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La vie et rien d’autre ! (25/11/2006)

Depuis ses premiers pas, la "gueule" de Philippe Noiret n’a jamais vraiment quitté le paysage du cinéma français. Ni le coeur du public. Drôle, émouvant, justicier à ses heures et un brin provocateur, son secret, un grand appétit de la vie.

"Immense figure du 7e art" (Renaud Donnedieu de Vabres), "toujours prêt à prendre des risques" (Bertrand Blier), "Un homme hors clan, hors norme, hors des sentiers battus" (Charles Berling)… Amis, collègues, admirateurs ou personnages politiques, tous ceux qui ont aimé Philippe Noiret mesurent la perte causée par sa mort, survenue jeudi 23 novembre 2006 en fin d’après-midi. Derrière la jovialité de l’un des acteurs les plus populaires de notre patrimoine culturel, Philippe Noiret était surtout un homme de caractère.


Entrée en scène

Est-ce parce qu’il n’aimait pas l’école que Philippe Noiret est devenu acteur ? C’est en tout cas après avoir raté trois fois son bac qu’il s’inscrit au cours de théâtre du Centre dramatique de l’Ouest. C’est aussi parce qu’il aime jouer et chérit plus que tout son âme d’enfant. Elève de Roger Blin pendant près de trois ans, il apprend vite et monte déjà ses premières pièces. Puis en 1953, il intègre le Théâtre national populaire de Jean Vilar, où il passera dix années de sa vie et interprétera environ quarante rôles. Une broutille pour celui qui deviendra l’acteur aux 130 films ? Certainement pas, car c’est à cette époque qu’il s’éveille à la comédie à travers des pièces aussi variées que ‘Lorenzaccio’, ‘Le Cid’, ‘Ruy Blas’, ‘Le Malade imaginaire’, ‘MacBeth’ ou encore ‘Oedipe’. Avec son ami Jean-Pierre Darras, il constitue aussi un duo de cabaret comique dans lequel on découvre son grand sens de l’humour. Philippe Noiret vit au fil des rencontres. C’est celle d’Agnès Varda - dont on dit qu’elle fut émue par sa "nuque exquise" - qui engendrera ses premiers pas au cinéma, dans ‘La Pointe courte’ en 1954. Il déclarera d’ailleurs : "J'avais peur de cette aventure. J'ai tâtonné. Finalement, je suis absent du film."


Le caméléon

En 1960, Louis Malle le choisit pour interpréter l’oncle Gabriel de ‘Zazie dans le métro’. Sa bonhomie et son visage affable n’y sont certainement pas pour rien. Mais le film ne récolte pas les faveurs du public et Philippe Noiret connaît une période de flottement durant laquelle le succès le boude. Il devra attendre 1966, avec ‘La Vie de château’ de Jean-Paul Rappeneau, et surtout 1967, avec ‘Alexandre le bienheureux’, éloge de la paresse signée Yves Robert, pour percer. Obstiné, il n’hésite pas à bousculer son image pour échapper à la carrière de jeune premier vers laquelle son physique semble l’orienter. Les rôles s’enchaînent jusqu’à la révélation en 1975, sous la caméra de Robert Enrico, avec ‘Le Vieux Fusil’. Les spectateurs le plébiscitent et Philippe Noiret devient "acteur populaire". Homme au tempérament fort, si la Nouvelle Vague l’ignore, il lui préfère les "vrais" auteurs. Il travaille ainsi avec les plus grands réalisateurs de la deuxième moitié du XXe siècle et contribue au renouvellement du cinéma français. Spécialiste des rôles de composition, il passe non sans panache du clown (‘Les Ripoux’, 1984) à l’homme blessé (‘L’Horloger de Saint-Paul’, 1973) ; du méchant (‘Masques’, 1987) au gentleman (‘Père et fils’, 2001), avec un goût certain pour la comédie. Sa carrière connaît quelques rebondissements. Un grand succès en Italie notamment, avec des films comme ‘La Grande Bouffe’ de Marco Ferreri, qui fit scandale à Cannes en 1973, ‘La Famille’ d’Ettore Scola ou ‘Cinema Paradiso’ de Giuseppe Tornatore, et une escapade à Hollywood où George Cukor le dirige dans ‘Justine’, suivi d’Alfred Hitchkock dans ‘L’Etau’. Quand le cinéma lui laisse un peu plus de temps libre au milieu des années 90, il en profite pour renouer avec le théâtre et joue avec plaisir dans ‘Les Côtelettes’ de Bertrand Blier, qui sera par la suite adapté pour le grand écran. Gourmand, il était encore en 2005 à l’affiche d’‘Edy’, une comédie policière de Stéphan Guérin-Tillié.


Le goût des autres

Outre l’acteur, Philippe Noiret était aussi un homme au grand coeur, que l’on disait tendre et disponible. Très fidèle dans le travail, il a notamment tourné huit longs métrages avec Bertrand Tavernier, son réalisateur fétiche. Si tout le monde estime avoir aujourd’hui perdu l’une des figures les plus attachantes du cinéma français, c’est aussi parce qu’il était très proche de son public, pour qui il incarnait une personnalité généreuse, authentique, qui ne cherchait jamais à surjouer. Dans la vie privée Philippe Noiret n’avait qu’une seule femme, Monique Chaumette, comédienne elle aussi. Pourtant, à l’écran, il s’est illustré à plusieurs reprises dans de mythiques duos avec Catherine Deneuve, Romy Schneider, Simone Signoret ou encore Annie Girardot qui gardent encore, certainement, le souvenir de cet homme à la silhouette imposante, à la voix puissante et douce, reconnaissable entre mille.


Le style Noiret

Et puis derrière ce physique singulier, il y avait la fumée des cigares qu’il appréciait tout particulièrement et sa constante élégance, qu’il se plaisait à cultiver pour lutter contre ce qu’il appelait lui-même le "débraguetté". Côté caractère, en épicurien, il aimait faire la fête, rire avec ses amis, mais n’hésitait pas à user de son cynisme aiguisé pour écarter les opportuns. En personnalité entière, ses colères pouvaient être aussi grandes que ses joies, ses déceptions ou ses obsessions. A propos du monde qui l’entourait, il se plaisait à dire : "Il me reste tellement peu d’illusions sur la nature humaine que cela devient difficile de se mettre en colère. Je suis désolé pour les autres, le monde et moi aussi. Je suis un désolé gai." Ce qui ne l’empêchait pas de s’étonner chaque fois du plaisir qu’il prenait à jouer la comédie.

Celui qui restera dans les esprits comme un acteur passionné et un être humain accessible fait d’ores et déjà partie de notre histoire collective. Philippe Noiret aura su dissimuler les doutes qui l’assaillaient et préserver son image positive, si chère à son public, afin porter le cinéma français plus fort, plus loin. "Quand je me retourne, disait-il, je vois quelqu'un qui a fait correctement son métier d'artisan. J'ai fait des films difficiles, peu. Des films pas assez exigeants, peu. La moyenne n'est pas mal : je suis un acteur populaire et j'aime cette idée."

20:15 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, action-sociale-chretienne, spiritualite, social, poesie |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |