16/02/2008
Nos limites, nos tiédeurs et nos peurs.
Faisons un rapide tour d’horizon. L’évangile d’aujourd’hui est excessif. Voici Jésus, notre Jésus de tous les jours, ruisselant de lumière. Voici Pierre, impulsif et spontané, prétendant monter une tente pour des prophètes morts plusieurs siècles auparavant. Voici ces prophètes des temps jadis devisant paisiblement avec Jésus qui se conduit comme si ces personnages faisaient partie de son quotidien. Voici enfin une nuée et une voix venant du ciel qui parle comme au jour du baptême de Jésus. Nous sommes donc à un commencement.
La liturgie, particulièrement construite en ce temps de carême, propose aussi à notre méditation un autre commencement : l’appel d’Abraham. Mais, mise à part la voix céleste, ce texte ne semble pas présenter beaucoup de traits communs avec l’évangile.
Mais comme souvent, c’est saint Paul qui est le meilleur lecteur de l’Ecriture. Il nous dit ce matin : « Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible à nos yeux ». C’est-à-dire que la transfiguration annonce Jésus ressuscité, mais aussi la réalisation de la promesse faite à Abraham, et en lui, à tout homme.
Engageons-nous donc dans le chemin qu’ouvre saint Paul devant nous. Relisons la promesse faite à l’aurore des temps et consignée dans les pages séculaires de l’Ancien Testament. A cette époque la compréhension de Dieu et du monde invisible se disait par des figures, qui annonçaient les grandeurs à venir.
Mais, nous venons de l’entendre, le Nouveau Testament n’est pas exempt de figures. Il faut les accueillir comme elles se donnent, sans tenter de les réduire à de simples allégories visibles de choses invisibles. Moïse et Elie, la Loi et les Prophètes, tiennent vraiment compagnie à Jésus sur la montagne. Leur familiarité montre que ce n’est pas le monde spirituel qui est le référant, mais le corps du Christ. Le récit est construit autour de sa transformation, de sa transfiguration.
Cette matérialité est importante car elle dit l’accomplissement. Dans l’Ancien Testament en effet, une figure renvoie toujours à l’invisible et appelle nécessairement une deuxième figure, pour la confirmer. Ainsi Moïse et Elie sont des promesses de la résurrection à venir. Cette résurrection est annoncée par leur corps invisible. Moïse en effet a été enterré dans un lieu inconnu et inaccessible ; quant à Elie, il est monté au Ciel sur un char de feu, il n’a pas non plus de sépulture.
Dans l’évangile, nous sommes à la fin de ce processus. Jésus nous apporte la deuxième annonce qui est la confirmation de la première. La transfiguration dévoile en effet le corps invisible du ressuscité. Jésus est le nouveau Josué, le successeur de Moïse qu’annonce le Deutéronome. En rendant visible sa gloire pour quelques moments au sommet de la montagne, Jésus nous ouvre au monde invisible, mais réel, où nous vivons tous. Montrer que Moïse et Elie y habitent, confirme la promesse qui reposait sur eux et se réalise en Jésus. En confirmant l’annonce faite dans le Premier Testament, Jésus annonce la réalisation de la Nouvelle Alliance.
Le corps du Christ apparaît ainsi à nos yeux comme la converge et l’accomplissement des Ecritures. Il naît de la présence en excès des deux Testaments. D’une part la déficience de l’Ancien Testament, balbutiant la vérité de Dieu qui lui est inaccessible car trop lointaine, d’autre part la saturation du Nouveau Testament, manifestant en Jésus de la vérité de Dieu. Ce paradoxe se noue dans le corps du Christ. Il nous fait entrer dans le monde invisible : nous le voyons ruisselant de la gloire promise à nos pères.
Mais ce monde est aussi le nôtre. Jésus touche ses disciples. Il leur adresse la parole. La rupture entre les deux univers repose sur une continuité, qui invite à un nouveau type de relation. Jésus ouvre à ses disciples un monde où il est possible d’être particulièrement proches de l’histoire sainte dans son ensemble, d’être en dialogue constant et confiant avec le Père.
C’est là le trésor qu’il nous est donné de découvrir. Nous n’avons pu le lire qu’à la lumière de la résurrection, mais Jésus lui-même savait qu’il en serait ainsi : il a prescrit le silence à ses disciples, jusqu’à la résurrection, c'est-à-dire jusqu’à ce qu’ils puissent comprendre. Jusqu’à ce qu’ils puissent lire la Croix comme excès d’inaccompli qui ouvre à la nouvelle, et ultime, création.
Ainsi Dieu nous enjoint-il d’écouter Jésus, car il annonce son passage par la Croix. Le visage de gloire ne pourra en effet être appréhendé par les disciples qu’une fois passés eux aussi par la mort et la résurrection en Jésus. Voilà pourquoi, aussi longtemps que nous sommes en route, ce visage de gloire nous reste caché. Comme nous est encore dissimulée notre propre gloire.
En ce jour où la liturgie convoque Abraham, saint Pierre et saint Paul, Moïse et Elie, en ce jour où Jésus nous donne de saisir dans son unité l’ensemble de l’histoire sainte, ne sommes-nous pas invités à nous remémorer les figures de notre passé, les moments de notre histoire sainte qui se conjuguent désormais et pour toujours au présent, comme Jésus devisant avec Moïse et Elie. Lus à la lumière de cet évangile, avec leur grandeur, mais sans éluder leurs limites ni leurs déficiences, ils nous conduisent à l’accomplissement de la promesse que Dieu nous fait personnellement en Jésus.
Certes nous leur trouverons bien des limites et des tiédeurs, elles n’ont pas l’éclat de l’expérience faite par Pierre Jacques et Jean. Mais sans ces limites, le bonheur auquel Dieu nous appelle ne serait qu’une fuite, comme celle de Pierre qui veut rester sur la montagne et toujours jouir de la présence sensible de Dieu. Si nous acceptons cette promesse, avec la confiance d’Abraham qui accepta de se mettre en route, pour son bien, ces déficiences deviendront le lieu de la révélation de Dieu. En nous le Christ prendra corps, et son visage sera celui de la compassion.
Certes, nous avons à vaincre les peurs qui nous rendent sourds à la voix du Père, dont Jésus vient de nous montrer qu’elle ne cesse de résonner. Pour monter courageusement vers notre Croix alors que la nuée se dissipe déjà et que les saints qui nous accompagnent redeviennent invisibles, il ne nous reste que Jésus, seul. Jésus qui nous parle et qui nous touche. Jésus qui nous encourage : « "Relevez-vous", ressuscitez, accueillez la gloire que le Père vous réserve, accueillez la Vie qu’il vous donne en partage ». Nous avons ainsi nos Thabor, nos rencontres intenses et toujours vivantes avec Dieu, moments de grâce sur lesquels nous appuyer pour poursuivre notre marche vers Pâque. Le carême est une route austère, mais elle une route joyeuse car Jésus marche à nos côtés. Sachons en rendre grâce, pour nous relever, et marcher, libres et confiants, dans les pas de Notre Seigneur.
Frère Dominique.
16:45 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans BRIBES THÉOLOGIQUES. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
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