Monsieur le Cardinal, Depuis votre nomination comme archevêque de Québec, plusieurs de vos prises de position, répercutées par les médias, nous indisposent. Elles donnent en effet à notre Église un visage que nous refusons. Membres à part entière et de plein droit de l’Église catholique qui est au Québec, nous jugeons nécessaire d’intervenir publiquement pour manifester notre désaccord avec le modèle ecclésial que vous mettez de l’avant. Nous le faisons sur la base du « sens de la foi » que nous confère notre baptême. Ce modèle d’Église dont nous ne voulons pas, c’est d’abord celui que vous incarniez déjà lors de la pompeuse célébration d’inauguration de votre cardinalat (diffusée sur les ondes du RDI en novembre 2003). Vous dressiez alors, dans votre homélie, un portrait excessivement noir de la situation actuelle du Québec. De tels propos – que vous avez repris à maintes occasions – offrent le visage d’une Église qui se pose « en surplomb » d’un monde qu’elle réduit, dans son discours, à un champ de décadence. Bien que conscients des nombreux défis auxquels doit faire face notre nation, il nous apparaît partial de dénoncer ainsi les limites de la société présente, sans reconnaître du même souffle ce qu’il y a de bon, de juste, de vrai et de typiquement évangélique en elle. Cette lecture sans nuances de la réalité entretient le fossé d’incompréhension et d’indifférence entre l’Église et une part sans cesse grandissante de nos concitoyens. À titre de croyants, nous rejetons ce ton condescendant et pessimiste qui n’est ni celui de l’épiscopat québécois ni celui de la majorité des chrétiens d’ici. Nous voulons plutôt une Église capable d’interpeller notre collectivité avec humilité et bienveillance, tout en se reconnaissant solidaire et partie prenante de la commune recherche de voies d’avenir, une Église qui se compromet pour les droits de la personne, comme vous l’avez fait – à la suite de l’Église Unie – dans le dossier de Mohamed Cherfi. Une véritable vision de l’école Ce modèle d’Église dont nous ne voulons pas, c’est aussi celui que vous incarnez par vos multiples déclarations sur la religion à l’école (entre autres dans votre lettre pastorale sur la formation à la vie chrétienne). Votre obstination à promouvoir le renouvellement des clauses dérogatoires – qui maintiennent indûment des privilèges scolaires pour les catholiques et les protestants – relève de l’aveuglement. Vous pourriez vous associer aux acteurs les plus éclairés de notre société qui, au nom d’une laïcité ouverte, recommandent l’implantation d’un programme novateur d’éducation à la citoyenneté, à l’éthique et aux religions tenant compte de nos racines chrétiennes, tout en rassemblant les jeunes de toutes convictions au sein d’une école publique commune. Au contraire, en défendant le statu quo, vous vous faites le porte-parole de la frange la plus conservatrice du catholicisme d’ici. Si nous considérons l’évolution récente du dossier confessionnel et le pluralisme irréversible de notre société, votre position ne peut conduire qu’à l’impasse. Comme le soulignait dernièrement Michel Venne dans Le Devoir, vous risquez ainsi de devenir complice de la disparition, à brève échéance, de toute référence à la dimension religieuse dans notre cursus scolaire. À titre de croyants, nous rejetons ce type d’Église qui, pour défendre ses droits acquis, se campe dans des combats d’arrière-garde. Nous voulons plutôt une Église soucieuse du bien commun et capable de contribuer, avec vision et générosité, à l’évolution et à la cohésion sociale du Québec. Condamner l’homophobie et le sexisme Ce modèle d’Église dont nous ne voulons pas, c’est également celui que vous incarnez dans votre lettre intitulée « Mariage et société », publiée en janvier dernier. Vous vous y opposez au projet de loi du Gouvernement fédéral sur la redéfinition du mariage civil – projet pourtant issu de l’avis positif de la Cour suprême du Canada et fondé sur la Charte des droits et libertés. Votre zèle intempestif, sur cet enjeu, « heurte le sens moral et la sensibilité religieuse d’un grand nombre de citoyennes et de citoyens, catholiques ou non catholiques ». En effet, le respect des droits des minorités, la promotion d’une société ouverte et tolérante ainsi que la recherche de la justice et de l’égalité – sans égard au sexe, aux origines, aux croyances et à l’orientation sexuelle des personnes – sont, pour nous, des valeurs fondamentales qui trouvent leurs racines dans l’Évangile. Nous sommes donc scandalisés par cette croisade que vous menez contre l’élargissement de la définition du mariage civil. À titre de croyants, nous rejetons ce type d’Église qui s’associe, sans la moindre pudeur, au programme réactionnaire du Parti conservateur du Canada et aux plus activistes factions de la droite religieuse étatsunienne. Nous voulons plutôt une Église qui ne manque pas une occasion de condamner – d’abord en son propre sein – l’homophobie, le sexisme et la xénophobie sous toutes leurs formes. Nous représentons un visage du catholicisme qui veut cesser d’entretenir l’ostracisme à l’égard des personnes homosexuelles et surtout soutenir, au lieu d’accabler, les jeunes qui se découvrent de cette orientation affective. Nous voulons une Église qui leur offre – ainsi qu’à leurs proches – une authentique sollicitude, au lieu des condamnations cruelles qui attisent la violence et le mépris. Diversité et liberté dans l’Église Ce modèle d’Église dont nous ne voulons pas, enfin, c’est celui que vous incarnez dans votre dernière lettre pastorale sur la pratique du sacrement de la pénitence et de la réconciliation. Contre une opinion largement partagée, vous mettez fin aux célébrations avec absolution collective qui s’étaient développées dans votre diocèse. Ces dernières avaient redonné pertinence et signification à un sacrement depuis longtemps déserté par une majorité. Cette décision – prise pour vous conformer à un diktat de Rome – est reçue, par nombre de vos prêtres et de vos fidèles, comme un recul et un coup de force. Nous espérons que de nombreuses communautés chrétiennes, après avoir procédé à leur propre discernement, décideront de passer outre à cette directive romaine et poursuivront, avec liberté et courage, les expériences fécondes de renouvellement pastoral dont elles sont les riches détentrices. À titre de croyants, nous rejetons ce type d’Église où les communautés chrétiennes doivent se soumettre servilement aux décrets brutaux d’une administration centrale, exactement à la manière des succursales de Wal-Mart par rapport au siège social de la multinationale. Nous refusons ce centralisme et ce fonctionnement unilatéral qui dénaturent le ministère des évêques tel qu’il a été défini au dernier concile. Nous croyons en une catholicité qui, loin d’annihiler la légitime diversité et la capacité d’initiative des Églises locales, en fait plutôt la promotion, conformément à une vision dynamique et vivante de la communion ecclésiale. Bref, à titre de catholiques québécois, nous disons non à une Église qui s’abaisse au niveau d’un vulgaire lobby de droite en s’associant publiquement aux positions les plus réactionnaires et les plus conservatrices de notre société. Comme le disait Fernand Dumont « nous sommes devenus un objet de risée » et nous le refusons. Ce catholicisme de la citadelle assiégée est une trahison de Vatican II, de la Commission Dumont et des synodes tenus dans de nombreux diocèses du Québec au cours des récentes années. Sachez que les baptisés que nous sommes ne laisseront pas le catholicisme québécois se faire kidnapper par l’intégrisme. Les signataires : Jean Bacon, Montréal Ghislain Bédard, L’Ancienne-Lorette Renald Blais jr, Saint-Romuald Normand Breault, Montréal Lorraine Bélanger, Ste-Françoise Sylvie Bélanger, Ste-Françoise Guy Bonin, Montréal Hélène Chénier, Montréal Jean Clermont-Drolet, Québec Réjane Cliche, Stoneham Louis Cornellier, Joliette Louise Dallaire, St-Antonin Michel de Salaberry, Ottawa Diane Falardeau, Québec Alban Gagnon, Longueuil Louis-Marie Gagnon, Montréal Marie Gagnon, arr. Verdun/Montréal Denis Gauvin, Brossard Éric Généreux, Mascouche Claude Giasson, Montréal Lise Gosselin, Québec Marie Laberge, Boucherville Julie Landry, Maria Gérard Laverdure, Montréal Jean-Paul Lefebvre, Montréal Raymond Légaré, Montréal Bruno Leroy, éducateur de rue, France Rodrigue Lévesque, Québec Anne-Marie Larose, Cap-Rouge Gaétan Nadeau, Montréal Jean-Claude Nadon, Ottawa Martin Parent, Québec Stéphane Proulx, Boucherville Jean-Philippe Perreault, St-Augustin-de-Desmaures Annie-Claudine Tremblay, Montréal Jean Trudeau, Longueuil Marco Veilleux, Montréal Jean-Rémy Veilleux, Montmagny Nicole Villeneuve, Québec |
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