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12/10/2006

DÎNER DE CONS.

On a beau fuir le troupeau, en famille ou au boulot, il nous arrive parfois d'être l'invité surprise d'un repas de blaireaux, de cons. Anniversaire, mariage ou boulot, ce sont là des traquenards infâmes où rote à voix haute la France profonde. Mon dernier traquenard date d'une semaine à peine : un repas avec d'autres professionnels de l'éducation. Il y avait le fou du boulot, éternel irresponsable confondant la planète et son nombril. Il y avait le gentil, le méritant, l'autodidacte, militant gauche-gauche, groupie d'Arlette et apprenti yogi. C'est parti en sucette au milieu de l'osso-buco. Jusque là, la conversation traînait dans une délicieuse banalité : la météo et le réchauffement, les 35 heures et les vacances, rien que du bon ! Mais le prof, se croyant au boulot, ou se sentant tout à coup habité par la grâce, s'est mis à se soulager la boite à connerie en public : "Bon, oui, tout le monde le sait, Chirac est un truand et les américains sont des salauds, mais il faut reconnaître qu'il y a une violence dans tous les niveaux d'organisation de cette société planétaire qui, primo, engendre la violence, deuzio, développe un sentiment légitime de peur chez les citoyens. Quelle que soit l'antipathie que l'on a pour Bush, Saddam était un boucher, et Sarkosi n'a pas tout à fait tord. Les gens ont peur !". Et encore, là je résume, mais en vrai c'était mieux, plus con. L'apprenti yogi emboîta le pas aussitôt, pleurant cette guerre tombant du ciel et ce terrorisme si inhumain. Perte de repère proposa-t-il ? Perte d'autorité répondit le prof. "Et l'éduc, qu'est ce qu'il en pense l'éduc ?", me balança le prof, "Face à cette violence, face à cette peur, on fait quoi ?". J'avais dans la poche deux trois feuilles rédigées. Ça parlait de la peur justement. J'ai sorti le brouillon de ma poche et je me suis mis à lire des passages, le sourire aux lèvres, et l'oeil malicieux.
"C' est le retour de la peur ! La peur d'aujourd'hui bien sûr, mais surtout la peur de demain. La peur comme façon de vivre, comme raison indispensable. Qu 'ils nous parlent de la violence scolaire ou du cancer du sein, de Ben Laden ou de l'Irak, de marée noire ou de tempête, de chômage ou de faillite, du monde qu'ils détruisent ou des centrales nucléaires qu'ils érigent, ça sent la souffrance, la catastrophe, la mort et la misère. Du Nord au Sud, de ton quartier à la planète entière, de ta vie la plus intime aux aspects les plus sociaux de tes activités, ils sèment sans cesse leurs chiffres de mort, leurs statistiques de violences et de crimes, leurs prévisions de catastrophes, leur discours d'experts mortifères. Gare à ta bouffe, potion à cancer ! Gare à ta bière, sirop de thrombose ! Gare à ton voisin, gueule de terroriste ! Gare à ton quartier, nid à racaille ! Gare aux pauvres, gueules de souffrance ! Gare à la planète, vaisseau de misère ! C'est plus de la vie, c'est de la course à reculons vers la mort. Tout est dangereux, tout est sans espoir, ton futur c'est la mort ! Même l'espoir est devenu dangereux, c'est de la folie qui s'ignore. Ce n'est plus un monde, c'est un mouroir pour nouveaux-nés en sursis". Tu vois ça prof, c'est ma réponse. Et je peux même de donner la solution à ton problème. Et de la même voix inflexible, j'ai repris la lecture, j'ai remis la deuxième couche : "Que peux-t-on espérer à les entendre ? Rien ! Écoute-les faire chanter, dans les médias, ces tristes oiseaux de mauvaise augure, les journaleux. "Le monde est maintenant immuable, l'histoire est morte et la technologie est reine ; la planète est la poubelle de tes excès, la pauvreté du Sud est le prix de ton maigre salaire de nègre blanc, ta retraite
s'appelle misère, et le progrès t'offre son avenir radieux : l'euthanasie payée par capitalisation.". Mieux que des flics, mieux que des juges ou des troufions, la peur à elle seule tue ton futur et castre ton présent. C'est contre tout cela que l'on s'insurge, que l'on refuse, que l'on résiste. C' est ce monde là que l'on finira bien par abattre, ne serait-ce que parce que l'on veut vivre et non plus survivre. Ils ont beau distiller leur propagande de croque-morts, nous, on sait que sans l'espoir on est mort, mort vivant, mort debout, mais mort. On ne choisit pas, on ne croit pas,
on sait ! On sait que la vie, ce n'est pas le boulot ni la mendicité institutionnelle, ce n'est pas la course au fric ni l'escalade du piédestal ! Et surtout, on sait que le monde n'est pas immuable, que l'histoire a déjà vu briller le soleil des précaires, et que tous les systèmes de domination se prennent un jour ou l'autre la patte dans leur propre piège. A leur peur empoisonnée d'un futur personnel et collectif apocalyptique, nous opposons la force de l'Espoir. Nous sommes des semeurs de graines d'Espérance, des inventeurs de futur. Ils peuvent nous moquer, en rire, en pleurer. Le prof, riche de ses vingt années de défaites syndicales lâcha : "C'est bien, tu as gardé tout ton pouvoir d'indignation !". Le repas fut morose et pourtant, une certaine espérance sourdait entre les assiettes. C'était mon repas de cons où nous faisons de la bistrologie une science exacte de la Vie. Nous n'avons pas toutes les réponses mais, nous avons cette capacité d'indignation pour répondre face à ceux qui pensent que vous détenez la Vérité.
Bruno LEROY.

09:45 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans CHRONIQUES. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, action-sociale-chretienne, spiritualite |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

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