08/02/2007
Loin des bruits de ce monde.
Jésus traverse la Décapole ; il se trouve donc en territoire païen : son action ne se limite pas à la terre d’Israël : elle déborde les frontières politiques, sociales et même religieuses. Il est venu pour libérer l’homme de l’emprise du mal qui l’aliène des autres et de Dieu, et le restaurer dans sa capacité relationnelle. Si nous devions choisir entre perdre la vue et perdre l’ouïe, spontanément la majorité d’entre nous préfèrerait être sourd plutôt qu’aveugle. Pourtant les études psychologiques montrent que la souffrance du sourd dépasse celle de l’aveugle, en raison de son plus grand isolement. Nous sommes des êtres de la parole ; elle est le fondement de notre communication. Ne plus entendre, c’est être rejeté hors de la sphère des échanges interpersonnels et donc hors de la sphère humaine ; c’est aussi perdre la possibilité de s’exprimer car le sourd ne pouvant vérifier ce qu’il dit, finit bien vite par s’enfermer dans le mutisme. Tous ceux qui ont fréquenté des sourds ou des malentendants peuvent en témoigner : ces personnes souffrent terriblement de l’isolement et finissent par se replier sur elles-mêmes, dans un sentiment d’abandon voire de rejet, qui engendre souvent beaucoup de tristesse et d’amertume. Hélas, telle est bien la triste situation de notre humanité : spirituellement sourds et aveugles, nous nous replions sur notre intériorité vide, emmurés dans notre solitude, incapables de communiquer vraiment, ni avec Dieu, ni avec les autres.
Alors qu’on demande à Jésus uniquement de « poser la main sur le malade », Notre-Seigneur va faire bien davantage. Mais auparavant, il « l’emmène à l’écart, loin de la foule » ; non seulement il l’éloigne des curieux avides de merveilleux, mais aussi de son entourage immédiat ; comme si pour le sortir de son isolement, il fallait d’abord que cet homme sorte du cercle de ses proches. Jésus met ses doigts dans les oreilles du malheureux, et touche sa langue d’un peu de sa salive, exprimant ainsi concrètement sa solidarité profonde avec sa condition misérable ; il fera de même pour l’aveugle, appliquant de la salive sur ses yeux (Mc 8, 23). Ne faisant plus qu’un avec ce frère en humanité blessé dans sa chair et dans son âme, Jésus lève les yeux vers Dieu son Père, signifiant ainsi clairement l’origine de la puissance qu’il met en œuvre : le soupir qui prolonge son regard suggère l’action du souffle du Très-Haut qui restaure notre pauvre humanité dans sa capacité relationnelle. Ces gestes trouvent tout leur sens dans la parole qui les accompagne : « Effata », c'est-à-dire « Ouvre-toi ! ». Le fait que l’évangéliste donne la citation en araméen - la langue usitée ordinairement par Jésus – trahit la source de son information, à savoir Saint Pierre – dont Marc est le secrétaire. Le premier des Apôtres lui a transmis cet épisode dans toute sa fraîcheur originelle, nous permettant de remonter à la parole même que Jésus prononça. On comprend que l’Eglise ait toujours été très sensible à cet épisode qui exprime si bien la compassion active de Notre-Seigneur à notre égard ; c’est sans doute pourquoi elle a introduit le rite de l’« Ephata » dans la liturgie du baptême : dans l’ancien rite, le prêtre prononçait cette parole tout en introduisant ses doigts dans les oreilles de l’enfant, avant de toucher sa langue d’un peu de salive.
Remarquons que Jésus ne dit pas « Que s’ouvre tes oreilles », mais « Sois ouvert, tout entier » : car c’est l’homme dans son intégralité qui est malade du péché et que Jésus vient guérir. L’effet est instantané : « ses oreilles s’ouvrirent ; aussitôt sa langue se délia et il parlait correctement ». L’homme est rétabli dans sa beauté originelle ; la remarque émerveillée de l’entourage – « Tout ce qu’il fait est admirable : il fait entendre les sourds et parler les muets » - fait écho au livre de la Genèse : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : c’était très bon » (Gen 1, 31). Jésus est venu pour une nouvelle création, qui accomplit ce qui s’annonçait dans la première, et que la péché a mis en échec, à savoir une humanité réconciliée, vivant de la vie même de son Créateur, reconnu comme Dieu et Père.
« Aujourd’hui encore, Seigneur, tu veux que tes disciples soient des hommes et des femmes ouverts à Dieu et aux autres ; dont les oreilles soient capables d’entendre ta Parole, pour l’accueillir « pour ce qu’elle est réellement : non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en nous, les croyants » (1 Th 2, 13). Tu veux aussi que notre langue soit déliée, pour que nous ne restions pas muets, mais proclamions cette Parole dans la puissance de l’Esprit. Mais pour que tu puisses accomplir en nous le miracle que nous venons d’entendre, il nous faut consentir à te suivre à l’écart, loin de la foule, loin des bruits de ce monde, pour te rencontrer dans l’intimité de la prière, nous laisser toucher par toi, et te laisser souffler sur nous ton Souffle divin. Nul ne peut être disciple sans accueillir auparavant cette transformation intérieure radicale : donne-nous d’y consentir sans plus attendre. »
Père Joseph-Marie
21:10 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans BRIBES THÉOLOGIQUES. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, action-sociale-chretienne, spiritualite | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
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