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25/02/2005

L'ÉDUCATION FAIT GRANDIR L'HUMAIN.

L'inacceptation des contraintes éducatives courantes recouvre très souvent une opposition à certaines circonstances que le jeune n'a jamais pu admettre. N'a-t-on pas noté que le second né d'une famille, du fait de sa place de second, avait dans beaucoup de cas un tempérament de révolté. La cause profonde de sa révolte, c'est d'avoir manqué la première place et d'être toujours coiffé d'un aîné qui précède et s'intercale entre les parents et lui ; mais les manifestations de son humeur rebelle seront multiples et ne paraîtront pas spécialement dirigées contre l'aîné. La cause oubliée, l'attitude générale restera: le pli sera pris.
Les réactions de l'adolescent à la contrainte seront, on le voit, plus faciles à comprendre, si l'on prend la peine d'étudier toute sa situation affective. Quelles que soient les origines reculées de la révolte, nous devons considérer ce qui l'alimente dans le présent. Bien entendu, tout ce qui rappelle la situation traumatique initiale est de nature à raviver la colère et la rancune. Bien des jeunes insurgés cherchent surtout à éprouver l'amour qu'on leur porte, parce qu'ils ont souffert, un jour, de se croire privés de cet amour dont tout être a besoin pour vivre. Il y a des révoltes normales et nécessaires qui visent à de justes conquêtes. Mais il y a aussi des révoltes à l'état pur, qui ne visent à rien du tout et traduisent seulement un état de malaise qui apparaît, chaque fois que l'individu peut se croire injustement lésé ou souffre de la vanité de ses efforts et se sent impuissant à obtenir la satisfaction de désirs dont il n'a parfois lui-même qu'une notion imprécise.

L'inacceptation des contraintes imposées du dehors ne vient pas forcément de la nature de ces contraintes ; elle peut venir d'un sentiment de gêne intérieure, dont l'individu cherche à se débarrasser par une manoeuvre de diversion dirigée contre l'autorité extérieure, prise comme bouc émissaire. Il est plus facile en effet, et moins inquiétant, de s'attaquer à un ennemi concret et connu, qu'à un ennemi invisible qui est au fond de nous et dont nous n'arrivons même pas à nous dissocier complètement. Ce sont les êtres qui vivent dans la plus grande dépendance affective qui ont sans doute le plus violent besoin de se livrer à des démonstrations insurrectionnelles, sans cesse renouvelées parce que toujours inefficaces. Celui qui se montre le plus insubordonné en paroles est parfois celui qui est le moins capable de se refuser à faire ce qu'on lui demande. Car il y a, parmi les révoltés, toute la catégorie des révoltés verbaux qui tirent en général de leur rébellion le maximum de désagrément, à l'inverse des révoltés passifs qui disent toujours "oui" et n'en font qu'à leur tête.

Cela correspond à cette tendance à retourner cette agressivité contre soi, que l'on rencontre chez beaucoup de personnes chez qui existe une certaine tension agressive qu'elles sont incapables d'utiliser vraiment contre d'autres, par crainte et par culpabilité. Les réactions d'excessive docilité à la contrainte peuvent être factices et dissimuler quelque calcul hypocrite ; mais elles procèdent souvent d'un certain infantilisme moral qui se traduit par une véritable impossibilité de concevoir la désobéissance à l'adulte. Ce dernier a, somme toute, trop bien réussi dans sa propagande ; il n'a pas permis à l'adolescent d'imaginer un idéal plus élevé que la soumission et, du même coup, il l'a retenu au stade du nourrisson qui n'est capable de rien par lui-même, sans l'aide, ou tout au moins l'approbation, de la grande personne.

L'initiative, l'énergie, l'imagination, l'invention, l'originalité, le dynamisme se trouvent dévalorisés. L'esprit critique ne saurait se développer ; et il ne saurait être question de savoir se conduire seul, un jour, dans l'existence. Rien n'est plus faux en l'occurrence que l'affirmation commune "Pour apprendre à commander, il faut savoir obéir". En effet, il serait dangereux de se réjouir d'une docilité si grande qui va tout à fait à l'encontre du but essentiel de l'éducation: apprendre aux jeunes à se passer de ses éducateurs. Il est sans doute difficile à l'adulte de fomenter une révolte contre sa propre autorité ; aussi bien n'est-ce pas ce qu'on lui demande! Le jeune passif a besoin d'être encouragé et incité à donner en chaque circonstance son avis personnel, que l'on se gardera bien de contrer brusquement, même si l'on est pas tout à fait d'accord avec lui. Mais il y a là toute une éducation à entreprendre qui souvent a été gâchée, dans les débuts, par la fâcheuse et trop fréquente tendance à se substituer au jeune en toutes circonstances, sans lui laisser acquérir le sens et l'autonomie de sa personnalité.

Tout adolescent revendique inconsciemment mais légitimement, le droit de rester un être autonome. Rien ne peut le blesser plus que l'idée qu'on lui témoigne un amour intéressé. D'où cette attitude de défense si fréquemment rencontrée chez les adolescents qui se veulent "durs" et s'accrochent désespérément à une formule qui montre bien au fond leur faiblesse: "on ne m'aura pas". Ils s'efforcent par cette affirmation (qui est une sorte d'engagement vis-à-vis d'eux mêmes) de consolider leur résistance. Ils ne se défendent pas seulement contre l'humiliation de céder, mais contre la déception sentimentale. L'essentiel pour eux est d'être assurés qu'on s'intéresse à eux pour autre chose que pour les "avoir". Ils se méfient d'ailleurs en général des déclarations et des démonstrations ; ils préfèrent souvent les chefs qui se montrent fermes et stricts, avec une bienveillance réelle mais tacite, à ceux qui se prétendent d'emblée leurs amis et font appel aux ressources de la plus séduisante persuasion. "On ne m'aura pas" ne signifie pas tellement "on ne me fera pas céder", mais plutôt: je ne me laisserai pas prendre à la duperie des sentiments. Malgré l'apparence, c'est une attitude plus affective que rationnelle.

Le rôle de l'éducateur avec ces "durs" n'est pas tant de les enchaîner que de les libérer d'eux-mêmes. Seuls, des adultes vivant des convictions et valeurs humaines sans les imposer mais par une cohérence de vie, deviendront les modèles identificatoires salvateurs dont les jeunes éprouvent une criante nécessité et qu'ils cherchent désespérément dans certaines stars de la télévision ou joueurs de football dont le quotient intellectuel est rarement élevé. Le drame de notre société est de manquer cruellement de personnes ressources dont les adolescents pourraient puiser quelques pensées pour forger leur personnalité. Notre devoir est de prendre la relève en devenant des combattants de l'amour et de l'espérance et en leur inculquant le sens du militantisme pour un monde meilleur. Ils deviendront alors des rebelles de l'amour dont notre société manque tragiquement.
BRUNO LEROY.
ÉDUCATEUR de RUE.

10:05 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans RÉFLEXIONS ET PENSÉES | Lien permanent | Commentaires (3) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

22/02/2005

RENCONTRE SPIRITUELLE AVEC GUY GILBERT.

A l'époque, je dirigeais l'antenne d'un Centre très connu et qui s'occupe essentiellement des plus paumés que notre société génère, notamment des alcooliques. Les éducateurs qui m'accompagnaient dans cette tâche difficile et profondément humaine à la fois, ne cessaient de regarder leur montre et je pensais naïvement que la lassitude les avait gagnée et qu'ils étaient pressés de revoir leur famille. Je me posais même des questions sérieuses sur les motivations de mes travailleurs sociaux auprès des plus meurtris.

Puis, la porte s'est ouverte et tu es entré en me disant que je te ressemblais au niveau look. Il est vrai, que j'ai toujours porté les cheveux longs, les bagues aux doigts, le cuir et les santiags. Je t'ai répondu que je ne savais pas si je te ressemblais avant de te connaître ou si tu me ressemblais sans me connaître. Enfin, le genre de réponse stupide dont tu as eu le Respect de ne pas même relever. Il était presque midi et nous allions manger entre éducateurs mais, tu as préféré un repas partagé avec les plus pauvres. Ils ne savaient pas qui tu étais et te prenaient pour l'un des leurs, un mec qui avait dû galérer, comme eux, pour en arriver là. Un gars m'a demandé si tu étais nouveau pensionnaire parmi nous et j'ai révélé ton identité en disant que tu étais le prêtre des loubards, celui qu'on voit souvent à la télévision. Ce jour là, tu es venu avec cette pauvreté évangélique qui te caractérise tant car, pour toi le vedettariat n'est qu'un accident de parcours. Ce qui te fait vivre, c'est le visage du Christ au travers des souffrants. Je crois bien que l'Esprit Saint t'habite avec une telle force que tu n'as pas besoin de faire de prosélytisme pour être compris. D'ailleurs, tu es vite devenu le confident et le pote de tous les gars qui buvaient tes paroles plutôt que leur verre de pinard habituel. Lorsque tu étais prêt du départ pour Paris, ils ont insistés pour que je les prenne en photo avec Toi, comme s'ils te voyaient pour la dernière fois...
Peu de temps après ton départ, ils ne touchaient plus un seul verre de vin ou d'alcool, comme pour te rendre hommage et t'être fidèle. N'ayant pas suivi les conversations que tu avais eues avec eux, je trouvais ce changement soudain, miraculeux. Mais, je savais intérieurement qu'il venait de toi et ta présence Forte auprès d'alcooliques dont tu t'amusais à changer leur vin en eau avec une bénédiction papale. D'ailleurs, leurs vies se résumaient tellement à des abus, que leur santé en était déjà gravement altérée. Tous ceux qui sont à tes côtés, sur cette photo, ont rejoints le Père, peu de temps après ton départ. Quand, ils furent hospitalisés alors qu'ils ne buvaient plus grâce à toi, ma surprise fut de constater qu'ils priaient avec ferveur Dieu-Amour, dont tu n'avais même jamais évoqué le nom. En quelques heures, tu as réussi à mettre debout des personnes que l'on suivait depuis des années. De plus, leur mort n'est pas un souvenir triste car, je n'ai jamais vu des gens entrer dans une Paix Absolue en cette phase finale. Tu leur avais inculqués, par ta seule écoute et ton charisme, un sens nouveau à leur Vie ainsi qu'à l'affrontement de la faucheuse.

Cette photo est la mémoire vivante, quoique figée, de ce que Tu es ! Pour le chrétien que je suis, nul doute que tu es habité par l'Esprit et pour les athées, je citerai volontiers une des phrases de tes bouquins : le témoignage de vie a la force d'un tremblement de terre. Non, je n'oublierai jamais, Père Guy Gilbert, le jour de ta venue où les esprits furent changés par la Puissance d'Amour, d'écoute et de compréhension que tu dégages. Comment, ne veux-tu pas faire des émules après un tel témoignage de conversion. Ce jour là, j'ai vu le Christ s'adresser aux plus pauvres d'entre nos Frères et leur dire que nul n'est irrécupérable et qu'il n'existe que des solutions en se délivrant de son passé. Mais, si Dieu n'avait pas été présent en Toi, tes mots n'auraient pas collés aux consciences blessées. Les éducateurs qui travaillaient avec moi, n'avaient qu'un seul désir, celui de te suivre davantage dans ton feu spirituel afin de se brûler aux flammes de ton militantisme social. C'est ce que je fais, actuellement, en tant qu'éducateur de rue et les autres restent au service des plus pauvres et des blessés de la Vie.

Nous rêvions tous, après ton départ de devenir tes disciples spirituels et nous le sommes devenus, toutes proportions gardées. Tu nous as inoculés le sens du combat pour davantage de Justice, d'Amour et d'Espérance en ce monde qui crève d'indifférence. Je ne peux que te remercier et dire au Christ que je l'ai vu, le jour où je t'ai rencontré...Et je ne suis pas le seul !
Bruno LEROY.
ÉDUCATEUR de RUE.

20:40 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans Web | Lien permanent | Commentaires (7) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

19/02/2005

AIMER UN ANGE...

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Mon Amour,
Parce que tu es la Lumière de mes rêves,
La substance joyeuse des jours qui se lèvent,
Parce que tu es la vie dans sa respiration,
Qui donne au destin le délice des illusions,
La vérité dans les sentiments qui jamais,
Ne mentent pour faire plaisir ou avoir la paix,
Parce que tu es l'indicible qui ne peut s'écrire,
La Tendresse éprouvée qui ne veut pas mourir,
Le sourire de Dieu dans l'infini désir d'être deux,
Parce que tu es l'être le plus précieux à mes yeux,
Je retrouve chaque jour la présence de ton Amour,
Et je sais la gratuité réelle suavement sans retour,
Par que mon coeur sait battre tambour,
Quand il voit ton doux visage d'Amour,
Je t'Aime au superlatif du présent divin,
Je t'Aime car tu es le chemin de mon destin...
JE T'AIME MON ANGE !!!
Bruno LEROY.

11:25 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (3) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

DU SPIRITUEL DANS L'ART.

Je partirai du témoignage du poète Rainer Maria Rilke. Dans Les Carnets de Malte,. Rilke décrit la source de son inspiration poétique.: « Les vers ne sont pas faits, comme les gens le croient, avec des sentiments (ceux-là, on ne les a que trop tôt) - ils sont faits d'expériences vécues. Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, beaucoup d'hommes et de choses, il faut connaître les bêtes, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir le mouvement qui fait s'ouvrir les petites fleurs au matin. Il faut pouvoir se remémorer des routes dans des contrées inconnues, des rencontres inatten­dues et des adieux de longtemps prévus [...] Et il n'est pas encore suffisant d'avoir des souvenirs. Il faut pouvoir les oublier, quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre qu'ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore ce qu'il faut. Il faut d'abord qu'ils se confondent avec notre sang, avec notre regard, avec notre geste, il faut qu'ils perdent leurs noms et qu'ils ne puissent plus être discernés de nous-mêmes ; il peut alors se produire qu'au cours d'une heure très rare, le premier mot d'un vers surgisse au milieu d'eux et émane d'entre eux ». En effet, ce texte peut s'appliquer à tous les arts, mais également à l’expérience mystique, qu’elle soit chrétienne, juive, soufie ou taoïste. Dès lors que nos expériences se confondent avec notre sang, que nous les avons digérées, méditées et oubliées, elles deviennent profondes, inoubliables et véri­tablement spirituelles et transcendantes. Un véritable artiste peint ou écrit avec son sang, écrivait Nietsche, c’est-à-dire avec sa vie.

Henri Maldiney écrivait: «Le destin de l’art est celui de l’étonnement où s’éveille les transcendances » ! ... ? Raccourci saisissant et audacieux comme le titre de cet exposé. L’émerveillement certes est un pont entre art et transcendance, entre la terre et le ciel, oui, mais un pont sur quoi ? Sur la distance infinie entre l’art et le spirituel, et sur l’abîme qu’il ouvre sous nos pieds, celui de nos peurs et de nos angoisses face à la mort, face au scandale de la souffrance et du mal.

Depuis l’homme de Cromagnon, comme nous le montrent les peintures rupestres d’Altamira, de Chauvet ou de Lascaut, l’image a permis aux hommes d’exprimer ce sentiment qui est à la fois stupeur et étonnement, effroi et émerveillement, mélange d’angoisses et de joies face au mystère. Les rites et les images funéraires de toutes les religions depuis 30000 ans en sont les traces. En libérant une forme, l’artiste tente d’apprivoiser la mort et de percer le mur de silence qui l’entoure. Dans ce combat entre l’absence et la présence, l’artiste puise à la source du mystère et est épuisé par elle. Et son oeuvre surgit là où il s’anéantit et s’efface, mystérieux dévoilement où se voile celui ou celle qui en est le témoin.

« Qu’est-ce que dessiner ? demande Van Gogh : C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible qui se trouve entre ce qu’on sent et ce que l’on peut ». Mais « la peinture n’est-elle pas faite pour démolir le mur » comme le confiait Fernand Léger au père Couturier. Nicolas de Stael écrit : « L’espace pictural est un mur, mais tous les oiseaux du monde y volent librement, à toutes profondeurs. »

Dans cette semaine sainte du regard, nous avons distingué quatre étapes, le choc de l'étonnement, l'exode du regard, la leçon des ténèbres et l’être-là dans le surgissement, pour reprendre des termes de la tradition chrétienne. Exode qui permet de passer de l’esclavage des choses et des représentations à la liberté de l’esprit, quatre étapes qui se retrouvent dans la tradition chinoise : "Voir, ne plus voir, s'abîmer dans le non voir, revoir intérieurement », comme l’écrit François Cheng dans le Dit de Tianyi reprenant les propos d’un certain Maître Tchang.

I - La stupéfaction du « voir »

Pour Abraham Heschel, l'art et la mystique se définissent comme une même expérience de "stupéfaction radicale." Le mystique et l’artiste sont littéralement bouche bée devant la beauté et l'aspect formidable des choses. «L'émerveillement est le début de la sagesse et précède la foi.» Einstein définit la mystique comme «la capacité de s'abîmer dans le respect et de rester interdit d'admiration… Celui qui ne sait plus s’émerveiller, c’est comme s’il était mort, son esprit s’est éteint ». Bachelard écrivait : "Entre les mystiques, les musiciens et les poètes, il y a une secrète parenté : c’est dans l’amitié que les poètes ont pour les choses, que nous pourrons connaître ces gerbes d’instants qui donnent valeur humaine à des actes éphémères. » De l’émerveillement de l’artiste naît son désir de création. Dans le silence de l'émerveillement, les formes artistiques sont des tentatives pour nous faire passer du dehors au dedans puis du dedans au transcendant, comme le disait déjà saint Bonaventure au XIIIè.

Mais quelle est cette réalité que l’on nomme transcendance? " Est-ce le Dieu transcendant des religions, celui des philosophes ou l’Autre des psychanalystes ou simplement le Dieu intérieur des mystiques? Depuis Socrate, Platon, Spinoza, Nietzsche et Heidegger, l'émerveillement occupe plus l'histoire de la philosophie que celle de la théologie. Simone Weil nous rappelle justement que " le christianisme a oublié que le salut est essentiellement une question de regard … La beauté est la seule fin à rechercher ici bas … Elle est l’éternité sur terre". Jean Paul II rappelait en 1999 ces paroles de Vatican II: « La beauté, comme la vérité, c'est ce qui met la joie au coeur des hommes, c'est ce fruit précieux qui résiste à l'usage du temps, qui unit les générations et les fait communier dans l'admiration. » « Puisse la beauté que vous transmettez aux générations de demain être telle qu’elle suscite en elle l’émerveillement ! Devant le caractère sacré de la vie et de l’être humain, devant les merveilles de l’univers, l’unique attitude adéquate est celle de l’émerveillement… La beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance. »

Que reste-t-il aujourd’hui des civilisations et des religions anciennes sinon leurs oeuvres d’art ? Qu’allons nous chercher sur les rives du Nil, à Constantinople, Florence ou Rome et dans les églises romanes ou les musées du monde ? Et n'est-ce pas aussi le secret des écritures et des paraboles particulièrement, comme celui de bien des grands textes mystiques hindous, taoïstes ou soufis d'être des écoles d'émerveillement ?

De soi l’art ne prie pas mais il peut nous y conduire en nous plongeant muet…, silencieux et émerveillé dans cet autre coté du réel. « L’art ne rend pas le visible, il rend visible» cet invisible autre coté, l’arrière pays de ce que nous prenons pour le réel. André Malraux écrit que « le seul domaine où le divin soit visible est l’art, quelque nom qu’on lui donne. » C’est le regard de l’artiste qui rend visible ou pas la transcendance au cœur de l’immanence du monde. L’art nous invite à passer du donné visible au don invisible des choses. A la fin seul le regard de celui qui contemple une oeuvre peut laisser jaillir la transcendance. Mystère de liberté et de don ! L'attente silencieuse des oeuvres d’art n’est-elle pas le signe d’un appel à traverser le pont entre ce donné et ce don ? L’art ne cherche pas simplement à représenter mais à nous rendre présent. C’est nous qui n’en sommes pas encore là, dans ce présent de la présence. Nous ne vivions pas toujours dans cet univers du don.

II La peur du vide ou le non-voir :

Notre regard est limité par l'horizon de nos montagnes intérieures, celles de nos peurs ou de nos égoïsmes et même de nos croyances. "Ce qu'on sait de quelqu'un, écrit Bobin, nous empêche de le connaître. Ce qu'on dit, en croyant savoir ce qu'on dit, rend difficile de le voir." On croit voir plus que l'on ne voit." Comme l'écrivait un rabbin Abraham Heschel : "Les communautés humaines meurent de leurs certitudes." Quitter ses certitudes, c'est le plus difficile, c'est un saut dans ce vide au delà des croyances et des incroyances. » Art et transcendance se rencontrent quand un homme surmonte ses peurs et se rend disponible dans un lâcher prise de toutes représentations, qu’elles soient religieuses, culturelles ou artistiques. L’art n’est pas spirituel en lui-même, comme le spirituel n’est pas nécessairement artistique. Nos images pieuses ne sont pas toujours des oeuvres d’art. Mais pour atteindre l’autre coté du pont qui mène à la transcendance, il faut traverser parfois bien des précipices ; seul l’émerveillement permet de franchir ce pont. Pourquoi est-ce si rare et si fragile? Pourquoi cette sagesse, qui est une folie pour le plus grand nombre, est cachée aux sages et aux savants, et réservée aux petits et aux enfants, aux artistes et aux mystiques ?

Si comme nous l’enseigne les trois monothéismes : Dieu est créateur et qu’il nous a créé à son image, nous avons à devenir des créateurs de beauté. Le spirituel n’est la propriété d’aucune religion, pas même de celle de l’art. Le spirituel est ce qui relie des personnes à la transcendance, sans confusions ni mélanges. Le spirituel, c’est ce qui nous libère de nous-mêmes et nous universalise en nous reliant les uns avec les autres. Artiste est celui qui crée des liens et des harmonies, entre les couleurs, entre les sons, les mots et les personnes.

Si l’art bien souvent nous déroute, c’est bien qu’il nous invite à changer de route, à passer de l’autre coté, du figuratif à l’abstrait, et derrière ces querelles de représentations, l’invitation secrète n’est-elle pas toujours de passer du visible à l’invisible et donc de l’absence à la présence. Avant de nous faire le don de l'émerveillement, l’art ne conduit-il pas aussi au questionnement et à l’angoisse devant ce qui est radicalement autre? Avant de nous faire le don d’une transcendance que certains nommeront « le Très Beau », Dieu, ou l’un des attributs d’Adonaï, Christ, ou Allah, l’art contemporain ne nous donne-t-il pas plus souvent le vertige ?

III - La leçon des ténèbres : s’abîmer dans le non voir

Sur ce pont qu’est l’émerveillement, l’artiste oscille bien souvent entre l'idolâtrie et l'extase, l’angoisse et la joie et le plus souvent il est plongé dans la nuit, cet « inconnu nocturne » dont parle Rimbaud, triple nuit des sens, du sens et de l’esprit. Avant d’enfanter la lumière, il est plongé dans la ténèbre. Delacroix parle de « lumière, que te voilà menacé ! Tu n’es déjà plus que le milieu où lancer ce pont jeté entre les âmes. » On comprend alors pourquoi Braque nous rappelle que « la beauté est une blessure devenue lumière » et qu’Aragon nous dit que "tous ceux qui parlent des merveilles, leur fable cache bien des sanglots. Les gens prennent pour des roses, la douleur dont ils sont brisés." L'icône d'un visage en larmes est aussi celle d'un Dieu voilé" et " nos larmes ne sont-elles pas aussi calligraphie de l'âme", dévoilement de sa présence ? Un maître soufi écrit :"La Vérité n'est pas voilée, ce sont tes yeux qui portent un voile. » C’est quand nous pleurons vraiment, des larmes de sang et de vie que l’invisible se dévoile sous nos yeux émerveillés. Quand l’éloquence de nos pleurs s’inscrit sur nos visages en incarnant le mystère, l’icône d’un visage en larmes devient celle d’un dieu voilé. L’histoire de l’art ne serait-elle pas d’abord une histoire des larmes et d’une joie qui fait parfois pleurer de joie ? Rappelons nous les « Requiem » de Mozart, les « lamentations de Jérémie », les « Leçons de ténèbres » de Couperin, Victoria, Haydn et de combien d’autres grands musiciens….

Mais, pour bien voir dans l’abîme qui là se dévoile, il faut bien discerner l'idole de l'icône. Tension entre les « dits » des images et leurs inter-dits, l’art est cet ultime lectio divina d’un réel qui reste la source inépuisable de la contemplation et de l’inspiration des artistes. L’art se situe sur la limite, il tente l’impossible de vouloir dire ce qui est indicible. Et tous nos interdits de la représentation ne font que traduire nos peurs face à cette ambiguïté de l’art. Nos querelles iconoclastes sur le figuratif et le non figuratif n’en sont-elles pas la trace ? Accepter ce jeu, c’est entrer dans le mystère de toute création. Jeu de relation et de hasard, jeu des images, des couleurs, des notes ou des mots, mais jeu divin, ou plutôt, comme Dante nous le suggère, divine comédie du visible qui en nous plongeant dans l’enfer de l’Hadès qui signifie a-deis ou non-voir, où Dieu nous initie au mystère de la lumière invisible.

IV Voir autrement : de l’idole à l’icône

« Art et religion ne puisent-ils pas ici à la même source ? Et l’expérience esthétique n’est elle pas la trace d’une obscure rencontre entre l’homme et le divin. "Les chinois comparent un artiste à une abeille aveugle. Elle devine la présence de la fleur; elle tourne désespérément autour. Elle le sait : il y a là quelque chose d’essentiel qui s’offre et se retire. C’est un besoin analogue qui inspire l’artiste et exaspère parfois son impatience." Quelque chose ou quelqu’un nous fait signe et nous appelle ? Renoncer à répondre, n’est ce pas renoncer à être et rester dans l’avoir, celui de nos certitudes et de nos façons de voir ? L’art est subversif. Il nous éveille et nous invite à lâcher prise, à passer du sensible au spirituel, de l’immanence à la transcendance. Le spirituel dans l’art n’est ni dans le comment, ni dans le pourquoi des choses, mais dans leur surgissement. Le seul mystère de l’art c’est qu’il soit là. Mais c’est nous qui en général n’en sommes pas là, enfermés dans nos habitudes de voir et de penser. L’art est appel ; appel à être là, ensemble présent à son mystère. Le spirituel dans l’art est dans cette mystérieuse présence où il nous donne de communier ensemble à la même intuition de la transcendance du monde. L’art ainsi est invitation à traverser le pont, entre le fini et l’infini, entre le présent et la présence, il nous invite à passer de l’autre bord, sur le versant de la transcendance.

Si comme l’écrivait Dostoïevsky, « la beauté sauvera le monde », et que l’art est un des instruments de ce salut, l’émerveillement en ouvre le chemin qui nous conduit vers la transcendance. L’art est bien un lieu de salut car il nous guérit de nos peurs et nous réconcilie avec la création. L’art est libération et transformation, non seulement de l’objet mais du sujet, passage de la matière à l’esprit, du dehors au-dedans et du dedans au transcendant. Il « rend visible l’invisible transcendance des choses et des couleurs. Un tableau ne cherche pas simplement à rappeler un paysage ou un visage, mais il est essentiellement appel à y entrer. On ne regarde pas un tableau, on y pénètre. « Jamais devant, toujours dedans » nous répète Tal Coat. L’art alors n’est plus une simple imitation de la nature, il est révélation et apprivoisement de son mystère, il change notre regard sur elle et éveille la communion entre l’homme et la transcendance. L’art devient alors un lieu de transfiguration, ultime passage de l’idole en icône.

Conclusion

Kandinsky dans son livre Du spirituel dans l’art conclut, que « l’artiste est le Prêtre du Beau », il en est le prophète et le serviteur, et l’artiste est bien le « pontife » qui nous initie au mystère de la transcendance du beau et nous invite à passer, émerveillé, sur ce pont qui sépare et relie la terre et le ciel. « C’est pourquoi l’Église, comme l’écrivait Paul VI puis Jean Paul II dans sa lettre aux artistes, a besoin des saints, mais aussi des artistes, les uns et les autres sont les témoins de l’Esprit vivant (du Christ). Le monde a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. Vous êtes les gardiens de la beauté du monde. »
François Darbois.

http://darbois.francois.free.fr

10:55 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans RÉFLEXIONS ET PENSÉES | Lien permanent | Commentaires (3) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

18/02/2005

LES ASPECTS DU LIBÉRALISME.

Le néo-libéralisme nous offre son cortège de drames Humains avec son non-respect des travailleurs intérimaires, des précaires, chômeurs, rmistes, tous exclus de la société de consommation. Les exclus de la machine à profits aussi, les retraités ayant à peine de quoi survivre en attendant au bout du chemin la misère, la mort, froide, ou caniculaire, mais finalement planifiée. Tout cela présenté dans les journaux, sauf certains, comme une fatalité. Nos vies ne valent plus que ce que les statistiques en font. La des truction de la planète fomentée par quelques poignées de dirigeants de multinationales anonymes.
Les êtres humains que nous sommes ont-ils perdus tout espoir, tout désir de vivre une vie épanouissante, libre ? Une vie basée sur le partage, la solidarité, la fraternité. Une vie débarrassée des entraves du travail inutile, du fric, de la valeur marchande, du pouvoir. Une vie sans dominants ni dominés. Une vie où nous prendrons le temps de vivre, de profiter nous aussi. Nous qui produisons par notre labeur toute la richesse, nous n’avons droit qu’à des miettes. Consommation de survie pour beaucoup d’entre nous, alors qu’il y a de quoi donner à tous couverts, soins et logis. Consommation de choses, de besoins inutiles que l’on se crée, que l’on nous crée, et que l’on paye de toute notre vie par le travail et l’allégeance au système. Créons une société de liberté non basée sur le profit. Nous savons tout faire. Nous savons produire ce qui est nécessaire à l’homme. La nourriture, l’abri, les soins. Nous pouvons nous organiser autrement. Vivre en fabriquant du plaisir, de la joie de la fraternité plutôt que continuer dans la spirale mortifère de l’exploitation, de la guerre, de l’anéantissement quotidien de la planète sur laquelle nous ne sommes qu’un infiniment petit souffle de vie. L’heure est venue de partager autre chose que la galère, la misère pendant qu’ils jouissent de tout sur notre dos. Le néo-libéralisme nous offre la souffrance emballée dans un joli papier cadeau et nous rend irresponsable de notre devenir. Nous sommes capables de construire une société alternative dont l'homme ne serait plus un loup pour autrui. Les politiques sécuritaires sont des mesures fascistes et de contrôle des humains sans notre autorisation. Nous ne pouvons continuer à vivre dans un monde qui laisse crever ses ados, ses enfants mais, parle de profits constamment. Je dis non au capitalisme sauvage qui détruit toute idée de Vie. Et vous, êtes-vous prêts à assumer un projet d'existence dont vous ne seriez plus les pions sur le grand échiquier de la pensée libérale castratrice ?

Bruno LEROY.

Éducateur de Rue.

19:40 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans Web | Lien permanent | Commentaires (1) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |