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Pourquoi le projet politique de Nicolas Sarkozy est dangereux pour nos libertés. (24/04/2007)

 

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 Ruptures, texte très critique du juge Serge Portelli sur le bilan politique et le programme présidentiel de Nicolas Sarkozy, vient d'être "empêché de publication avant les élections", son éditeur ayant "brutalement renoncé" à le faire paraître (1). Un mal pour un bien, l'ouvrage est donc disponible en ligne, où il devrait finalement recueillir une audience plus importante qu'en librairie. Une bonne raison d'en parler. Mais si L'Interdit décide de s'en faire écho, c'est aussi parce que son contenu résonne avec les propos, particulièrement inquiétants, tenus par l'ex-ministre de l'Intérieur et candidat de la droite à l'élection présidentielle, sur l'origine prétendument génétique de la pédophilie, du suicide ou du cancer .

La charge est violente.

Le projet de Serge Portelli est, grâce à l'"examen minutieux de quatre ans d'exercice du pouvoir" de dessiner un tableau "très différent de la rupture tranquille proposée par le ministre-candidat" . "Ce livre est là pour qu'on ne puisse pas dire, après, qu'on ne savait pas", écrit le magistrat. Dénonçant "une politique sécuritaire impérialiste" , l'auteur ponctue son propos de formules coup de poing, telles "le Kärcher nettoie vite mais ne répare rien et on ne peut l'utiliser en permanence, son jet est trop fort".

Mais le livre ne reste pas à la surface de la polémique : l'auteur s'essaie à une critique en profondeur du projet de société défendu par le candidat UMP. "Toute la philosophie politique de Nicolas Sarkozy est là : un individu qui n'entre pas dans le 'moule' ordinaire est étiqueté pour longtemps. Vision simplifiée de l'Homme et de la société, philosophie de comptoir" . Puisque "l'avenir appartient à l'homme qui 'se lève tôt', l'homme sûr de lui, l'homme qui choisit, l'homme qui réussit, l'homme qui mérite. (…) Le délinquant, l'homme sans mérite, doit être châtié sans pitié. Il s'agit de refuser toute 'excuse', (…) toute compréhension" . En forçant le trait, ce projet politique aboutit à la création de "deux types de citoyens" : "d'un côté, les citoyens ordinaires,'normaux', ceux qui ont réussi, les riches, les puissants, les chanceux, les 'méritants'; de l'autre, les citoyens de seconde zone, les 'déviants', les exclus, les ratés du système, ceux qui ont failli, qui n'ont pas su se lever assez tôt" . La frontière ne sera pas seulement celle de l'argent, elle sera surtout celle de la déviance. Mais, prévient Serge Portelli, "dans une démocratie, les libertés ne se divisent pas. On ne peut faire longtemps coexister au sein d'une République deux types de citoyens" .

Le projet Sarkozy est en rupture avec les principes républicains.

Serge Portelli est d'accord avec le candidat de l'UMP sur un point. Il confirme que le discours de Nicolas Sarkozy est "un vrai discours de ruptures" , mais précise que ce sont surtout "des ruptures avec des grands principes républicains" : la séparation des pouvoirs (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) ; la non-rétroactivité des lois (article 8) ; l'individualisation de la peine (article 8) ; la présomption d'innocence (article 9) ; le principe d'atténuation de la responsabilité des mineurs (réaffirmé par le Conseil constitutionnel en 2002) ; le respect de la vie privée (Déclaration de 1789) ; le droit d'asile (article 3 de la Constitution de 1946). Chacun de ces points fait ainsi l'objet d'un développement argumenté, appuyé de citations équivoques du candidat, relevées dans les médias.

Il ne donne aucun sens à la punition.

 L'auteur examine es résultats de la politique de l'ex-ministre de l'Intérieur. Comme dans le cas des chiffres du chômage, il montre comment les statistiques du ministère sont manipulables et manipulées par la "culture du résultat" imposée comme une règle depuis 2002 : non seulement policiers et gendarmes se doivent d'assurer la paix publique et de lutter contre la délinquance, mais aussi ils doivent faire baisser le nombre des infractions, tout en augmentant celui des interpellations. Il cite Nicolas Sarkozy : "Il y a 60 000 détenus en France. Qui décide que c'est trop ? Par rapport à quels critères ? Je souhaite qu'aillent en prison ceux qui le méritent" (Le Parisien, 28 mars 2006).
Serge Portelli rappelle quelques fondamentaux : "punir est une science, non un réflexe : la peine doit impérativement avoir un sens (…). Vivre en sécurité exige qu'on respecte la victime comme le délinquant" . Pour lui, "lutter contre la violence exige de mobiliser toutes les formes de l'intelligence humaine et toutes les forces de la société (…). On ne se débarrasse pas de la criminalité, on la traite, on ne 'tourne pas la page', on la lit d'abord". Si le juge estime que "l'exigence croissante de sécurité est une réalité" , il insiste sur le fait que "la bataille permanente pour les libertés se joue aussi à l'occasion de cette lutte contre la délinquance" . A l'inverse de cette conception, l'action de Nicolas Sarkozy est, selon lui "essentiellement fondée sur la prison (…), il assouvit la soif de vengeance, la rage de punir, il procure en un minimum de temps la jouissance simple d'appliquer simplement des idées simples" .

Il crée une justice en trompe-l'oeil.

"Les droits de l'homme, pour moi, ce sont avant tout les droits de la victime" dit Nicolas Sarkozy (3 juillet 2006). Face à cette affirmation, Serge Portelli pose la question : "que gagnent les victimes à être exhibées sur la place publique ?" . S'il econnaît que "les victimes ont longtemps été les oubliées de la justice et de la société [et que] leur réhabilitation est très récente" , il rappelle que "le réseau d'association d'aide aux victimes, développé par Robert Badinter, se trouve aujourd'hui dans les tribunaux et apporte une aide indispensable" . La victime a l'évidence de sa souffrance, qui suscite compassion et respect. Chacun peut s'identifier à elle. Pour autant, l'idée de Nicolas Sarkozy de créer un "juge des victimes" est un véritable trompe-l'œil : "essayer de mêler les juges à la 'reconstruction'de la victime c'est se tromper de registre et confondre les genres. Le juge doit essayer de comprendre et évaluer, pas s'occuper des soins, de la thérapie"
"J'estime que la situation de victime ne saurait s'arrêter à la fin du procès" , dit encore l'ex-ministre candidat. En réalité "son intérêt est de quitter au plus vite la scène de la justice sur laquelle elle a été conduite contre son gré" selon Serge Portelli.

Il suspecte les enfants dès leur plus jeune âge.

 Nicolas Sarkozy demande : "Est-ce qu'il ne faut pas s'occuper de la détection précoce chez les enfants des troubles du comportement (…) ?" (Europe 1, 11 avril 2006). Ainsi, l'avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance, réalisé par le ministère de l'Intérieur en 2005, propose "la création d'un "carnet de comportement" censé répertorier et garder la trace des signes précoces de 'troubles du comportements' et de 'souffrance psychique', de la naissance à la vie adulte" . Mesure inspirée d'un rapport de l'INSERM rédigé par Jacques-Alain Benisti. Serge Portelli s'interroge : "Comment peut-on imaginer que la délinquance n'est qu'un long continuum qui commence à l'enfance et peut se poursuivre sans relâche à l'âge adulte ?" . Suite à la polémique provoquée par la récupération politique du rapport, un colloque scientifique organisé par l'INSERM le 14 novembre 2006 a rejeté quasi unanimement les préconisations de dépistage précoce de la délinquance.

Il s'appuie sur une conception déterministe de la société.

La vision du monde que critique Serge Portelli trouve son prolongement direct dans les propos tenus par Nicolas Sarkozy dans Philosophie Magazine, lorsque devant Michel Onfray, il dit incliner "à penser qu'on naît pédophile" : "et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d'autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense" . Rabattre les causes de la pédophilie, du suicide, de la maladie, etc., du côté de la "déviance" et du côté des gènes, revient à prôner un déterminisme tout à fait dangereux pour les libertés individuelles. Ces propos sont sidérants de la part d'un haut responsable politique... Surtout lorsque l'on sait que son action au ministère de l'Intérieur a été qualifiée par le président de la CNIL, pourtant sénateur UMP, comme "particulièrement grave" : "Je constate une dérive du fichage que je considère comme très dangereuse". La citation est rapportée par Serge Portelli qui ajoute que police et gendarmerie disposent de 100 millions de fiches en France, au sein desquelles les risques d'erreur sont évalués à 30 % par l'Observatoire National de la Délinquance !

Fabien Eloire.

Pour se procurer l'ouvrage" Ruptures" :
http://www.betapolitique.fr/ruptures

16:35 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, action-sociale-chretienne, spiritualite, social, Gauche |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |