Entretien avec Bernard Sesboüé.Ce théologien jésuite s'est imposé par ses travaux sur l'oecuménisme, la christologie, la rédemption. Il est l'auteur notamment de "La resurrection et la vie. Petite catéchèse sur les choses de la fin" (DDB) Comment la pensée biblique en est-elle venue à élaborer l'espérance de la résurrection ? P. Bernard Sesboüé : Dans la croyance primitive, le grand bien de l'homme, c'est la vie, et la mort apparaît comme la catastrophe. Pourtant, tout n'est pas fini avec elle. À la mort, l'homme va au "shéol" ou «enfers», équivalent juif de l'"hadès" des Grecs , c'est-à-dire un lieu de ténèbres, de poussière et de silence. Une sorte de prison avec des portes, où des ombres mènent une vie extrêmement pâlote, semblable à un triste sommeil. Ce "shéol" n'est pas un lieu de punition, c'est un lieu d'oubli, un lieu où l'homme ne peut plus connaître Dieu. De même que le corps se dégrade, de même le souffle de vie s'exténue dans un sommeil privé de tout bonheur. Cette conception a peu à peu évolué sous une triple poussée. L'amour, d'abord : le peuple juif veut vivre sans interruption et sans fin avec Dieu. La justice, ensuite : le "shéol" nivelle définitivement tous les humains, quelles qu'aient été leurs actions, ce qui fait scandale au regard de la justice de Dieu et contredit l'espérance des martyrs. La vie, enfin : le Dieu de la vie est plus fort que la mort. Ce parcours représente des étapes que nous avons nous aussi à parcourir quelle que soit la force de notre foi, depuis la perception du scandale de la mort et l'expérience souffrante de la séparation qui semble si proche de la tombée dans le néant, jusqu'à la prise en compte de notre espérance d'une vie au delà de cette vie, espérance qui habite tout homme au plus profond de lui-même. Quel nouveau seuil est franchi par le Nouveau Testament ? Jésus annonce la venue du Royaume de Dieu. Il proclame les Béatitudes, charte de ce Royaume, et raconte des paraboles afin de permettre à chacun de se convertir à la Bonne nouvelle. Mais il ne fait pas que parler. Il agit. Le Royaume qu'il annonce, il l'inaugure par sa présence et par ses gestes. Il guérit les malades et ressuscite les morts : le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïre, Lazare. À la question : "En quoi consiste le Royaume de Dieu ?", il apporte ainsi une réponse simple : ceux qui y croient reviennent à la vie. Jésus lui-même a traversé l'épreuve de la mort. Mais il en a changé le sens en aimant les siens jusqu'au bout. Sa mort a été une "mort pour nous". Il a donné sa vie pour nous donner la vie. Avec sa résurrection, nous arrivons au coeur du message chrétien sur l'homme et son salut Que signifie la résurrection de Christ ? D'abord, un premier constat : le tombeau est trouvé ouvert et vide. Le corps de Jésus a disparu. Second constat : en ressuscitant, Jésus n'est pas revenu à son état de vie antérieur. Il se donne à voir d'une manière soudaine et gratuite qui échappe aux lois de notre espace et de notre temps. Mais il n'est ni un esprit, ni un pur fantôme : la résurrection concerne la totalité de sa personne, y compris son corps mortel. Ces points sont d'une importance décisive pour nous, car la résurrection de Jésus est en quelque sorte la parabole en acte de ce que doit être notre résurrection. Tel il est ressuscité, tel nous ressusciterons. Comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps ? Saint Paul (1 Co 15) fait une comparaison : celle de la graine minuscule qui meurt, se dissout dans le sol, avant de donner naissance au corps tout nouveau de la plante. Pour Paul et ses contemporains, complètement ignorants du processus biologique qui fait passer de l'une à l'autre, il s'agit proprement d'un miracle. Autrement dit, après une transformation radicale, l'être corporel concret donne naissance au corps "spirituel", glorieux et céleste. Sur la lancée de Paul, et en tenant compte de toutes les données de la philosophie, de l'anthropologie et de la théologie contemporaines, nous pouvons tenter de définir le passage au corps ressuscité. Nous savons que le corps ne peut être réduit ni à ses éléments psysico-chimiques, ni à une réalité organique et biologique. Il est ce en quoi et par quoi l'homme reçoit et vit une existence personnelle, exerce et manifeste sa liberté dans son rapport à lui-même, aux autres, à Dieu. C'est dans et par son corps que l'homme entre en communication avec les autres et avec lui-même, qu'il aime, souffre, travaille, éprouve joie et plaisir. Le corps, c'est donc nous-mêmes. L'annonce de la résurrection de la chair, que nous proclamons dans le credo, signifie que l'homme sera sauvé dans tout ce qu'il est. Il y aura continuité, et discontinuité : continuité de notre identité, discontinuité puisqu'il y aura la brisure de la mort. Le corps ressuscité sera libéré de toutes les contraintes et nécessités naturelles qui le rendaient périssable. Peut-on avoir une représentation de ce corps ressuscité ? À strictement parler, non, parce qu'un tel corps échappe radicalement au monde de nos représentations terrestres. Nous pouvons nous servir des apparitions de Jésus ressuscité pour en saisir quelques caractéristiques. Nous pouvons aussi penser à des moments privilégiés de notre vie, instants de grâce où notre corps semble déjà presque spiritualisé : c'est l'expérience mystique chez les saints, c'est l'expérience des moments les plus intenses de l'amour ; c'est l'expérience faite lorsque l'on fait corps par exemple avec une symphonie de Beethoven, ou que la beauté nous arrache à nous-mêmes. Quand la résurrection se produit-elle ? La réponse à cette question tient dans un paradoxe : nous devons dire à la fois que les morts sont déjà ressuscités et qu'ils ne le sont pas encore. En d'autres termes : ils vivent une première résurrection, qui demeure incomplète tant que l'humanité entière n'est pas parvenue à la résurrection plénière qui aura lieu lors du retour du Christ. La résurrection est une lente genèse, mais aussi un processus dynamique qui se développe entre la résurrection de Jésus au matin de Pâques et sa seconde venue dans la gloire à la fin des temps. De ce paradoxe, le mystère de Jésus lui-même peut nous donner une idée. Lui aussi a connu le temps intermédiaire du séjour de son corps au tombeau. Sa résurrection n'a été complète que lorsque le signe concret nous en a été donné : grâce à l'événement de Pâques, Jésus reprend contact et retrouve la communication avec les siens. Il achève de fonder son Église et rend possibles les sacrements, qui supposent un contact entre son corps glorifié et nos corps encore mortels. Sommes-nous tous appelés à ressusciter ? Il suffit de regarder avec courage notre vie pour découvrir tout ce que nous cachons aux autres. Nous sommes souvent incapables de porter le poids de la vérité. Or, le monde de Dieu est celui de la lumière et de la transparence, et nous ne pouvons y entrer sans devenir nous-mêmes transparents et lumineux. La nécessité du purgatoire vient de là, et non pas d'une volonté arbitraire de Dieu. Le purgatoire est un processus de purification. S'il y a souffrance, c'est celle d'un amour encore ligoté. Le choc de la rencontre de Dieu est un feu dévorant. Ne parlons-nous pas nous-mêmes du regret de nos fautes comme d'une brûlure ? Paradoxalement, cette souffrance est aussi une joie, la joie d'entrer dans la lumière et dans la vie. Le purgatoire n'est donc pas un châtiment. Il est au contraire l'expression de la grande patience de Dieu, qui maintient jusque dans l'au-delà la possibilité de notre conversion totale à l'amour. Peut-on faire l'économie de l'enfer ? Au point de départ, il y a la certitude la plus inébranlable de notre foi : Dieu est amour. Nous ne pouvons penser l'hypothèse de l'enfer en-dehors de cette lumière. Rien, dans les textes du Nouveau Testament, ne contredit cette affirmation. L'essentiel du message de Jésus est un avertissement, une mise en garde. Mais l'homme peut vouloir ne pas aimer. C'est cette possibilité qu'énonce l'idée d'un enfer. L'enfer est une possibilité réelle pour chacun d'entre nous, si notre liberté refuse Dieu de manière définitive. Mais cela ne nous enlève pas l'espérance que tous les hommes soient sauvés, selon le dessein universel de Dieu. À quoi ressemble l'au-delà ? Nous ne pouvons en parler qu'à travers un réseau d'images. La vie éternelle est présentée sous la forme d'un repas de fête. Ce repas est évoqué dans les paraboles évangéliques comme le repas des noces du Fils avec l'humanité. La métaphore des noces renvoie aux expériences les plus intenses de cette vie d'amour qui sera la nôtre. L'Apocalypse présente aussi le ciel sous la figure d'une liturgie éternelle, vécue autour du trône de Dieu et de l'agneau immolé et glorieux. L'Écriture utilise aussi les images de la Cité Sainte, de la Jérusalem Céleste. Sans doute, la joie du ciel sera le fait d'un amour parfaitement pur et ouvert aux autres dans une communion toujours plus grande des hommes avec Dieu et des hommes entre eux . Cette représentation idyllique du bonheur promis dans l'au-delà ne risque-t-elle pas de nous faire oublier que le Royaume des cieux est déjà là depuis la venue du Christ ? Nous ne devons jamais oublier que le ciel éternisera tous les actes d'amour et de service que les hommes auront accomplis sur la terre. Cela doit creuser en nous l'appel à oeuvrer pour le salut du monde. La construction de la cité terrestre bâtit la cité céleste. Nous devons être attentifs aux signes si fragiles et si ténus qu'ils soient de l'anticipation du ciel sur terre, partout où des hommes se convertissent, renoncent à leur péché, partout où la justice, la liberté et le respect progressent. Ces signes ne sont que la face visible de cette gestation cachée du Royaume des cieux parmi nous. « Je suis la résurrection et la vie » : cette affirmation du Christ est le signe de cette immense promesse. Beaucoup de personnes, y compris des chrétiens, envisagent la perspective de la réincarnation. En quoi celle-ci est-elle incompatible avec la foi chrétienne ? La réincarnation met en cause l'unité de la personne humaine, en tant qu'elle est un sujet unique et irremplaçable devant Dieu. Elle retombe dans un certain dualisme corps/âme, le premier étant sans valeur, simple habit remplaçable, la seconde se trouvant réduite à un principe changeant de mode d'être à chaque existence et dont le destin final est de se perdre dans le grand tout. Par ailleurs, la réincarnation traduit un mouvement qui va de l'homme vers Dieu. C'est une oeuvre de l'homme, qui cherche sa propre impeccabilité plus que la rencontre avec Dieu. Le christianisme, au contraire, nous annonce un Dieu qui cherche l'homme, qui va à sa rencontre pour l'attirer à lui. Un Dieu qui veut réaliser par sa miséricorde et son amour une communion avec l'homme. recueilli par Martine de Sauto
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