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La mort est la condition de notre accomplissement. (10/10/2006)

Le problème de la mort : il s'agit pour nous d'entrer toujours plus profondément dans l'authenticité de la vie, d'entrer aujourd'hui dans la vie éternelle : nous ne sommes des vivants que dans la mesure où nous vivons de Dieu.

"  Le problème de la mort est un problème terrible pour notre sensibilité parce qu'elle semble radicalement absurde. Il y a quelque chose de si brutal, et en apparence de si injuste, à voir disparaître un être en une seconde ! On était en dialogue avec lui et puis, brutalement, c'est fini, et irrévocablement fini ! Il n'y a plus qu'un cadavre qui est un agrégat. Il n'y a plus personne.

Sous cet aspect, la mort est inacceptable. Elle ne peut que provoquer la révolte ! la révolte parce que l'homme sait qu'il doit mourir. Les animaux, eux, ne le savent pas et, bien sûr, l'homme peut désirer la mort quand la vie lui est à charge, mais ce n'est pas la mort qu'il désire alors, c'est d'être délivré de sa charge, sans savoir d'ailleurs ce qui peut l'attendre au-delà de la mort. On comprend le geste du désespéré qui rejette son fardeau, mais ce n'est pas la mort qu'il veut, c'est la paix, c'est la tranquillité qu'il espère.

Mais, en dehors de ces cas, la mort ne peut pas ne pas être un scandale. Elle semble être une agression contre l'homme, et ressurgissent à cette occasion toutes les objections que Nietzsche proposait justement contre l'existence de Dieu. L'homme peut se sentir violé par la mort ! car enfin, il a conscience d'exister, il a rencontré en lui une intimité inviolable, il la défend contre autrui, il la respecte en lui-même, il sait que Dieu dans le Christ la respecte jusqu'à la mort de la Croix, mais, s'il ne le sait pas, s'il ne connaît pas ce mystère de la Croix où Dieu meurt de notre mort justement pour la dégager de la gangue du péché, comment pourrait-il accepter cette agression ?

L'homme peut voir derrière le mur, il ne peut pas ignorer ce qui se passe derrière le mur, et nous sommes dans cette situation devant la mort : nous pouvons regarder derrière le mur. L'animal périt sans savoir qu'il périt, l'homme le sait et il lui paraît injuste, je dirais même sadique, qu'il dispose d'assez d'intelligence pour voir au-delà du mur, donc pour prévoir au-delà de sa mort, et d'être condamné à mourir, comme si on lui arrachait son existence en le séparant de tout ce qu'il aime, en suscitant d'ailleurs la même peine à tous ceux qui l'aiment.

Nous voyons que les morts subites se multiplient. Est-ce à cause de la pollution qui nous environne ? A cause du bruit qui nous agresse constamment ? Est-ce la fatigue extrême que l'on éprouve dans la vie urbaine où l'on foule l'asphalte et où l'on ne respire plus les effluves de la nature ? Toujours est-il que les morts subîtes se multiplient et rendent le problème toujours plus aigu.

Pourquoi la mort ? Saint Paul nous redit, et cela est d'une grande importance et d'une très grande valeur, que la mort est entrée dans le monde avec le péché, qu'en effet Dieu ne l'a pas imposée à l'homme mais qu'il l'a subie, Lui, Dieu, par la volonté de l'homme, et le Christ justement dans son agonie va vivre toutes les morts, toutes les agonies, toutes les séparations, tous les déchirements, toutes les ténèbres de la douleur, comme le répondant de cette humanité qui s'est séparée de la source dès le début parce que, dès le début Dieu est crucifié, dès le début Dieu est mis en question, dès le début Dieu peut échouer, et II échoue effectivement, comme II échouera sur la Croix, et éternellement tant qu'il y aura un être qui se refuse à Son Amour.

La mort n'est pas de Dieu, c'est la vie qui est de Dieu, mais quelle vie ? Justement une vie éternelle aujourd'hui , et c'est cela qui est capital de nouveau, c'est qu'en fait nous ne sommes des vivants ici, maintenant, nous ne sommes des vivants que dans la mesure où nous vivons de Dieu, donc de l'Infini dont l'acceptation et le rayonnement fait de nous des personnes, et quand nous ne vivons pas de cette vie, nous ne sommes pas des vivants humains, nous végétons, ou nous sommes des animaux ! Notre vraie vie, c'est cette vie divine qui circule en nous, qui nous éternise et qui nous permet de communiquer aux autres l'Infini.

Voyez votre expérience : dans la mesure où Dieu est pour vous une réalité actuelle, vous rendrez sans doute témoignage à ce fait que vous devez à la rencontre avec quelqu'un qui était pour vous un espace, un espace de lumière et d'amour, vous devez à la rencontre avec quelqu'un d'avoir rencontré Dieu, c'est parce que vous avez vu cette lumière divine en l'homme, et c'est là que vous avez rencontré l'homme dans toute sa grandeur et dans toute sa beauté, de même que nous ne pouvons nous rencontrer nous-mêmes qu'à travers cette Présence et celle de la Beauté si antique et si nouvelle.

Donc il est certain qu'ici-bas la seule vie authentique, c'est la vie éternelle , ce que Mounier appelait la survie ici maintenant, une transcendance aujourd'hui. Et si l'on vit, si nous en vivions, de cette vie éternelle, si nous étions libérés de notre condition originelle, de nos déterminismes physiques et mentaux, si nous étions libérés de tout cela, nous serions à jamais des vivants.

Et de fait, lorsqu'un être s'en va, lorsqu'il disparaît derrière le voile de la mort, ce que nous cherchons à ressaisir en lui, ce sont les moments d'éternité, les moments où ils nous ont comblés, les moments où il a été pour nous une lumière qui demeure jusqu'à aujourd'hui, et là s'actualisent alors toutes les présences dans cette rencontre avec le même Dieu Vivant.

Alors évidemment, pour celui qui vivrait pleinement de cette vie éternelle, comme la vit le Père Kolbe qui réalise dans la liberté suprême d'un homme qui a vaincu la mort et devient un grand vivant dans la mort, pour un tel homme, pour celui-là il n'y a plus de mort ! la mort ne l'arrache plus à rien ! la mort est la condition même de son accomplissement parce qu'il porte la vie en lui et que cette vie est une liberté subsistante, une liberté par où il a émergé de l'enveloppe cosmique où il était inséré. Cette liberté ne peut périr, sinon l'univers serait plus fort qu'elle, il l'engloutirait, il ne serait plus l'univers-esprit que nous venons de considérer.

 Quand la mort est libre, ce n'est plus la mort parce qu'elle ne peut être libre qu'en face de cette Présence intérieure à nous-même qui est la vie éternelle, il y a simplement un changement de plan ! Celui qui meurt n'habite pas un ailleurs, il ne s'agit pas d'une espèce d'éloignement dans l'espace ou dans un ciel imaginaire ! Dès là que l'espace et le temps ne comptent plus, la présence du défunt, c'est-à-dire de ceux qui se sont accomplis selon la force du mot, peut demeurer en nous un ferment de vie, et c'est là le signe précisément que la vie a été authentiquement vécue, qu'elle puisse demeurer en nous un ferment de vie.

D'ailleurs il n'y a pas de raison de penser que la structure qui nous constitue, cette structure qui est un chiffre, qui est une mélodie, qui est une musique, qui est un rayon, un sourire, ce je ne sais quoi, ce rien qui fait que vous reconnaissez l'être au plus profond de lui-même, il n'y a aucune raison de penser que cela ne subsiste pas, au contraire ! L'essence de la personnalité demeure et pourrait éventuellement se manifester, se reconstruire un corps dont il est difficile de nous faire une idée puisque, selon Jésus, au-delà de la mort, il n'y a pas de mariage et il n'y a pas sans doute de besoins à satisfaire, il n'y a pas de nourriture à prendre, il n'y a pas de digestion à favoriser, il n'y a pas de désassimilation, il n'y a sans doute pas de respiration (sinon celle, éternelle, de l'Esprit-Saint). Qu'est-ce que peut être le corps, c'est-à-dire l'être humain, puisqu'on ne peut pas le diviser, qu'est-ce qu'il peut être dans une telle situation ?

Eh bien, il peut être ce qu'il est justement quand nous le percevons dans sa grandeur et dans sa dignité, quand nous le voyons dans ce point central que j'évoque si souvent, quand nous le voyons dans cette lumière qui nous pénètre et nous assure de la présence qui nous est chère.

Il s'agit donc pour nous d'entrer toujours plus profondément dans l'authenticité de notre vie , de la vivre selon la dimension infinie qu'elle comporte dans tout notre être et, pour cela, de vivre notre recueillement sans cesse reconquis, c'est-à-dire dans une attention d'amour à cette Présence qui est la respiration de notre esprit et de notre cœur.

Et le Seigneur a voulu affirmer Sa Présence à travers les siècles dans le silence de l'Eucharistie. Rien n'est plus émouvant - et on voudrait qu'on le sente davantage - rien n'est plus émouvant, quand vous entrez dans une église solitaire, que de vous trouver face à face avec le Saint Sacrement, de voir clignoter la lampe qui vous indique les battements de son Cœur : le Christ est là, Il ne parle pas, quel bonheur! Il oppose justement à tous nos bavardages l'immensité de l'accueil de Son Silence. C'est cela qu'il faut, il faut arriver à ce silence vivant, à ce silence plein de voix, à ce silence qui est le Mystère même de Dieu, à ce silence qui est au cœur de notre intimité, à ce silence qui est la plus haute expression de l'Amour, un silence bien sûr qui ne doit pas être un mutisme mais qui peut durer et circuler à travers toutes les paroles quand demeure cette attention d'amour à la Présence qui est la Vie de notre vie.

Vous voyez que ce n'est pas un paradoxe de dire que le monde est esprit, que notre corps est esprit, que c'est cette dimension infinie qui est la seule surface de contact entre nous et l'univers, entre nous et nous-mêmes, entre nous et les autres, et entre nous et Dieu.

Combien belle est l'humanité ! disait Shakespeare, combien belle est l'humanité ! Oui, quand elle arrive jusque là.

Quand nous voyons un tout petit poupon qui commence à sourire, nous avons l'impression qu'enfin c'est arrivé, qu'un monde nouveau se lève et que cet enfant réalisera ce que personne n'a pu réaliser avant lui, c'est le signe de notre espérance. Mais nous savons bien qu'il n'y a pas là une promesse infaillible et qu'il faut commencer par nous-même.

En tous cas, ce qu'il faudra devenir, c'est cela. Nous sommes vêtus de ce Dieu, nous portons Dieu, et notre aventure, c'est de faire naître Dieu dans un monde qui croira éperdument en Lui lorsqu'il verra Son Visage à travers notre vie comme le Visage même de la Liberté et de l'Amour dans une dignité infinie. "

Maurice Zundel.

20:19 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, action-sociale-chretienne |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |