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LA BRUTE ET L'ÉDUCATEUR. ( Un Témoignage bouleversant ! ). (01/06/2007)

Mon neveu a passé une bonne partie de sa vie à remplir une mission d'éducateur. Un métier qu'il aime, qu'il continue à exercer malgré la malencontreuse maladie qui l'affaiblit et dont il ne parle jamais. Ce n'est pas un homme qui se plaint.

Toujours souriant, toujours optimiste, il est éducateur des rues. C'est dire qu'il en a rencontrés des cas de délinquance, des jeunes violents, malheureux, sans repères auxquels il faut parler fermement mais sans brutalité.

En ce mardi du mois de mai, étendu sur le sol,

l'éducateur pense à sa carrière écoulée.

Comme si un point final venait de l'interrompre. En l'occurrence un puissant coup de poing vient de l'abattre, décoché par une jeune brute aux muscles d'acier. Le coup a été si puissant que les os ont craqué. J'ai appris plus tard que cette brute doit son efficacité à une longue pratique de la boxe. Ses poings sont d'autant plus redoutables qu'il les met au service d'une haine primaire, accompagnée d'un langage sommaire et ordurier: « Je vais t'emplâtrer!" avait-il prévenu , à plusieurs reprises, auparavant.
Jusqu'alors c'était des menaces que les responsables de l'ordre, alertés, n'ont pas voulu prendre au sérieux. Il est bien connu que la police n'intervient pas sur de simples présupposés de dangers, mais uniquement quand l'acte est perpétré, quand il y a des morts ou des blessés. Tout le monde déplore le fait qu'il faut attendre qu'il y ait un malheur pour que la force publique se mobilise.
Mais il peut arriver que, même après le passage à l'acte, rien ne bouge du côté de la protection civile, comme nous allons le relater dans les lignes qui suivent.
Car aujourd'hui la brute est passée à l'acte.
En un éclair, avant de sombrer dans l'inconscience, mon neveu pense à sa carrière, à son travail d'éducateur. Ces jeunes n'étaient pas faciles, il y avait les risques du métier, mais jamais aucun de ces révoltés n'avait levé la main sur lui. Educateur d'un naturel pacifique, raisonneur, conciliateur, à la fois ferme et amical, une relation d'humanité s'instaurait entre lui et ces êtres à demi sauvages qu'il s'agissait de rassurer et de dompter pour leur ouvrir une place dans le corps social.

Non, les coups qu'il reçoit aujourd'hui ne proviennent pas des risques de son métier, mais d'une ordinaire querelle de voisinage. Un couple de voisins, guère plus âgés que les jeunes dont il s'occupe, auxquels il demande poliment de bien vouloir ne plus profiter de son absence pour débrancher son cable de télévision pour brancher le leur à la place. Il faut bien expliquer à ces gens-là, très frustes, qu'une antenne privée placée sur un toit privé est à usage privé et que la formule simpliste « Lève-toi de là que je m'y mette » relève d'une loi de la jungle et n'a pas cours dans une société civilisée...

Le langage choisi et courtois de mon neveu demeure lettre morte, c'est même une langue étrangère pour ces jeunes gens qui ne possèdent pas d'autre cadre conceptuel qu'un répertoire limité d'idiomes orduriers très sommaires (« Tu me cherches ? »... » « Je vais t'emplâtrer la gueule!... »). L'homme brutal, qui n'a pas la moitié de l'âge de l'éducateur, n'a pour argument que ses poings, pour faculté d'analyse que sa rage.
La communication, c'est un peu le métier de mon neveu : il connaît... Mais là, il est dépassé car toute parole raisonnable, conciliante, est perçue par la brute comme un signe de faiblesse qui va déclencher la violence. Même un signe apaisant de la main est interprété comme une insulte primaire (« Ah! Tu m'as fait le doigt !» expression qui évoque le bras d'honneur très usité dans les conflits de bas étage).
Donc, communication impossible, la jeune brute projette son propre langage sur les mots et les gestes de son interlocuteur et vit les propos apaisants comme autant d'agressions qui vont déclencher le passage à l'acte. Certes, la psychiatrie saurait poser un diagnostic sur ces mécanismes de projection. Elle saurait établir, par là-même, la dangerosité du personnage. Peu importe, ce qui est malheureux à dire c'est que certains êtres, déséquilibrés à ce point, ne peuvent se corriger par le raisonnement et les bonnes paroles et que, dès lors, pour se protéger et protéger les siens, il convient de les tenir à distance et de les empêcher de nuire. C'est pour cela que nous avons besoin d'une police dans notre société.

L'éducateur pense donc à sa carrière écoulée et que c'est bête et inutile de recevoir des coups sans raison, sans même avoir le sentiment, comme dans les guerres stupides, d'avoir défendu une cause. C'est pour rien qu'il risque de mourir le visage écrasé sur le bithume. On dira de lui qu'il n'a pas eu de chance, qu'en rentrant chez lui après sa journée de travail social, il est passé au mauvais endroit au mauvais moment.

L'insécurité urbaine, c'est cela. Elle ne relève pas forcément d'une révolte idéologique, ni de la misère, ni du crime organisé. Insécurité parce qu'on est à la merci d'un déséquilibre mental ou d'un individu qui, faute d'éducation ou de structures mentales est resté à l'état brut de la bête malfaisante et gratuitement agressive (toutes mes excuses à mes amies les bêtes qui ne méritent sans doute pas d'être comparées à un tel être...).

Cet être fruste et inquiétant, physiquement bien bâti, dans la force de ses vingt-cinq ans, n'hésite pas à taper haineusement sur cet homme doux, pacifique et grisonnant, qui pourrait avoir l'âge de son père. Passons sur cet aspect du drame qui n'est qu'un cas d'espèce, relevant de l'hygiène mentale. C'est la faute à « pas de chance » de s'être trouvé sur le passage d'une brute de cette espèce. La faute à « pas de chance » si la famille de mon neveu vit actuellement un stress qui la bouleverse et dont on ne connaît pas encore les conséquences sur l'équilibre des enfants et de l'épouse.
Par contre, là où le bât blesse, c'est de constater qu'il n'y a pas eu , du côté des autorités policières, dont le rôle est de nous protéger, de mesures préventives quand elle ont été avisées du danger. De plus, cette même police, alertée par les secours, n'est pas intervenue auprès de la brute (il n'y avait pas d'équipe disponible, ont-ils dit...). Lors du dépôt de la plainte, il a été signifié à l'épouse qu'on n'a pas le droit de pénétrer au domicile des agresseurs (!). Ironie du sort: dans la même semaine, quelque part en France, une équipe de gendarmes est disponible pour poursuivre un voleur d'essence. Hélas! cela tourne au drame. Deux blessés , un mort parmi les gendarmes... mais la France entière est déjà au courant car les médias répercutent largement l'événement. Et bienheureusement le fauteur de troubles est arrêté aussitôt, mis hors d'état de nuire comme il se doit. On peut concevoir qu'il est plus grave de meurtrir des gendarmes qu'un simple éducateur des rues. On peut concevoir comme prioritaire la nécessité de se saisir d'un agresseur de gendarmes. Plus difficile de concevoir qu'une équipe soit prête à poursuivre un voleur d'essence pendant qu'ailleurs aucun représentant de l'ordre ne peut intervenir pour arrêter le massacre d'un simple citoyen. A l'heure où j'écris ces lignes, mon neveu est toujours à l'hôpital. On a dû l'opérer car des os de la face sont fracturés et qu'il faut consolider l'ensemble avec des plaques et des vis, avec toutes les complications possibles liées à son état de fragilité (diabète avancé). Ses enfants, pré-ado et ado, bouleversés par la violence gratuite qui a frappé un père aimé et sécurisant, essaient, par des comportements inhabituels, de conjurer l'angoisse qui s'est installée en eux. Ils ne sont d'ailleurs pas à l'abri de la bête furieuse laissée libre après son forfait. Ma nièce, par sa fenêtre, observe le sinistre individu qui se promène dans la rue, sifflotant, fier de lui, impuni, goguenard.
Les voisins ont assisté au spectacle gratuit. Car cela a fait grand bruit dans le quartier. Ils étaient très nombreux dans la rue pour assister à l'immolation d'un honnête citoyen par la jeune brute aux muscles d'acier. Ils l'ont vu s'écrouler sur l'asphalte, ils ont vu sa femme l'aider à se relever, l'accompagner jusqu'au hall d'entrée où il s'est à nouveau écroulé. L'un d'entre eux, il est vrai, avait essayé de retenir la brute. Mais quand le forfait fut accompli, la rue s'est vidée comme par enchantement, les pompiers ont fait leur boulot (ils étaient navrés que la police n'intervienne pas), la famille de la victime s'est retrouvée aussitôt dans la solitude de sa peine et dans l'attente anxieuse de nouvelles agressions. Une plainte ayant été déposée, il faut imaginer que l'agresseur sera bientôt convoqué dans un commissariat, que peut-être il en sortira libre, et libre d'aller frapper un enfant où la femme de sa victime. Et les voisins ? ceux qui, après le "spectacle" se sont empressés de s'enfermer chez eux , accepteront-ils de témoigner de ce qu'ils ont vu, ou bien, lâchement, auront-ils peur d'éventuelles représailles?... Auquel cas on ne pourrait même pas leur en vouloir: quand on a peur pour les siens et que l'insécurité règne dans la rue, la lâcheté peut se comprendre. Et, plusieurs jours après le dépôt de la plainte, le dangereux personnage est toujours en liberté !...

Cet épisode s'est déroulé à Marseille, aurait pu se dérouler n'importe où. Cela peut arriver à n'importe qui. C'est tellement banal et courant que la presse n'en a pas parlé. Quand cela vous arrivera, comme moi vous serez triste et vous voudrez, comme moi, qu'on en parle, que l'on s'afflige quelque part, et surtout que l'on soit protégé par ceux dont c'est la mission. Ces derniers mois ont vu se dérouler une campagne pour l'élection d'un Président où il a été beaucoup question de la sécurité publique. Des promesses ont été faites. Des jeunes gens se sont trouvés immédiatement incarcérés à l'issue de manifestations violentes. Par contre, la nouvelle législature commence bien mal dans le quartier de mon neveu.
Il est encore tôt pour juger. Attendons. La balle est dans le camp, des forces de l'ordre d'abord, de la justice ensuite. La balle est aussi dans le camp des médias auxquels je m'adresse par cette lettre.

Lien vers le site de CBB

Claude-Bernard Berkiwitz.

09:50 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne, politique |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |