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21/04/2006

POUR LES ÉDUCATEURS CHRÉTIENS...

LA PÉDAGOGIE CHRÉTIENNE

Variables, invariants, avenir

par Guy Avanzini

A toutes les époques de leur histoire, les Eglises chrétiennes ont valorisé l’éducation, fondé des Congrégations et des Instituts religieux pour la promouvoir. Le christianisme n’a cessé, au fil du temps, d’être ainsi inspirateur de courants pédagogiques et de pratiques éducatives et il le demeure encore aujourd’hui. Cet immense capital a parfois été méprisé, même rejeté et il est le plus souvent surtout méconnu et négligé.

Même si cette permanence de pédagogies chrétiennes est patente à travers les âges, il est évident aussi que les initiatives et les réalisations qui s’en réclament sont extrêmement variées. D’où cette question, peut-on caractériser « la pédagogie chrétienne » en tant que telle ? Peut-on même aller jusqu’à dire qu’il existe une « pédagogie chrétienne » ? Quelle en est l’origine ? A quelles convictions une doctrine ou une pratique doivent-elles satisfaire pour pouvoir légitimement être dites chrétiennes ?


 

Poser cette question peut nous amener à une rapide réflexion en trois étapes où je voudrais essayer de souligner très rapidement les principales variables de la pédagogie chrétienne pour insister ensuite sur les invariants constitutifs de son identité et évoquer enfin les problèmes que pose son avenir.

I - Les variables

Précisons tout d’abord un point. Lorsque nous parlons de « pédagogies chrétiennes », nous entendons celles qui, se référant explicitement au message de Jésus-Christ, s’efforcent d’ « ordonner (l’éducation) et toute la culture  humaine à l’annonce du salut ». Parmi les pédagogies susceptibles de satisfaire à ce critère, nous constations qu’apparaissent non seulement des différences mais même des divergences, et cela au moins sur six points principaux :

1°) La population visée : garçons, filles, garçons et filles, les enfants comme chez les Frères des Ecoles Chrétiennes, ou les adolescents comme chez les Jésuites, ou les jeunes adultes comme dans les Universités catholiques. Les « pauvres », au sens du XVIIème siècle ou les milieux populaires, les sujets d’origine bourgeoise ou aristocratique ? Les proches, ceux du diocèse ou les lointains d’Afrique ou d’Asie comme avec tant de familles religieuses missionnaires, etc.

2°) Les programmes retenus : seulement apprendre à lire, écrire et compter ou initier aux humanités gréco-latines et à la culture de haut niveau ? Se contenter des techniques ménagères pour les filles ? Privilégier le catéchisme, comme avec le Père Chevrier ou, à la manière de Jean-Baptiste de  La Salle, accorder toute leur place aux branches séculières du savoir ? Ce point est important car ici, ce ne sont pas seulement des différences dues à la volonté pastorale d’adaptation à la diversité de la population. Ce sont aussi, à la limite, des divergences qui portent sur la conception des finalités. Est-il plus important de préparer de bons ouvriers ou des élites sociales, des laïcs ou des clercs, des mères de famille ou des professionnelles avisées ? Ce sont là des choix stratégiques différents.

3°) La représentation du sujet : c’est-à-dire l’idée que l’on nourrit de la psychologie de l’élève ou de l’étudiant. Celle-ci donne en effet lieu à des conceptions différentes quant à son éducabilité intellectuelle, à sa capacité d’assimiler le savoir, à sa motivation vis-à-vis du travail, etc. On peut même dire que, selon que le fondateur est plutôt anxieux ou optimiste, selon qu’il est de tendance augustinienne, voire janséniste, ou liguoriste et marquée par la spiritualité de St François de Sales, il préconisera un style répressif ou confiant, punitif ou indulgent, contraignant ou libéral. Il faut aussi ne pas oublier l’influence des théories philosophiques dominantes à une époque donnée qui ont marqué telle ou telle pédagogie. Ainsi, jusque vers 1968, le rigorisme des Ecoles Normales d’instituteurs n’était pas moindre que celui des petits séminaires. Il était même plus dur faute d’intégrer la notion de pardon.

4°) Par voie de conséquence, une quatrième  variation affecte le type d’institution mis en place : monastère, école monastique, école proprement dite ? Encore celle-ci peut-elle être surtout un acheminement vers la cléricature (petits séminaires, juvénats, collèges séraphiques) ou une préparation à la vie dans le monde (collèges). D’autre part la préférence peut être accordée tantôt à l’internat, tantôt à l’externat, en fonction de la confiance que l’on fait aux capacités éducatives de la famille, surtout pour les filles, mais aussi selon le milieu social, le niveau économique et les aspirations des parents, donc d’après l’objectif donné à la scolarisation.

5°) Les rôles respectivement attribués à l’Ecole et à d’autres instances. Les initiatives les plus nombreuses ont trait à l’institution scolaire. Mais plusieurs en débordent le cadre comme l’immense mouvement, inauguré par St-Jean Bosco, d’ouverture de patronages, d’orphelinats et de foyers à l’intention des cas sociaux. Il suffit de penser, pour exemple, aux Orphelins Apprentis d’Auteuil de l’Abbé Roussel et du Père Brottier ou, pour les filles en danger moral, pénitentes ou repenties, les Refuges, spécialement à Angers, le Bon Pasteur. Mais, pour les sujets « sans histoire », si l’on peut dire, beaucoup aussi se préoccupent d’une éducation péri ou post-scolaire. C’est le cas des mouvements de jeunesse : le scoutisme masculin, dans les années 20, avec le Chanoine Cornette, puis féminin, avec le Père Sevin. Ce sont également, à partir de 1925, les mouvements spécialisés, JAC et JOC, prolongés pour les adultes par le MRJC et l’ACO. Ce sont aussi aujourd’hui des mouvements animés par une forte spiritualité comme les Equipes Notre Dame ou les Focolari ou, plus près de nous encore, la formation des catéchistes.

6°) En définitive, le changement affecte l’idéal spirituel lui-même, c’est-à-dire la conception dominante du « bon chrétien ». Qu’est-ce qu’un « bon chrétien » ? Est-ce plutôt le pieux laïc, la mère de famille fidèle et vigilante, le militant dynamique engagé dans l’Action catholique et même dans l’action politique ou un religieux actif, un prêtre, voire un moine ? Les spiritualités successives et les représentations évolutives de la sainteté ont, directement ou indirectement, marqué avec force les pédagogies chrétiennes, en tant que conceptions systémiques de l’éducation, et pas seulement la composante catéchétique et la formation proprement religieuse.

II - Les invariants

Cependant, au-delà de ces différences, voire de ces divergences, essayons de préciser quelles sont les caractéristiques de ces pédagogies et de ces pratiques éducatives "chrétiennes". Il est possible d'en identifier six.

1°) D'abord la volonté d'éduquer. L'être humain ne peut se passer d'être éduqué et, non seulement parce qu'il en a besoin pour survivre mais surtout parce que c'est ainsi qu'il peut s'humaniser, c'est-à-dire devenir plus humain. Pour ceci, cependant, nul n'est besoin d'être chrétien. Pour le chrétien, il y a une autre raison: la finalité de l'existence terrestre étant la libre adhésion à la parole de Jésus-Christ, cela implique que l'on ne peut la découvrir par soi-même et que l'on est contraint de la recevoir, c'est-à-dire d'en être informé et instruit. L'intelligence humaine ne pouvant, par ses seules forces, discerner le message de Dieu, celui-ci doit être transmis: il est donc nécessairement objet d'éducation. En tout cela , la démarche de Dieu est foncièrement éducative et c'est pourquoi l'Eglise n'a cessé d'insister sur le droit des enfants à l'éducation.

2°) Un second invariant, qui conditionne la fécondité du premier, c'est la postulation de l'éducabilité spirituelle. Non pas seulement pour des raisons d'ordre psychologique ou sociologique car il n'y aurait pas besoin d'être chrétien pour cela. Mais pour une raison d'ordre théologique: c'est, en effet, le statut même de fils de Dieu, à qui est ouvert le chemin du salut et à qui est conseillée la voie de la sainteté, qui implique logiquement de postuler la convertibilité de chacun. A cet égard, on peut considérer l'invocation de St-Jean-Baptiste "Convertissez-vous" comme la première verbalisation de l'éducation permanente et du lien entre la conversion et l'éducation qui y convie. Si toute entreprise éducative est un pari, parce que sa réussite n'est jamais garantie, celui de l'éducation chrétienne est de tenter d'inciter l'homme à répondre à l'espérance de Dieu sur lui. En ce sens, l'éducateur chrétien est celui qui pense collaborer par l'éducation à la réalisation du dessein de Dieu et qui fait de cette collaboration son projet de vie.

3°) Le troisième, c'est la subordination du progrès personnel et collectif au registre spirituel, c'est-à-dire à la transformation de l'homme, et non à la réforme des institutions, à la conviction du cœur et non à la contrainte des structures, donc à l'éducatif et non au politique. En d'autres termes, ce ne sont pas des mesures imposées par la force ou la violence qui amélioreront l'humanité et conformeront la conduite des hommes au dessein de Dieu, mais la lente formation des esprits, comportant, peu à peu, de génération en génération et tout au long de chaque parcours personnel, l'intériorisation des valeurs évangéliques.

4°) Il y a ensuite le quatrième invariant, consistant dans le sens aigu des délais, c'est-à-dire du temps indispensable à l'évolution souhaitée. Au contraire de la politique qui gère le court terme et réagit dans l'urgence, l'éducation signifie l'option pour le long terme. Elle implique, en quelque manière, de partir de zéro et de n'attendre que de la durée l'effet de ses efforts, à l'image de la patience même de Dieu. C'est seulement plus tard que l'on pourra évaluer avec pertinence les résultats obtenus.

5°) L'éducation catholique comporte aussi de donner toujours priorité au problème du sens, des valeurs. Elle ne vise ni seulement, ni d'abord à procurer des moyens de vivre, c'est-à-dire les connaissances ou diplômes requis pour l'obtention d'un statut social. Non pas qu'elle ignore ces objectifs mais elle veut surtout aider à discerner des raisons de vivre, la signification profonde de la vie. Comme le disait le Père Faure, une école catholique, ce n'est pas seulement, si estimable et même exigible que ce soit, celle qui déploie une didactique efficace, celle qui assure une bonne éducation, celle qui inscrit la catéchèse à un moment favorable de l'emploi du temps; c'est celle qui, à travers tous ses enseignements, offre une conception de la culture établie en fonction d'une hiérarchie chrétienne des valeurs et initie à l'exercice des responsabilités qui incombent au baptisé. C'est pourquoi la récente substitution de la locution "d'établissement catholique d'enseignement" à celle, antérieure, "d'établissement d'enseignement catholique" est profondément judicieuse et pertinente. Cette modification terminologique signifie que ce ne sont pas les connaissances enseignées qui sont catholiques mais le sens donné à leur enseignement, l'esprit dans lequel celui-ci est dispensé.

6°) Enfin, par voie de conséquence, la conviction commune des pédagogies chrétiennes, c'est que, en raison du rôle non seulement important mais nécessaire de l'éducation dans une anthropologie chrétienne, un établissement catholique se situe dans une Eglise diocésaine, ce qui implique que des liens organiques existent et que les enfants et les jeunes, ainsi que les enseignants et tous les autres personnels, soient soutenus dans leur participation à la vie de l’Eglise locale. Certes la conception des modalités pastorales d'exercice de ces liens évolue selon de nombreux paramètres mais, pour l'essentiel, elle demeure fondée sur le droit de tout être humain à être instruit de la Révélation et, pour cela, formé culturellement à tout ce qui est indispensable à l'assimilation du message.

Voilà quels sont les invariants que l'on retrouve dans les pédagogies chrétiennes, si variées soient  elles. Ces mêmes invariants sont, de fait, ce qui caractérise aussi l'éducateur chrétien ou l'institution chrétienne. Si l'une ou l'autre ne sont pas satisfaites, on peut craindre que la qualification ne soit plus tout à fait juste.

III - L'avenir

Le problème se pose logiquement de l'avenir de cette pédagogie chrétienne. S'agit-il de données éventuellement vénérables mais désormais obsolètes? En la matière six autres remarques s'imposent:

1°) Il faut d'abord distinguer fondamentalement entre pédagogue chrétien et chrétien pédagogue, comme entre éducateur chrétien et chrétien éducateur: celui-ci pourra faire preuve de réelles qualités éducatives de disponibilités et de dévouement et manifester pour la personne de l'élève un respect dû à ce qu'il voit en lui une créature de Dieu, mais dispenser un enseignement qui ne doit rien à sa foi et ne comporte aucune référence explicite à celle-ci.

Ainsi, et peut-être à regret, celui qui agit dans un milieu non chrétien, par exemple en pays musulman, est éventuellement conduit à s'interdire toute évocation explicite du christianisme. Une conjoncture sociopolitique données ou des contraintes légales peuvent l'y conduire également, de même que, éprouvé à tort ou à raison, le sentiment que le respect de la liberté de l'autre exige cette abstention.

2°) Plus encore, la tradition française de la laïcité a conduit certains à contester la légitimité même de la pédagogie chrétienne, au bénéfice exclusif du chrétien éducateur. Il ne s'agit plus, alors, de ne pas pouvoir mais de ne plus vouloir être pédagogue chrétien. Notre propos n'est pas, ici, de juger du bien-fondé de cette analyse, mais de la situer parmi les problématiques actuelles.

3°) Dans les établissement catholiques d'enseignement eux-mêmes, la pédagogie chrétienne telle que nous l'avons caractérisée est souvent menacée, voire scotomisée. Ainsi en va-t-il lorsque la pression sociale des parents et d'enfants "consommateurs d'école" conduit à être plus attentif à réussir la transmission des moyens de vivre qu'à aider à découvrir dans et par la foi les raisons de vivre. Une thèse en préparation à Lyon met en évidence l'écart entre les attentes des parents et le projet spécifique de l'enseignement catholique en tant que tel. Tel est le risque, aussi, quand l'idéologie élitiste induit une attitude plus attentive au pourcentage de succès au baccalauréat qu'au suivi personnalisé des élèves en difficulté. Tel est le risque, encore, quand la crainte de heurter la sensibilité ou de ne pas paraître "branché" amène à ne guère combattre la tendance de certains adolescents à instituer en valeurs majeures, les prouesses sportives, la conquête du pouvoir ou la recherche de l'argent. Tel est le risque, également, si la crainte obsessionnelle de peser sur les consciences amène à substituer à l'éducation religieuse un enseignement de culture religieuse qui, à la limite, conduirait les élèves à assimiler les mystère du christianisme aux mythes des religions de l'Antiquité. Tel est enfin le risque quand la négligence ou le peu de foi des adultes leur font oublier qu'un établissement catholique doit tenter d'administrer la preuve qu'une communauté de vie gérée par l'amour fraternel n'est pas utopique.

4°) Cela conduit à s'interroger sur les conditions d'authentification de la pédagogie chrétienne en tant que telle. A diverses reprises, des pédagogues chrétiens ont connu des difficultés avec l'autorité ecclésiastique ou avec leur congrégation. Aujourd'hui, le problème demeure, relatif à l'octroi du label  et à la gestion de la tutelle, lorsque, face à l'orientation de tel établissement ou de son directeur, le diocèse ou la congrégation ont quelque peine à en discerner le caractère catholique, si remarquable qu'en soit éventuellement par ailleurs la qualité didactique.

Au total, c'est ici le problème de "l'identité" professionnelle. Celle-ci comporte trois caractéristiques: un statut défini, des fonctions proches, des valeurs communes. Si la première condition est assurée par le label et si la seconde autorise une diversité due aux exigences de la pastorale, la troisième est plus problématique: quelles sont les valeurs communes, directement liées aux invariants de la pédagogie chrétienne et issues de la fonction de l'Eglise? Quelles possibilités les modalités de recrutement et de formation du personnel administratif et enseignant laissent-elles encore pour assurer, garantir ou restaurer cette identité?

5°) Cependant, l'observation de ce qui se passe peut conduire à constater aujourd'hui un renouveau d'attention à la pédagogie chrétienne. En témoigne la souci de plusieurs congrégations de redécouvrir l'intuition fondatrice, pour se replacer dans son dynamisme originaire et de souligner sa spécificité face aux tendances uniformatrices et normalisatrices du système scolaire français. Et la faveur actuelle de la notion de projet d'établissement est à saisir pour insister sur les singularités et favoriser la redécouverte de la pédagogie chrétienne dans la diversité de ses modalités mais aussi dans l'unité des critères qui la spécifient.

6°) Néanmoins, quel demeure aujourd'hui le rôle donné à l'éducation scolaire? A l'ère de l'éducation permanente, à l'éducation de qui et à quoi les instances pastorales accordent-elles priorité? Quelle portée leur stratégie globale reconnaît-elle à l'action éducative au sein d'institutions explicitement catholiques, par rapport à d'autres formes et modalités d'apostolat? Quelles sont donc et quelles seront la place et l'importance reconnues à l'avenir à l'Ecole chrétienne en tant que telle?

La pédagogie chrétienne représente une richesse foisonnante, diverse et une. Mais un grand travail est à conduire car, si la spiritualité des fondateurs est généralement bien connue, leur pensée proprement pédagogique l'est beaucoup moins, et son étude souvent négligée. C'est pourquoi, je vous invite à être curieux des expériences pédagogiques chrétiennes du passé et du présent afin que celles-ci inspirent davantage nos propres actions.

Résumé de l'introduction de Guy AVANZINI, professeur en sciences de l'éducation de l'Université Lyon II: "Qu'est-ce qu'une pédagogie chrétienne? Invariants et variants", in Pédagogie chrétienne, pédagogues chrétiens,

Actes du colloque d'Angers des 28, 29 et 30 septembre 1995,

Editions Don Bosco, Paris 1996, pages 7 à 17.

09:25 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans CONSEILS ÉDUCATIFS. | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

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