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02/10/2006

Le pasteur et la violence.

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Ce texte résume les interventions de Richard Gelin, pasteur à Bordeaux, lors d’une session de l’École Pastorale en juin 2004. Il en garde une dimension d’oralité.

Dans Résistance et soumission, Dietrich Bonhoeffer emprisonné écrit : « Le danger de nous laisser aller à mépriser les hommes est grand. Nous savons bien que nous n’en avons pas le droit, et que nous n’aurons jamais que des rapports stériles avec eux tant que nous ne serons pas exempts de mépris. Les quelques pensées qui suivent nous aideront à nous préserver de cette tentation : en méprisant les hommes, nous succombons au défaut principal de nos adversaires. Qui méprise un homme ne fera jamais rien de lui. Rien de ce que nous méprisons dans l’autre n’est entièrement étranger à nous mêmes. Que de fois exigeons- nous d’autrui plus que ce que nous sommes prêts à accomplir nous-mêmes ! … Il nous faut apprendre à considérer les hommes non en fonction de ce qu’ils font ou ne font pas, mais plutôt en fonction de ce qu’ils souffrent. La seule relation féconde, surtout avec l’homme faible, est celle qui procède de l’amour, c’est à dire du désir d’être en communion avec lui. Dieu lui-même n’a pas méprisé les hommes, mais s’est fait homme par amour pour eux ».

L’accompagnement pastoral conduit inévitablement à la confrontation avec toutes sortes de violences. Dans ce contexte, quant au meurtre et à la violence, la parole radicale de Jésus est une sauvegarde pour ne pas se réfugier dans un mépris pessimiste à l’égard de bien des hommes. Bonhoeffer a raison : « rien de ce que nous méprisons dans l’autre ne nous est entièrement étranger ».

Les violences

Le pluriel devrait toujours être de mise quand on évoque la violence. En effet, la violence ne peut se réduire à un type d’actes précis. Il s’agit plutôt d’une attitude illégitime, parfois illégale, qui engendre chez l’autre de la peur, de l’insécurité, de l’incapacité à s’affirmer, le sentiment d’une menace, d’un rapport de force imposé. Les manifestation peuvent être directes et évidentes (coups, cris, menaces) ou cachées, insidieuses. La manière dont nous définissons le phénomène est capitale dans sa compréhension. Souvent nous ne savons rien, parce que nous ne voulons rien savoir de ce qui se vit sous nos yeux, et parce que nous avons tous une “tolérance culturelle” à certaines formes de violence. Nous associons la violence à la représentation d’une brute épaisse, de l’alcoolique, d’un être primaire. Ces représentations sont non seulement fausses - la violence est présente dans toutes les catégories sociales et intellectuelles - mais elles jouent un rôle mythique permettant à chacun de se dire : « je ne suis pas violent, puisque je ne suis pas une brute inculte ». Louis Althusser, homme cultivé et esprit fin, est connu comme l’auteur de violences domestiques régulières ; l’histoire récente de Bertrand Cantat est très révélatrice. Ses amis clament haut et fort que ce n’est pas un monstre, sous entendu : les coups portés n’ont pu être qu’exceptionnels. On est alors dans une logique d’accident regrettable, mais excusable, plus que dans une logique de culpabilité.
Le témoignage biblique établit que nous ne sommes pas là aux marges de l’humain, dans l’exceptionnel ou l’accidentel, mais bien au contraire au cœur de l’humanité.

La violence dans la Bible

La violence fréquente des récits bibliques, incluant celle de la Croix, surprend souvent le lecteur néophyte. On a raison de répondre que la Bible est un miroir reflétant notre image, tant que l’on demeure conscient que cette réponse ne règle pas toutes les questions.
Les chapitres 3 à 6 de la Genèse proposent un aperçu étonnant.
Au chapitre 3, la désobéissance a pour conséquence un déséquilibre du couple dans lequel s’introduit un principe de domination. La relation d’égalité et de complémentarité est faussée par un rapport de force.
L’étape suivante, c’est le meurtre fratricide. P. Ricœur dit de ce récit que : « nous apprenons là que dès cet instant la fraternité n’est plus un donné naturel, mais un projet éthique. Il faut une volonté de fraternité, un désir ». La fraternité est donc toujours à construire. Elle n’est pas la relation naturelle.
Au chapitre 4, Caïn exprime sa peur d’être à son tour victime. Il a peur que sa violence ait enclenché le cycle de la vengeance (principe de la vendetta). Dieu pose pour limite sept morts contre le meurtre de Caïn. On voit s’amorcer un ouragan de violences qui se poursuit avec Lémek, lui même meurtrier selon son aveu et qui appelle à soixante dix-sept vengeances contre son éventuel meurtrier.
Au chapitre 6, la décision du déluge a pour cause le constat que Dieu fait de la prolifération universelle de la violence.
Notons encore que dans le renouvellement de l’Alliance avec Noé, une différence notable est attestée : l’homme, originellement végétarien, est autorisé à tuer des animaux pour se nourrir.

Le pasteur et les violences dans la société

Lorsqu’un symptôme concerne des millions d’individus, il n’est plus possible de parler de folie, ni de considérer qu’il s’agit de situations individuelles. Les anthropologues évoquent les violences domestiques comme une maladie sociale.
Constater de la violence dans les familles de l’Église, constater de la violence engendrée par le fonctionnement de l’institution ou se découvrir soi-même comme capable de violence, ne doit pas nous étonner. La promesse de l’action transformatrice de l’Esprit est pour une bonne part un apaisement de cette nature violente : paix, douceur, maîtrise de soi, respect de l’autre, etc… Cette promesse suppose une communauté de besoin, aucun de nous n’est étranger à la violence. Le commentaire que Jésus fait de la loi : « vous avez entendu qu’il a été dit : tu ne tueras pas ! mais moi je vous dis que celui qui se met en colère… » (Mt 5) renvoie chacun à sa propre violence, pour nous permettre de regarder le problème non comme des juges, mais comme des frères, conscients d’être eux-mêmes dans le besoin de l’apaisement de l’Esprit.

La notion de violence est culturelle. Nous ressentons aujourd’hui comme des violences inacceptables des comportements qui hier provoquaient seulement du mépris (pédophilie) voire étaient considérés comme normaux (harcèlements). Au 17ème siècle des juristes estimaient juste de battre sa femme à condition de ne pas la tuer. C’était bon pour elle. Cette conviction était du même ordre que celle qui consiste aujourd’hui encore à croire qu’il est indispensable de battre un enfant pour l’éduquer ! On constate une radicalisation de la sensibilité contemporaine aux diverses formes de violence qui joue positivement dans notre appréciation du caractère violent du temps présent.

Le versant le plus facile à considérer - toute proportion gardée - est celui de la violence dont le pasteur est le témoin dans la vie privée des membres de sa congrégation. Particulièrement celles qui lui seront rapportées comme vécues à l’extérieur de la famille. C’est, hélas, une dimension fréquente dans le monde du travail. Il me paraît peu exagéré , de parler aujourd’hui à propos du travail salarié d’une forme nouvelle d’esclavage. J’ose parler « d’esclavage » dans la mesure où gagner sa vie est une nécessité vitale qui réduit considérablement la liberté d’un homme. Démissionner, au regard d’un monde dominé par le chômage, est une décision extrêmement difficile dont les conséquences peuvent se révéler dramatiques. Ce n’est plus la loi qui lie l’esclave à son maître, mais la crainte du chômage. Il y a violence quand une entreprise utilise les conditions du marché comme un élément de chantage pour obtenir plus que par le légitime contrat.
Dans ce cadre, le rôle pastoral sera l’accompagnement spirituel du croyant afin qu’il soit « vainqueur du mal par le bien » selon le chemin de sagesse proposée par Romains 12.17 à 21. « Être vainqueur du mal par le bien » ou « ne pas rendre le mal pour le mal » signifie sur le strict plan pastoral aider la personne à ne pas développer de haine envers celui/celle qu’elle estime être son agresseur ; ne pas laisser l’esprit de l’injustice prendre la direction de la vie du croyant. La justice doit être affirmée. Il est légitime de faire appel à une instance de régulation, type « Prud’hommes ». Être croyant n’est pas choisir une attitude victimaire, surtout quand dans le silence s’installe une complicité passive, un encouragement à l’agresseur à multiplier ses victimes. La résistance à répondre au mal par le mal, qu’évoque l’Écriture, est une résistance intérieure dont le but est que nous ne devenions pas semblables à celui que l’on combat. Il ne s’agit pas de nier les sentiments violents, les rancœurs, les sentiments d’injustice qui habitent celui qui est l’objet d’agressions diverses. Il faut au contraire les reconnaître comme habitant « naturellement » tout être humain, mais comme étant aussi une part de notre humanité appelée à refléter la gloire du Christ. Dans la victoire du bien, il n’y a pas un refoulement frustrant et insatisfaisant, mais l’apaisement naissant de la conviction que le mal, tapi à notre porte, perd un combat. L’appel à des autorités de régulation est l’un des moyens mis à notre disposition pour éviter de développer des sentiments de haine et d’injustice.
Il y a d’autres part les violences dont le pasteur sera témoin à l’intérieur d’une famille de l’Église. Il peut en être “témoin invité” : une personne s’est confiée à lui, souvent la victime, mais parfois aussi l’auteur de violence. Il peut en être aussi le “témoin passif” : rien n’est évident, rien n’est dit mais le pasteur à partir de multiples petits éléments acquiert la conviction qu’une violence illégitime est agissante dans une famille. Nous sommes tentés de “ne rien voir” quand personne ne dit rien. D’attendre, de croire que le temps règle ce genre de problèmes. Assez fréquemment, les personnes se livrant à des actes violents, par exemple des châtiments corporels excessifs envers leurs enfants, ou des châtiments corporels à un âge où l’enfant ne devrait plus être sous ce type de traitement, ces personnes souffrent elles-mêmes d’une honte envers leur attitude. Je pense à une jeune mère attentive, parent unique, disponible, mais qui parfois face à une désobéissance normale craque et gifle ses enfants. Elle ne veut pas entrer dans ce type de rapport. Elle est consciente de la nocivité de cette attitude. L’action pastorale concrète a consisté, à son initiative, à l’écouter, à prier régulièrement avec elle et pour elle dans sa responsabilité de mère, à l’encourager à demander pardon aux enfants quand elle sait avoir dépassé la mesure, et à lui offrir des espaces de liberté. Quand on est une mère seule ayant à assumer toutes les responsabilités parentales, il est normal d’être parfois débordé. C’est une dimension de la fraternité que d’offrir de temps à autres la possibilité à cette personne de s’occuper un peu d’elle-même, en prenant l’initiative de garder les enfants.

Tout pasteur est confronté au cas de violences du type “femmes battues”. Il est hautement recommandé de s’informer, en amont, auprès des associations spécialisées. Ces associations ont beaucoup travaillé à comprendre l’ensemble de la dynamique de la violence. En connaître les formes et les cycles permet d’en prendre conscience plus tôt et de ne pas se laisser abuser par une réconciliation superficielle.

Fonctionnement classique des cycles de la violence conjugale

Un homme violent envers une femme a toujours le même but : il tente de la contrôler, de la dominer en usurpant jour après jour sa dignité.
Les formes de la violence peuvent être de nature verbale, physique, sexuelle, psychologique, économique. Ces diverses formes se conjuguent quasi-systématiquement.

La violence physique se définit par l’ensemble des atteintes au corps de l’autre [taper, frapper, donner des coups de pieds, de poing ; … mordre ; … utiliser un objet ; … gifler, fesser ; … séquestrer, pincer, tirer les cheveux… la liste est infinie]

La violence psychologique

Un homme, auteur de multiples violences, explique : « la violence la plus forte, c’était peut être la violence morale, celle qui cherche vraiment à atteindre l’autre dans ce qu’il est, dans son être, vraiment au plus profond de lui ».
Les violences psychologiques sont toutes actions visant à porter atteinte à l’intégrité psychique de l’autre : son estime de soi, sa confiance en soi, son identité de sujet.
La violence psychologique peut prendre d’autres formes : les insultes, les remarques vexatrices, la critique permanente, se présenter comme celui qui détient la “vérité”, inférioriser l’autre, lui interdire d’exprimer des sentiments et des émotions, les chantages et les menaces, imposer des actions dégradantes, contrôler les déplacements, insulter et dévaloriser le genre féminin .

Les violences verbales

Plus que le contenu des paroles appartenant souvent à la violence psychologique, la violence verbale est la violence du débit de la voix, des cris c’est-à-dire des modes même de communication. Cris qui stressent, ton brusque permanent, interrompre sans cesse les conversations de l’autre, lui imposer un changement de sujet. Ponctuer ses phrases par des insultes, des grossièretés, des qualificatifs infamants.

Les violences sexuelles

- avoir des rapports par contrainte ou menaces ; …traiter l’autre comme un objet sexuel.
- le forcer à se prostituer
- le viol (forcer son conjoint a une relation sexuelle est un viol)
- les coups sur les organes génitaux
- imposer à l’autre des pratiques sexuelles contre sa libre volonté.

Il a été repéré un cycle classique de la violence en 4 périodes dont la connaissance permet de ne pas considérer un problème récurrent comme un problème réglé.
1) la recherche du prétexte. Une mise sous pression amenant la femme à se sentir coupable, à admettre la violence. Le prétexte est le déclencheur, non la cause de la violence.
2) phase d’explosion, d’agression. Il faut faire peur, faire plier et brutaliser
3) Après le paroxysme, il y a une tentative de minimiser les faits et leur gravité. L’homme prétend avoir perdu le contrôle de lui même ; …il accuse la femme de folie, d’exagération, de provocation.
4) Il demande pardon, fait des promesses. En général la femme reprend espoir. Mais quand la peur de perdre la femme diminue, la violence recommence.
Le piège est souvent de se contenter du fait que la personne victime ne veut pas entendre parler d’une intervention extérieure. Il y a même parfois dans nos milieux la tentation de considérer comme une dimension de l’amour, de subir, plutôt que de faire intervenir la justice ou les services sociaux. Mais il faut dire clairement que ce n’est pas de l’amour. L’amour refuse toute forme de violence. Le pasteur doit être attentif à ce que sa pastorale n’encourage pas la co-dépendance dans laquelle on se donne le rôle de celle/celui qui souffre, mais qui finira par sauver le conjoint que l’on veut considérer comme étant lui même la vraie victime.
Si l’amour implique le don de soi, donner sa vie pour l’autre, ne signifie pas se faire frapper par l’autre. Le pasteur lui-même est témoin d’un salut. Il n’est pas le sauveur et rarement le sauveteur. J’insiste sur le fait que ce travail-là est d’autant plus difficile que notre prédication fonctionne avec des références excessives à l’amour, excessives au regard de notre explicitation de ce qu’est l’amour. Nous mettons des hommes et des femmes en danger d’errances dangereuses quand nos idées ne sont pas claires sur les fondements de ce que l’amour est, et de ce qu’il n’est pas, de ce qu’un couple est, et de ce qu’il n’est pas. Il faut redire ce qu’est l’alliance du mariage et ce n’est qu’elle n’est pas, quelles en sont les limites. Le divorce n’est pas la solution pour régler les problèmes de la vie conjugale. Mais il se justifie quand l’intégrité morale, physique ou psychique d’une personne est menacée par le conjoint. On se marie “pour le meilleur et pour le pire”… à affronter côte à côte, et non pas pour le pire, quand celui-ci surgit de l’intérieur même du couple.

Les violences à l’intérieur de la communauté

À l’intérieur de l’Église, le pasteur va être confronté à la violence au moins dans trois dimensions :
a) la violence suscitée par une personne appartenant au groupe
b) la violence se manifestant dans une situation de crise
c) la communauté elle même comme génératrice de violences.

a) Il y a le cas courant de la personne qui n’est pas de mauvaise volonté, mais qui régulièrement blesse les autres par des paroles intempestives, maladroites et catégoriques, au point qu’il faut bien constater un comportement de nature violente. Face aux réactions suscitées, elle se considérera elle-même comme la victime. La plupart du temps, la personne n’a absolument pas conscience de cette dimension et refusera totalement l’idée que l’on puisse qualifier de violents ses paroles ou ses actes. On rencontrera aussi une sous-catégorie, pas si rare, de personnes promptes à vous dire combien elles sont sensibles et qui ne font preuve d’aucune sensibilité à l’égard des autres. Le travail pastoral portera d’abord sur la prise de conscience de cette dimension de violence, se traduisant par du découragement, des blessure, de l’incompréhension, de la peur du regard ou de la présence. La deuxième phase consistera à aider la personne à comprendre ce qui, en elle même, produit cette attitude. Souvent la personne dira : « je dis ce que je pense ! ». Il faut l’accompagner vers le « je pense à ce que je dis ». Ce peut être conduire avec elle une réflexion sur l’actualité de la parole de Paul : « Bénissez, ne maudissez pas ». Oui, on peut bénir en exprimant du désaccord. Tout est dans la manière de la faire. Attention, il ne s’agit pas de réagir à toute parole suscitant une réaction, mais d’être attentif à celui ou à celle par qui ces réactions se multiplient.

b) Nous sommes aussi parfois confrontés à des personnalités très perturbées. Nos moyens pour apprécier l’opportunité d’une prise en charge psychiatrique sont souvent limités. Pour une hospitalisation forcée, il faut pouvoir faire établir que la personne est dangereuse pour elle même ou pour ses proches, par un médecin et par l’autorité civile. C’est quasiment impossible !
Le pasteur est alors condamné à improviser, à faire preuve de bon sens et souvent à gérer ses propres craintes.
Le cas de X…, homme à l’enfance perturbée, violent, manipulateur, sadique, paranoïaque… et chrétien !
Mon premier contact a été pour empêcher qu’il frappe un autre membre de l’Église. À la suite de cela il s’est livré à un chantage au suicide. X en veut uniquement à ceux qui l’ont aidé, pas aux autres et n’agresse que ceux qu’il ressent comme plus faibles que lui, physiquement et psychologiquement. Il a développé des relations “sado-maso” avec de jeunes adultes en difficultés au point qu’il a fallu intervenir de plusieurs manières, jusqu’à organiser la fuite d’un de ces adultes.
X a proféré plusieurs fois des menaces à l’encontre de la communauté, des bâtiments et des personnes. Toutefois, quoique parfois très menaçant à l’égard du pasteur dans son attitude ou l’incluant dans une menace générale, X n’a jamais exprimé de menaces explicites directes.

Mes trucs… dans la crise !

Je parle volontairement de « trucs ». Au sens où il ne s’agit pas pour moi d’entrer dans une thérapie, mais de garder un contact sans devenir le « prisonnier » de cet individu. Il faut bien sûr prendre conscience du caractère de malade mental de la personne. Elle vit dans un autre monde inaccessible à notre argumentation, quoique responsable. Parfois dans un premier temps on a l’impression qu’elle entre vraiment dans un dialogue, mais assez vite il devient évident qu’il n’en est rien. Elle revient à ses obsessions et à ses comportements. Face au chantage au suicide, pour ma part je refuse à entrer dans ce chantage. Je lui explique que s’il veut se suicider, je le regrette , mais que je n’ai pas l’intention de m’y opposer. De même devant la menace d’incendier les bâtiments, je lui ai répondu qu’elle ferait ce qu’elle voudrait mais que moi je n’allais pas passer ma nuit à surveiller. Mon attitude l’a surpris de la part d’un pasteur, ayant pu “obtenir” auparavant ce qu’il désirait auprès d’autres pasteurs à partir de ce chantage culpabilisant. Voici les quelques principes que dans un cas aussi complexe j’ai cru discerner comme important :
- Ne pas manifester de peur, car il joue sur sa force physique et mentale (maladive) pour s’imposer aux autres.
- Toujours garder de la réserve dans la relation ; …refuser l’intimité ; …refuser d’être assimilé à un intime ; …refuser les cadeaux.
- Refuser le chantage pastoral, chantage à la foi, à l’amour ; …refuser aussi le rôle du sauveur. Demeurer le maître de la durée et de la fréquence de l’entretien. Paradoxalement, je trouve plus facile de rester maître du temps, si je me rends chez la personne, plutôt que si je la reçois à mon bureau.
- Quand elle surgit en crise, j’essaye autant que possible de la recevoir à l’extérieur, au grand air. Le sentiment de violence et de danger s’accroît avec la contiguïté d’un lieu.
- Quand des personnes subissent des coups ou des menaces, les encourager vivement à porter plainte. L’expérience montre qu’il y a souvent une dimension de lâcheté chez les manipulateurs sadiques qui abandonnent quand leur victime se rebelle. La dimension sadique se nourrit de la passivité et de la peur de la victime qui accroissent le sentiment de puissance et de domination.

Les violences dans les situations de crise

On va retrouver essentiellement les dimensions de violence verbale et de violence psychologique.
La violence verbale se manifestera dans la manière dont une personne agresse les autres par exemple, par le ton de sa voix ou encore en se plaçant dans le rôle du martyr, de la victime, et en utilisant ce positionnement pour interdire toute discussion dans un domaine particulier.
De la violence se manifeste parfois à l’intérieur d’un conseil ou à l’occasion d’une assemblée générale. Il faut bien avoir conscience que les circonstances manifestent la violence, mais n’en sont pas la cause. La cause est toujours en l’homme. L’expression de la violence peut être encouragée par des maladresses dans le fonctionnement de la parole et de la prise de décision, quand une personne a le sentiment d’être victime d’une injustice. Il y a certainement un gros travail à accomplir dans nos Églises sur nos méthodes de prise de décision. J’ai été surpris, dans une situation particulière, du niveau de violence qui peut être atteint dans une Église. J’ai été témoin, c’est ainsi que je l’ai ressenti, d’une volonté de blesser un pasteur, de “se faire sa peau”. Quand une proportion importante de l’Église est impliquée ou quand plusieurs des leaders se déchirent, il est indispensable de faire appel à une assistance extérieure.

Quand l’Église sécrète de la violence

Il est une autre dimension du rapport de l’Église à la violence qui est largement sous-estimée, et qui, à ma connaissance, n’a pas fait l’objet dans notre milieu d’une étude approfondie. C’est celle de la violence générée par les caractéristiques même du fonctionnement et du discours d’une communauté. Nous sommes là au cœur de la question de la secte.
Une Église peut-elle être une secte ? Oui !
Quand pouvons-nous dire qu’une Église est une secte ? Quand de la violence résulte d’un fonctionnement revendiqué. C’est une réalité difficile à établir et à prouver et pourtant indéniable. Comme dans le cas des violences domestiques, les plaintes exprimées ne sont pas un critère indispensables.
Je suis le pasteur de plusieurs personnes et couples qui témoignent, à partir d’expériences différentes, avoir été les victimes « consentantes pour un temps », de violences que sur le moment elles-mêmes n’identifiaient pas ainsi.
J’ai donc dû m’interroger sur la réalité de cette violence. Est-ce un langage approprié, pour rendre compte de ce que ces personnes ont vécu ? Oui, je le crois. Quand des gens arrivent complètement démolis par des expériences spirituelles et ont tout à reconstruire après dix, quinze ou vingt ans de vie chrétienne, le mot de violence n’est absolument pas excessif. Quelqu’un avec qui je parlais pour préparer cette session a utilisé cette phrase : « j’ai eu affaire à des voleurs d’âme ! ».

Il nous faudra travailler à une définition de la violence spirituelle.
On peut parler de violence spirituelle :
- quand la communauté se construit comme un lieu de dépendance, quand elle existe contre les autres ou au-dessus des autres. C’est la communauté vase clos, qui provoque de l’enfermement. Il peut y avoir une illusion de diversité par des orateurs dits “extérieurs”, mais qui tiennent exactement le même discours.
- quand avoir des idées différentes de celles des leaders suscite de la crainte.
- quand, en cas de questionnement ou de désaccord, le responsable est en vérité incapable d’envisager d’avoir eu tort, les deux arguments récurrents étant :
- le manque de foi
- les attaques de Satan

Pour rebondir sur le rapport du Secrétaire général de la FEEBF lors du congrès 2004, une caractéristique de cette violence est qu’elle surgit souvent dans une Église où les responsables ont une formation embryonnaire se traduisant par une pensée limitée, très réductrice, très affirmative et fondée sur une vision plutôt que sur l’étude de la Parole.

Les personnes que j’ai consultées accusent des responsables chrétiens d’avoir joué avec leur adolescence, de n’avoir pas respecté leur fragilité d’ados et de les avoir embarquées sans égard pour l’esprit critique, en jouant sur l’instinct grégaire et marginal des ados et de les avoir enfermé dans une vision dualiste : le groupe - le monde.
La violence est surtout ressentie au moment de la rupture. L’appartenance est dans une certaine mesure sécurisante, même si des failles profondes commencent à être perçues. Rompre implique de renoncer à une apparence de sécurité même si on la sait illusoire. La personne en ressort avec une grande difficulté à faire confiance. Certains abandonnent, sinon la foi, en tous les cas toutes ses manifestations collectives.

Face à l’expérience complexe de cette violence et de ses conséquences, l’accompagnement pastoral consiste à aider la personne à se ressaisir de la légitimité de son “je” devant Dieu. Beaucoup de ces Églises fonctionnent sur une négation du “je”. On évoque bien une relation “personnelle” à Dieu, mais totalement encadrée par un discours établissant les principes de sa légitimité. Un “je” soumis à la reconnaissance des leaders, n’est plus un « je » devant Dieu. Le « nous » du Notre Père est une communion de « je ». Nous devons aider ces personnes à apprendre à affirmer la légitimité fondamentale de leur “je” devant Dieu, établie par l’amour même de Dieu, et à apprendre que ce “je” prime sur toute autre autorité ou institution ; …qu’il dépend uniquement de l’amour personnel de Dieu pour elles, qu’il en est à la fois la conséquence et la condition. C’est là un travail de longue haleine.
Comme le Sabbat, l’Église est faite pour l’homme, pour qu’il apprenne à vivre devant Dieu, de la vie de Dieu, dans une communion paisible.

Conclusion

Que le chapitre 4 du livre de la Genèse témoigne d’une généralisation de la violence au cœur de l’expérience humaine atteste bien qu’elle est la manifestation même de la soumission de ce monde au mal. Nous nous tournons vers l’Esprit apaisant du Christ, non pour faire taire la violence, mais pour nous guérir de cette maladie et nous rendre capable de ne jamais y répondre ni par la violence, ni par le mépris des violents.


Richard Gelin   

11:00 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans Problèmes de société. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, social |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

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