« Voir, Juger, Agir » (27/10/2006)
Le document romain de 1998 sur l’étude de la D.S.E. (1) nous commente rapidement cette méthode :
• Le voir est la perception et l’étude des problèmes réels et de leurs causes, dont l’analyse relève de la compétence des sciences humaines et sociales.
• Le juger est l’interprétation de la même réalité à la lumière des sources de la doctrine sociale qui déterminent le jugement prononcé sur les phénomènes sociaux et leurs implications éthiques. En cette phase intermédiaire se situe la fonction propre du Magistère de l’Église qui consiste précisément dans l’interprétation de la réalité du point de vue de la foi et dans la proposition " de ce qu’il a en propre : une conception globale de l’homme et de l’humanité ".21 Il est clair que dans le voir et le juger de la réalité, l’Église n’est pas ni ne peut être neutre, car elle ne peut pas ne pas se conformer à l’échelle des valeurs énoncées dans l’Évangile. Si, par hypothèse, elle se conformait à d’autres échelles de valeurs, son enseignement ne serait pas celui qui est effectivement donné, mais se réduirait à une philosophie ou à une idéologie de partie.
• L’agir est ordonné à la réalisation des choix. Il requiert une vraie conversion, c’est-à-dire cette transformation intérieure qui est disponibilité, ouverture et transparence à la lumière purificatrice de Dieu
Nous pouvons diviser cette méthode en cinq points :
1. Pourquoi la question se pose-t-elle ? On établit la liste des questions et des objections et on met en évidence les difficultés rencontrées.
2. Que constatons-nous dans la réalité ? On relève le plus possible de faits présents et passés, puis on classe ainsi les renseignements obtenus (Cf. Q.Q.P.A.C.O.Q.P. : Quoi, Qui, Pour qui, Avec qui, Comment, Où, Quand, Pourquoi.).
3. Cette réalité met en relief une vérité importante. Laquelle ? On étudie ces faits et on essaye d’exprimer les vérités et les principes qui s’en dégagent. On formule des hypothèses et on élabore une problématique. Le recours aux sciences humaines est important.
4. Que nous dit l’Église ? On recherche tout ce que dit le magistère de l’Église, la Tradition et les Saintes Écritures. Puis on compare les résultats de la recherche avec les conclusions élaborées précédemment pour permettre d’éclairer le sujet, et ainsi conclure que la doctrine sociale de l’Église ne contredit pas l’observation des faits mais en donne l’interprétation exacte, l’analyse ainsi que des directives d’action.
5. Et enfin, on répond aux questions et objections posées au début, et on cherche les moyens à mettre en œuvre pour agir. On élabore un plan d’action après avoir soigneusement hiérarchisé les objectifs et bien réfléchi sur les moyens à mettre en œuvre.
Cette méthode n’a rien d’extraordinaire puisqu’elle est logique : on regarde la réalité puis on en tire des conclusions qui normalement devraient être conformes à la doctrine sociale de l’Église. Cette Méthode suit notre mode de connaissance, suivant lequel il faut d’abord appréhender le réel avant de réfléchir. Elle permet aussi de ne pas réagir à chaud sans réflexions, mais de bien considérer tous les points du sujet.
b. Les erreurs classiques en méthodologie de l’action
Il existe une série d’erreurs classiques en méthodologie de l’action :
(Pour aller plus loin dans le détail se reporter au livre « Construire la civilisation de l’Amour, de Marc-Antoine Fontelle, ob, Pierre Téqui Éditions, 1998, pp 151-159).
Tout problème a une solution. Attention ! Tout problème n’a pas forcément de solution immédiate. Il faut se méfier des solutions faciles où il suffit d’appliquer des principes généraux, car la réalité est plus complexe que ce que nous pouvons en percevoir. Pour cela il faut tenir compte des différents points de vues possibles, prendre conseil, et examiner attentivement la situation.
Tout problème à une cause. Attention ! Tout problème n’a rarement qu’une seule cause, mais plusieurs causes ayant de multiples interactions. Il faut faire une radiographie de la situation, remarquer les jeux d’influence réciproque, etc. S’entenir à une seule cause est rassurant car on croit maîtriser la situation.
Il suffit d’observer la réalité pour résoudre une difficulté. Attention ! La réalité est bien plus complexe que ce que nous pouvons en percevoir. Il ne suffit pas de s’en tenir à une simple analyse du présent, il faut aussi tenir compte du passé (problème de l’enracinement, de la culture, de la religion, etc.). Il faut toujours intégrer les aspects historiques et les conséquences possibles d’un acte.
Tout comportement est prévisible, il faut simplement l’analyse adéquate. Attention ! La connaissance ne suffit pas. Il ne faut pas se laisser enfermer dans un système théorique rigide. Dès qu’il s’agit de personnes, les comportements sont rarement prévisibles. C’est pourquoi il faut être attentif à leur évolution, à leur faiblesse et à leur force.
Les situations problématiques sont toujours maîtrisables : c’est une question de coût. Attention ! Attention aux visions technocratiques du monde qui réduit un problème au coût ! Cela aboutit à une organisation disproportionnée. Il faut d’abord mettre en évidence les aspects modifiables et les différentes causes afin de prendre les moyens proportionnés.
L’acteur compétent parvient à mettre chaque solution en pratique. Attention. Par conséquent, si l’acteur n’arrive pas à une réalisation, c’est parce qu’il est mauvais.
L’application d’une solution signifie que la solution est définitivement classée. Attention ! Une difficulté n’est jamais définitivement classée, elle peut revenir sous une autre forme. Une solution vaut pour un temps donné et pour certaines personnes. C’est pourquoi, il est nécessaire d’aménager des solutions flexibles afin de s’adapter à tous.
c. Conseils afin d’éviter ces erreurs
1. Trois qualités de l’esprit à développer
Afin d’éviter ces erreurs classiques, il est nécessaire de cultiver trois qualités propres à une intelligence équilibrée, c’est-à-dire un esprit large qui permet d’être attentif au réel, un esprit ayant une hauteur de vue qui permette de faire le lien entre les événements et d’y voire l’œuvre de la divine Providence, et enfin un esprit profond qui permette de remonter au principe des choses.
Ces trois qualités correspondent aux trois dimensions de notre intelligence. Il ne s’agit pas de les posséder l’une de ces trois qualités ; mais de les posséder toutes le trois afin d’acquérir avec le temps une intelligence équilibrée. Chaque personne possède plus ou moins telle ou telle de ces trois qualités, mais rarement les trois.
• La largeur d’esprit. Avoir un esprit large, ce n’est pas avoir un esprit libéral et laxiste, mais avoir un esprit qui prenne en compte toute la réalité et qui ne réduise pas la réalité à ce qu’il perçoit et à ce qu’il comprend. Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. Il y a du bien partout et en toutes choses. Il y a aussi du mal qui vient vicier ce bien mais sans pour autant le pervertir complètement. La réalité étant très complexe, il ne faut pas la réduire à des schémas simplistes. En d’autres termes, il faut bien étudier et se renseigner sur un sujet ou une personne, prendre en compte tous les éléments possibles, avant de porter un jugement et être prêt à le réformer dès que les informations nouvelles nous parviennent. Un esprit large est aussi un esprit qui ne se limite pas à son cadre de vie habituel, mais qui s’intéresse à tout. Pour élargir notre esprit, il faut une intelligence qui aime et qui vive dans l’instant présent en étant attentive à l’ensemble de la réalité.
• La hauteur de vue. La hauteur de vue, c’est l’intelligence qui voit loin, c’est l’intelligence qui voit les choses, les événements avec du recul selon le plan divin. Le déroulement du temps, l’enchaînement des faits ont un sens et ne sont pas l’œuvre du hasard. Avoir la hauteur de vue c’est toujours rechercher le sens providentiel des choses. La divine Providence agence de la façon la plus parfaite, et ne permet une épreuve qu’en vue d’un plus grand bien pour le salut de notre âme et du monde entier. Pour avoir la hauteur de vue, il faut vivre des vertus de foi et d’espérance, il faut pratiquer la béatitude des pauvres en esprit. Selon l’enseignement de saint Ignace de Loyola (fondateur de la compagnie de Jésus), cette béatitude correspond à la sainte indifférence : c’est le primat de l’amour de Dieu sur les affections humaines. La hauteur de vue permet d’agir selon la vertu de prudence et d’associer la vie spirituelle avec la vie active. Ce qui nous empêche d’avoir un regard surnaturel sur nous mêmes et sur le monde, c’est notre émotivité qui nous fait réagir de façon trop humaine, sans esprit de foi et d’espérance. Nous avons peur de l’avenir, nous nous décourageons et nous nous replions sur nous-mêmes à la première épreuve.
• La profondeur d’esprit. La profondeur d’esprit est le propre d’un esprit qui atteint la réalité dans ses principes, qui en recherche les causes afin de les expliquer puis de remonter à la source et ainsi de tout ramener à Dieu. La profondeur d’esprit consiste à comprendre les choses comme Dieu les comprend.
La profondeur d’esprit permet de voir les principes qui gouvernent notre vie. L’esprit profond rechercher a toujours à faire le lien entre les choses. L’esprit profond cherchera à expliquer pourquoi quelque chose est bien ou mal afin d’en tirer les conclusions adéquates.
2. Conseils pour effectuer un bon discernement
Le document romain e 1988 sur l’étude de la D.S.E. nous dit à propos du discernement :
« On ne peut mettre en pratique des principes et des orientations éthiques sans un discernement adéquat qui porte toute la communauté chrétienne et chacun en particulier à scruter " les signes des temps " et à interpréter la réalité à la lumière du message évangélique. Bien qu’il ne revienne pas à l’Église d’analyser scientifiquement la réalité sociale, le discernement chrétien, comme recherche et évaluation de la vérité, conduit à rechercher les causes réelles du mal social et spécialement de l’injustice et à admettre les résultats certains, exempts d’idéologie, des sciences humaines. Le but est de parvenir, à la lumière des principes permanents, à un jugement objectif sur la réalité sociale et à concrétiser, selon les possibilités et les opportunités offertes par les circonstances, les choix les plus adéquats qui éliminent les injustices et favorisent les transformations politiques, économiques et culturelles nécessaires en chaque cas.
Dans cette perspective, le discernement chrétien aide non seulement à clarifier les situations locales, régionales ou mondiales, mais aussi et principalement, à découvrir le dessein salvifique de Dieu, réalisé en Jésus-Christ, pour ses fils aux diverses époques de l’histoire. Il est clair que ce discernement doit se placer dans une attitude de fidélité non seulement vis à vis des sources évangéliques, mais aussi vis à vis du Magistère de l’Église et de ses pasteurs légitimes. »
Toute personne se trouve, à un moment ou un autre de sa vie, devant une difficulté ou la réponse n’est pas évidente, où il n’y pas de solution toute faite qu’il faudrait appliquer. Nous devons opérer un discernement avant de proposer une solution et agir.
La première chose à considérer au moment où la personne doit prendre une décision, c’est son état d’âme psychologique et spirituel. En règle générale, il ne faut jamais prendre de décisions hâtives lorsque nous sommes troublés. En effet, suivant notre état spirituel, telle décision sera prise plutôt qu’une autre. Le piège est de prendre une décision suivant cet état d’esprit et non de façon objective. De plus, l’antique ennemi du genre humain, le démon emploie constamment son énergie afin d’écarter l’homme de Dieu. Pour cela, il essaye d’influer notre esprit à agir de telle sorte que Dieu n’ait plus de place dans notre vie. Sa méthode est simple, il agit sur nos passions comme s’il jouait du piano et met dans notre imagination des pensées et des images nous poussant à aller dans telle direction. Il nous propose souvent de suivre un bien, mais en définitive cela nous détourne de notre vrai bien, Il prend l’apparence de la lumière pour mieux nous attirer et ainsi mieux faire chuter l’humanité. Il sait parfaitement agir sur les causes secondes.
En plus de la disposition d’esprit au moment du choix, il y a des critères objectifs de discernements. Il faut bien considérer les relations cause/effet ; moyen/but ; moralité de l’objet, des moyens, du but et de l’intention, des circonstances. Pour cela il faut envisager tous les choix possibles un par un sans les comparer, mais pour eux mêmes. Le moindre mal ne sera jamais la réalisation d’un bien objectif.
19:05 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, action-sociale-chretienne, spiritualite | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |