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L'ESTIME DE SOI. (24/09/2006)

Il n'existe pas de définition claire du concept d'estime de soi au sein de la psychologie scientifique. Nous prendrons donc ici le parti d'une définition admise par une majorité de spécialistes du domaine. Dans ce cadre, l'estime de soi renvoie à trois significations particulières (Brown, Dutton et Cook, 2001) :

  • Le regard global d'un individu à son propre endroit qui demeure relativement stable à travers le temps et en dépit de situations changeantes
  • Les évaluations d'un individu au sujet de ses capacités et de sa personnalité
  • Le sentiment de valeur personnelle d'un individu lié à des évènements ponctuels

Théories

  • L'équation de James (1890) : l'estime de soi est égale au rapport entre nos prétentions et nos succès. À noter que dans cette conception, l'estime de soi peut être obtenue de plusieurs manières : soit en diminuant nos prétentions, soit en augmentant nos succès (ou en voyant un succès là où il n'y en a pas), soit en réalisant un équilibre entre les deux facteurs.
  • Le miroir social de Cooley (1902) et Mead (1934) : l'estime de soi est la perception de soi construite par l'intériorisation de l'opinion d'autrui à notre égard. Dans cette perspective, les interactions sociales se révèlent donc déterminantes dans la manière dont le sujet va s'évaluer.
  • Le lieu de contrôle (locus of control) de Rotter (1966) : l'estime de soi se décline en fonction de la croyance de l'individu à être acteur des évènements de sa vie (lieu de contrôle interne) ou victime (lieu de contrôle externe).
  • La hiérarchie des besoins de Maslow (1970) : l'estime de soi correspond à une double nécessité pour l'individu : se sentir compétent et être reconnu par autrui.
  • Le sentiment d'auto-efficacité de Bandura (2002) : l'estime de soi peut provenir d'auto-évaluations basées sur la compétence personnelle, mais aussi sur la possession de caracteristiques personnelles investies de valeurs positives ou négatives selon la culture (statut social,…). Dans sa perspective, l'estime de soi est multidimensionnelle (travail, vie sociale,…). De plus, il précise qu'il n'y a pas de lien systématique entre le sentiment d'efficacité personnelle et l'estime de soi (p 24-26, 2002). Il existe des domaines qui favorisent ou défavorisent l'estime de soi. Par exemple, quelqu'un s'évaluant mauvais mathématicien mais qui n'accorde pas d'importance à cette activité n'en tire pas de conclusion négative sur sa valeur personnelle. Inversement, une personne peut s'estimer très compétente professionnellement, et en tirer une valeur négative par la nature de l'activité (huissier, tireur d'élite, prostitution,…).

Données

Coopersmith (1967) a montré la non corrélation significative entre l'estime de soi de l'enfant et la fortune, l'éducation ou la profession de ses parents. Le seul facteur influençant fortement l'estime de soi de l'enfant est la qualité de la relation qu'il a avec ses parents.

  • Harter (1978) souligne l’aspect vital de l’approbation pour l'estime de soi de l’enfant, à la fois pour encourager certains comportements et comme source d’informations sur l’adéquation de ses performances. Ces renforcements positifs remplissent deux fonctions : ils apportent de la stimulation et de l’affection, de même qu’ils favorisent le processus d’indépendance et de recherche de maîtrise. À noter que la source de cette approbation se modifie avec l'âge de l'enfant : jusqu'à 3 ans, ce dernier accorde plus d'importance à l'avis de ses parents ; puis, peu à peu, c'est l'approbation des pairs qui va être recherchée (avec un paroxysme à l'adolescence).
  • Le rang de naissance semble également jouer un rôle sur l'estime de soi de l'enfant : ainsi, les cadets auraient une estime de soi légèrement plus basse que les aînés mais seraient plus populaires et plus à l'aise que ces derniers en société (Miller et Naruyama, 1976). Les aînés, quant à eux, jouissent d'une estime de soi légèrement plus élevée, axée sur la performance, ce qui explique qu'ils connaissent en général une meilleure réussite scolaire (Falbo et Polit, 1986).
  • Le courant dominant de l'estime de soi laisse entendre au grand public que l'estime de soi est à la fois la maladie et le remède aux problèmes sociaux : des mauvais élèves aux criminels en passant par les membres de groupes « stigmatisés », tous souffriraient d'une estime de soi trop basse. La solution serait donc de les aider à rétablir l'équilibre de leur balance évaluative, bref, d'augmenter leur estime de soi. En dehors du fait que les problèmes sociaux relèvent sans doute d'une intrication de facteurs et non d'un seul, il faut noter qu'une haute estime de soi n'est pas toujours un bon présage : dans une étude célèbre, Baumeister, Boden et Smart (1996) suggèrent qu'une haute estime de soi peut être corrélée à des actes de violence ou d'agression en cas de menace du concept de soi. En d'autres termes, certaines personnes à haute estime de soi auraient tendance à réagir vivement en cas d'atteinte à leur amour-propre…

Critique de l'idéologie de l'estime de soi

L'estime de soi est une notion qui jouit d'une popularité qui n'a d'égale que son obscurité. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, il n'y a pas actuellement, parmi les théoriciens, de consensus quant à une définition acceptable de l'estime de soi. Ses partisans, malgré des divergences parfois importantes, s'entendent néanmoins tous sur un point : l'estime de soi se mérite. Soit qu'il s'agisse de gagner un sentiment d'appartenance en se conformant aux exigences du miroir social (Mead, 1934), soit qu'il faille atteindre un objectif particulier pour s'autoriser à bomber le torse (Coopersmith, 1967), soit enfin qu'il convienne de respecter des « piliers » moraux afin que la réalité récompense votre vertu (Branden, 1994). Bref, si l'on veut avoir le privilège de jouir d'une bonne estime de soi, il faut payer, d'une manière ou d'une autre.

Quel est le problème ?

Il se situe à deux niveaux :

  • À un niveau logique, tout d'abord, parce que l'estime de soi suppose l'évaluation du 'soi', considéré comme une entité stable et définie une fois pour toutes alors qu'à l'évidence il s'agit d'un processus, impermanent par essence. Ainsi, si j'échoue à un examen, je peux penser que je ne suis pas doué pour les études, alors que rien, empiriquement, ne permet d'aboutir à une telle conclusion. Et ce saut logique, erroné, va avoir un retentissement certain sur mes performances futures : puisque je ne suis pas doué pour les études, je ne vais certainement pas réussir cet autre examen non plus, résultat qui viendra confirmer ma croyance de départ, par le jeu pervers des prophéties auto-réalisatrices (Watzlawick, 1988).
  • À un niveau psychologique, ensuite, la médaille de l'estime de soi a son revers : si elle augmente lorsque je le « mérite » (en ayant réussi à obtenir l'approbation sociale, à réaliser un projet gratifiant ou à tenir mes engagements), alors elle diminuera lorsque j'ai « fauté » (suite à un rejet social, une mauvaise performance ou une attitude contraire à mon éthique). On voit très vite que l'individu moyen sera sujet toute sa vie à des hauts et des bas incessants dans son « estime de soi », oscillant entre des états de béatitude où il se prend pour un dieu et des moments tragiques, où il se considère comme un ver de terre.

Y a-t-il une issue ?

  • Oui. À contre-courant de la pensée dominante en psychologie, il existe une alternative à cette « montagne russe » émotionnelle que constitue l'estime de soi : l'arrêt pur et simple de toute évaluation de 'soi', au profit d'une évaluation de ses comportements et de sa satisfaction personnelle (Mills, 2000). Est-ce aussi facile que cela ? Non, ce n'est pas facile, mais c'est en revanche très simple. Albert Ellis, le fondateur de la thérapie « émotivo-cognitivo-comportementale » (Rational-Emotive-Behavior Therapy) a toujours combattu l'idéologie de l'estime de soi, enseignant à ses clients (au sens rogérien du terme) la philosophie de l'acceptation inconditionnelle de soi (Unconditional Self-Acceptance) à l'opposé de toute mesure de la valeur d'un individu. Ellis appelle de manière humoristique la tendance pour le moins « névrotique » des êtres humains à s'auto-évaluer le « complexe de Jéhovah ». Tout commence lorsqu'un individu réalise une bonne performance dans une situation donnée ; c'est à la suite de ce premier constat que le « complexe de Jéhovah » pointe le bout de son nez et conduit ledit individu à une conclusion fallacieuse : puisqu'il a obtenu un bon résultat, lui, en tant qu'être humain, prend de la valeur. Malheureusement pour cet individu, il suffira d'une contre-performance dans le futur pour que le « complexe de Jéhovah » se transforme rapidement en « complexe de ver de terre », autre extrémité, dramatique celle-là, du même continuum axiomatique. Ellis montre que philosophiquement parlant, la notion de valeur d'un être humain ne tient pas trente secondes : en effet, que serait, dans cette perspective, un « bon » être humain et en quoi se distinguerait-il d'un « mauvais » ? Sur quels critères établir la valeur d'un individu ? De telles interrogations parlent d'elles-mêmes et plaident en faveur d'un abandon pur et simple de la question de la valeur d'un être humain. Les êtres humains sont, un point c'est tout. Et la seule chose susceptible d'être évaluée les concernant, ce sont leurs comportements. Il est sans doute utile de mettre en garde contre une confusion très courante en psychologie : la personne n'est pas le comportement. Ce n'est pas parce qu'un individu agit stupidement qu'il est stupide. On retrouve ici toute la pertinence des principes issus de la Sémantique générale, à laquelle Ellis reconnaît d'ailleurs une parenté directe avec ses propres idées.

20:59 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, action-sociale-chretienne |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |