ecclésial: cf. Lettre au Cardinal Vicaire de Rome, 28 septembre 1960: AAS 52 (1960), pp.814-817: La Documentation catholique 57 (1960), col. 1249-1252.

 

8 Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n.66.

 

9 Lettre apost. Novo millennio ineunte, n.32: AAS 93 (2001), p.288: La Documentation catholique 98 (2001), p.79.

 

10 Ibid., n.33: l.c., p.289: La Documentation catholique 98 (2001), p.80.

 

11 Comme on le sait, il faut rappeler que les révélations privées ne sont pas de la même nature que la révélation publique, qui constitue une norme pour toute l'Église. Il est du devoir du Magistère de discerner et de reconnaître, pour la piété des fidèles, l'authenticité et la valeur des révélations privées.

 

12 Le secret admirable du très saint Rosaire pour se convertir et se sauver: S. Louis Marie Grignion de Montfort, Œuvres complètes, Paris (1966), pp.263-389.

 

13 Histoire du Sanctuaire de Pompéi, Pompéi (1990), p.59.

 

14 Exhort. apost. Marialis cultus (2 février 1974), n.47: AAS 66 (1974), p.156: La Documentation catholique 71 (1974), p.315.

 

15 Constitution sur la Liturgie Sacrosanctum Concilium, n.10.

 

16 Ibid., n.12.

 

17 Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n.58.

 

18 Les quinze samedis du Saint Rosaire, 27.

 

19 Conc. œcum. Vat. II, Const. dogmatique sur l'Église Lumen gentium,n.53.

 

20 Ibid., n.60.

 

21 Cf. Premier radiomessage Urbi et Orbi (17 octobre 1978): AAS 70 (1978), p.927: La Documentation catholique 75 (1978), p.905.

 

22 Traité de la vraie dévotion à Marie, n.120, Paris (1966), pp.562-563.

 

23 Catéchisme de l'Église catholique, n.2679.

 

24 Ibid., n.2675.

 

25 La Supplique à la Reine du Rosaire, qui se récite de manière solennelle deux fois l'an, en mai et en octobre, fut composée par le bienheureux Bartolo Longo en 1883, comme une adhésion à l'invitation lancée par le Pape Léon XIII aux catholiques dans sa première encyclique sur le Rosaire, en vue d'un engagement spirituel qui puisse affronter les maux de la société.

 

26 La Divine Comédie, Le Paradis, C. XXXIII, 13-15, Paris (1996), p.457.

 

27 Jean-Paul II, Lettre apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001) n.20: AAS 93 (2001), p.279: La Documentation catholique 98 (2001), p.75.

 

28 Exhort. apost. Marialis cultus (2 février 1974), n.46: AAS 66 (1974), p.155: La Documentation catholique 71 (1974), p.315.

 

29 Jean-Paul II, Lettre apostolique Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n.28: AAS 93 (2001), p.284: La Documentation catholique 98 (2001), p.77.

 

30 N. 515.

 

31 Angelus du 29 octobre 1978: Insegnamenti I (1978), p.76: La Documentation catholique 75 (1978), p.958.

 

32 Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n.22.

 

33 S. Irénée de Lyon, Adversus hæreses, III, 18, 1: PG VII, 932: Paris (1974), pp.343-345.

 

34 Catéchisme de l'Église catholique, n.2616.

 

35 Cf. n.33: AAS 93 (2001), p.289: La Documentation catholique 98 (2001), pp.77-78.

 

36 Jean-Paul II, Lettre aux artistes (4 avril 1999), n.1: AAS 91 (1999), p.1155: La Documentation catholique 96 (1999), p.451.

 

37 Cf. n.46: AAS 66 (1974), p.155: La Documentation catholique 71 (1974), p.315. Cet usage a été récemment recommandé par la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements dans le Directoire sur la piété populaire et la liturgie. Principes et orientations (17 décembre 2001), n.201, Cité du Vatican (2002), p.165.

 

38 " Concede, quæsumus, ut hæc mysteria sacratissimo beatæ Mariæ Virginis Rosario recolentes, et imitemur quod continent, et quod promittunt assequamur ": Missale Romanum (1960), In festo B.M. Virginis a Rosario.

 

39 Cf. n.34: AAS 93 (2001), p.290: La Documentation catholique 98 (2001), p.80.

 

    

08:20 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |