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28/10/2009

AFFRONTER LES SOUFFRANCES ET LA MORT.

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Chacun poursuit toujours, d’une manière ou d’une autre, un rêve d’immortalité et de non-souffrance.

L’éloignement des cimetières, la mise à l’écart des malades, la marginalisation des personnes handicapées, n’est-ce pas aussi pour les sociétés une manière de voiler la souffrance et la perspective de la mort ?

Il y a en chacun de nous un besoin sexuel. Certes, il n’est pas du même ordre que le besoin de manger ou de boire. En effet, on peut se passer, être privé de l’exercice de la sexualité, ou la différer, sans cependant mourir ; ce qui n’est pas le cas de la nourriture ou de la boisson. Ce besoin sexuel est présent dès le plus jeune âge. L’enfant éprouve de manière diffuse son corps comme une source de plaisir. Il aime être bercé, pris dans les bras, choyé. Il aime être embrassé et embrasser. Ce contact corporel, il est cherché non pas comme pure sensation épidermique, mais comme expression d’une relation intersubjective.

Chacun poursuit toujours, d’une manière ou d’une autre, un rêve d’immortalité et de non-souffrance. La poursuite de ce rêve se manifeste dans les mécanismes de défense qui visent à occulter la réalité de la souffrance et à la rejeter hors du champ de la conscience ; on peut la voir, on détourne les yeux, on fait « comme si » elle n’existait pas. Dénier la souffrance de cette manière, c’est se complaire dans l’image idéale de soi et du monde où la finitude et la mort ne sont pas reconnues. Ainsi le sujet peut-il entretenir, inconsciemment sans doute, une sorte de délire d’immortalité. Il se barricade dans un monde imaginaire en estimant que la souffrance et la mort, ce sont toujours celles des autres, mais jamais la sienne. Il se construit ainsi un univers conforme à son besoin de sécurité et de complétude sans faille.

Ainsi, par exemple, dans le discours publicitaire, on ne voit jamais que des êtres beaux, jeunes et sains. La souffrance n’y est jamais représentée. Lorsqu’elle l’est, c’est afin de proposer un produit qui en sera le remède miracle. Dans le discours publicitaire, on ne meurt pas...

L’éloignement des cimetières, la mise à l’écart des malades, la marginalisation des personnes handicapées, n’est-ce pas aussi pour les sociétés une manière de voiler la souffrance et la perspective de la mort ?

Cependant cette illusion d’un monde « hors souffrance » est tôt ou tard brisée. Car la souffrance finit toujours par s’insinuer dans la vie du sujet de manière insistante et persistante. Dans ce cas, malgré tout, on pourra encore tenter de se voiler les yeux. Par exemple, lorsqu’il s’agit de la souffrance des autres, on réagira par l’indifférence. Ainsi face au spectacle de la souffrance que montre la télévision, peut se créer une sorte d’accoutumance où l’on parvient à voir souffrir sans plus s’émouvoir. On acquiert alors un cœur endurci, incapable de compassion. Ou encore, lorsqu’il s’agit de souffrance personnelle, on peut chercher à s’étourdir dans le bruit, la drogue ou l’alcool afin de fuir le mal présent et poursuivre malgré tout son rêve déçu de complétude. Le suicide même peut être une manière ultime d’éviter la souffrance et la perspective de devoir mourir : plutôt mourir vite que de devoir rencontrer la souffrance et la mort. Ainsi n’est-il pas rare de voir des personnes se donner la mort le jour où elles ont appris qu’un mal incurable les tenait. Le suicide dans ce cas est une sorte de précipitation dans la mort du fait qu’on ne l’a jamais acceptée ; ultime tentative pour fuir ce qui vient et ce que l’on a toujours voulu nier ; ultime refuge d’un rêve d’immortalité déçu.

Ainsi donc, à force de vouloir dénier la réalité de la souffrance, à force de poursuivre un rêve de complétude sans faille, on est amené à vivre la souffrance, qui vient tôt ou tard, dans la désespérance et la déréliction. La souffrance est alors sans espoir, sans chemin ; horreur aveugle, solitude de l’abandon, détresse suprême où vient s’exténuer un rêve d’immortalité déçu. Ainsi, vivre dans l’imaginaire d’un monde « hors souffrance », c’est ajouter à la souffrance, lorsqu’elle vient, les traits de la désespérance. Le problème qui se pose est donc de pouvoir vivre l’inévitable expérience de l’altération sans cependant sombrer dans le désespoir. Cela implique le consentement à « vivre avec » la souffrance, non point pour la subir ou s’y complaire, mais pour négocier au mieux l’expérience du « devenir autre ».

Dans cette optique, le pas décisif à franchir est l’aveu par le sujet souffrant de la douleur qui le déchire, à un autre qui l’écoute. Le cri, l’appel, la parole adressée à l’autre est, à la fois, le consentement à la réalité de la souffrance et l’inscription de l’espoir au sein de la situation douloureuse elle-même. L’aveu de la souffrance, lui, par la relation qu’il institue, a un effet salutaire, thérapeutique. Le fait de parler à un autre libère de l’angoisse. Ainsi la souffrance comme expérience d’altération devient-elle, par la médiation de la parole, expérience de l’altérité, de la naissance à la rencontre de l’autre. Et cette rencontre de l’autre délivre d’un réel et d’un devenir sans espoir. La rencontre d’autrui dans le creuset de la souffrance neutralise la désespérance, ranime le désir de vie et entraîne donc au combat commun contre la souffrance.

Ps : Je dédie cet article à ceux et celles qui vivent de terribles souffrances. Puissent-ils rencontrer des personnes écoutantes qui partagerons leur état afin de donner sens ensemble au combat à mener pour exister holistiquement malgré les infortunes dont le destin les accable, en intégrant ces blessures pour les vivre au mieux.

BRUNO LEROY.

10:33 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans CHRONIQUE DE BRUNO LEROY. | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

Commentaires

Très beau texte, Bruno, qui nous remet en pleine lumière cet ajout ô combien inutile à la souffrance qu'est son déni. C’est encore là un débat vieux comme le monde, mais si prégnant à notre époque ! Les vertus rédemptrices de la souffrance restent plus que jamais d’actualité : cela ne choque que ceux que révulse la seule perspective de la rédemption. Mais ces vertus ne légitiment en rien la souffrance : elles lui donnent sens, ce qui est déjà beaucoup. Par conséquent , le combat contre la souffrance reste AUSSI d’actualité : nous n’en sommes que de simples soldats. En tant que tels, il nous faut accepter de ne pas toujours comprendre la stratégie de cette drôle de guerre.

« La poursuite de ce rêve (de la non-souffrance) se manifeste dans les mécanismes de défense qui visent à occulter la réalité de la souffrance et à la rejeter hors du champ de la conscience ; on peut la voir, on détourne les yeux, on fait « comme si » elle n’existait pas. » En somme, on déserte le combat. On peut rebaptiser à l’envi la pusillanimité ou la lâcheté sous l’appellation de « mécanismes de défense » : ne sont-ce pas au contraire des mécanismes de REFUS de la défense ? Tout ceci est naturellement inhérent à la faiblesse humaine : on ne saurait exiger de chacun d’avoir un moral de conquérant ! « Tout homme est une histoire sacrée » comme le souligne Jean Vanier ; on pourrait ajouter : tout homme est une histoire blessée. Pas toujours facile d’être âpre au combat quand on a le cœur qui claudique !

Maintenant, il y a pire que viser à « occulter la réalité de la souffrance ». Il y a pire en faisant « comme si » elle existait… CHEZ L’AUTRE. Autrement dit, il y a non seulement refus du combat mais tentative de transfert de ce combat. Tout simplement l’un de ces mécanismes de défense que vous laissez entendre, à savoir le mécanisme de la projection. Ce mécanisme est redoutable quand il s’applique à projeter sur l’autre sa propre souffrance ! Car l’acceptation de la souffrance -vertu si chrétienne- est ici dévoyée au profit de quelqu’un qui nie sa souffrance… et va tout faire pour que ce soit L’AUTRE qui l’accepte ! C’est ainsi que l’on invente de toutes pièces des souffrances qui, au départ, n’existaient pas. Bien des dogmes « thérapeutiques » se sont érigés sur ces souffrances-là, faisant de « l’expression d’une relation intersubjective » le terreau de multiples fractures relationnelles sur la foi d’un regard purement subjectif sur la souffrance… C’est là le versant sombre de l’expérience du « devenir autre » : est-ce réellement « négociable » dans ce cas ?…
Pour ma part, souffrez (!) que je dédie votre article à tous ces faux souffrants qu’on a fait indûment basculer du côté des vrais. Car si toute souffrance est a priori injuste, la leur est la plus injuste de toutes…

Avec ma compassion fraternelle,
Michel

Écrit par : Michel de Tiarelov | 20/02/2008

Cher Michel,
Je vous remercie sincèrement pour vos commentaires critiques concernant certains de mes articles écrits avec mes pauvres mots.
Vous donnez un Souffle nouveau à ce Blog par la pertinence et l'intelligence réflexive de vos propos !
MERCI BEAUCOUP !!!
TRès Fraternellement, Bruno.

Écrit par : BRUNO LEROY. | 20/02/2008

Ne considérons tout ceci que dans l'esprit d'un partage de Carême... en priant le Ciel que cela ne s'arrête pas à Pâques !
Rassurez-vous : qui que nous soyons, TOUS nos mots ne peuvent qu'être pauvres, tant nous sommes plus enclins à travestir le réel qu'à le décrire. D'où le nécessaire et permanent recours au seul véritable Auteur du "Souffle nouveau" qui, Lui, va fort heureusement au-delà des mots. Avec Lui, "pauvres" ou "riches", tous dans le même sac !
Question de regard, toujours...

Bien fraternellement,
Michel

Écrit par : Michel de Tiarelov | 21/02/2008

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