15/12/2006
Pourquoi tant de malheurs sur cette Terre ?
Lorsque les premiers astronautes ont vu d'en haut, ils se sont exclamés, émerveillés: «Elle est bleue! Qu'elle est belle!». Mais notre planète devient de moins en moins bleue, de moins en moins belle. Lorsque nous regardons notre monde avec les yeux du réalisme et de la vérité, nous sommes forcés d'admettre qu'elle devient de plus en plus laide et sale. Où que nous regardions, nous voyons la faim; et la faim est laide et sale.
Nous voyons de la saleté; et la saleté, c'est laid, c'est sale.
Nous voyons de la pauvreté; et la pauvreté c'est laid, c'est sale.
Nous voyons des maladies; les maladies, c'est laid, c'est sale.
Nous voyons des épidémies; et les épidémies c'est laid, c'est sale.
Nous voyons des guerres; et les guerres, c'est laid, c'est sale.
Nous voyons de la drogue; et la drogue, c'est laid, c'est sale.
Nous voyons de la violence; et la violence, c'est laid, c'est sale.
Mais la vie moderne n'est pas seulement laide et sale. Elle ressemble de plus en plus à un poids insupportable qui nous écrase. Où que nous regardions nous voyons des gens ployer sous des entraves et des chaînes qui leur rendent la vie cruelle et oppressive.
Où que nous regardions, nous voyons des esclavages de toutes sortes. Tout esclavage est cruel et oppressif.
Nous voyons des préjugés: tout préjugé est cruel et oppressif.
Nous voyons de l'intolérance: toute intolérance est cruelle et oppressive.
Nous voyons de l'inquisition: toute inquisition est cruelle et oppressive.
Nous voyons des dictatures: toute dictature est cruelle et oppressive.
Nous voyons des divisions: toute division est cruelle et oppressive.
Nous voyons toutes sortes d'exploitations, surtout l'exploitation économique, et toute exploitation est cruelle et oppressive.
Or un monde qui devient de plus en plus laid et sale, cruel et oppressif, ne peut qu'être un monde malheureux. La vie moderne, en dépit de tous les efforts, est dominée par le malheur. Le malheur et les larmes. Nous sourions de moins en moins, et pleurons de plus en plus. Pire, nous versons les larmes de ceux qui ont abandonné tout espoir. Ce sont les larmes d'un coeur impuissant devant tant de douleur, tant de souffrances, tant de pauvreté, tant de corruption morale, tant d'injustice.
Sans la ceinture de la justice, notre monde est condamné à devenir toujours plus laid, cruel et malheureux.
Nous pouvons donc dire que la crise de notre monde est véritablement une crise de la beauté. C'est un monde dans lequel il n'y a pas que la faim de pain, qu'on peut satisfaire. Il y a aussi la faim de beauté, qu'on ne peut jamais pleinement satisfaire. Selon la belle maxime de José Carlos Mariátegui, notre monde aspire «non seulement à la conquête du pain, mais aussi à la conquête de la beauté».
Parce que c'est dans cette dimension-là que la justice devient l'engagement spirituel et sacré que nous prenons, pour changer un monde marqué par la laideur et la mort en un monde de beauté et de vie. Comment le ferons-nous? Par un double effort: l'affirmation de la vie et le combat contre les forces de mort.
En 1991, à Rio de Janeiro, a eu lieu le Sommet de la Terre. L'événement fut connu sous le nom de «ECO-Quatre-vingt-douze». Plus de 120 chefs d'État s'y retrouvèrent, mais ils n'ont fait que l'utiliser pour se mettre eux-mêmes en valeur, comme lors d'un défilé de mode. Rien de plus, alors que cela aurait dû être l'événement du siècle.
Cinq années ont passé, mais quels sont les résultats de cette rencontre? Qui s'en souvient encore? Il faut noter que, sur la place centrale où eut lieu l'événement, on avait planté un arbre symbolique. Il est resté là tout au long de la rencontre et on a accroché à ses branches des messages envoyés par des enfants du monde entier.
Mais il semble que l'arbre de la vie a vite été oublié dès la fin du Sommet de la Terre et, avec lui, la vie des générations futures. C'est un bon symbole de notre temps et pour notre temps. Dans la Bible, l'arbre de vie est au centre de la création de Dieu. Le voici au milieu du jardin, et le voici sur la place principale de la nouvelle Jérusalem. Toujours l'arbre de vie. Et toujours au centre. C'est ainsi qu'il devrait en être, du jardin à la ville. L'arbre de vie a été planté au coeur de l'histoire. Mais la grande tragédie - le péché même du genre humain - c'est la facilité avec laquelle on oublie l'arbre de vie, et l'indifférence face aux puissances de mort qui conspirent contre la vie.
C'est la vie, et non la mort, qui est le dernier mot de l'histoire. C'est pour cette raison que Paul, en parlant du Christ, dit qu'il est le grand «Oui» de Dieu à la vie. De même, nous sommes aussi appelés en Christ à dire oui à la vie. Ce faisant, nous prenons une décision radicale et profonde en faveur du Dieu de la vie. Les théologiens de la spiritualité appellent cela loyauté et fidélité envers la vie, dont l'expression première et la plus radicale est la justice.
Nous sommes tous d'accord sur un point: nous vivons maintenant dans un temps de crise radicale. C'est une crise de civilisation, une crise du sens global de la vie, de la signification fondamentale de notre culture. En langage abstrait cela signifie une crise du paradigme directeur. En langage concret, c'est une crise du plus grand rêve, de la plus grande utopie qui ait donné son sens au monde moderne au cours de ces derniers siècles. Quel était ce rêve? C'était le rêve du développement illimité, de la volonté de puissance s'exprimant dans les formes de la domination sur d'autres, sur des peuples entiers, sur la nature.
Mais ce rêve a débouché sur un cauchemar: nous avons pillé la nature, nous avons produit de la pauvreté et du sordide, nous avons dégradé l'être humain.
Nous nous sommes toujours laissés emporter par des rêves de grandes révolutions rédemptrices: la révolution scientifique, la révolution technologique, la révolution capitaliste, la révolution socialiste et la révolution cybernétique. Toutes ces révolutions font payer le prix fort en termes d'injustice humaine. Des millions d'êtres humains, des valeurs et des ressources essentielles ont été sacrifiés ou perdus le long de la route.
Nous devons avoir le courage de reconnaître que nous avons échoué. Nous devons avoir la dignité de faire notre «mea culpa» et il nous faut renoncer à la grande illusion que nous pourrions changer cet état de choses par nous-mêmes ou par nos propres capacités. Ayons le courage de la sincérité et reconnaissons que c'est d'une profonde révolution spirituelle que nous avons besoin, sans laquelle il n'y a d'espoir ni pour nous, ni pour le monde. Nous devons avoir le courage d'entendre à nouveau le défi du Galiléen: «Repentez-vous et croyez à la bonne nouvelle». Il nous faut le courage du repentir, parce que la repentance est avant tout un changement d'attitude. Et le changement d'attitude commence par le coeur. C'est pourquoi la nouvelle alliance qui vient en guise de justice doit être première dans notre coeur, parce que c'est dans le coeur que se trouvent les racines de toutes les agressions, de tous les conflits, bref, du péché même qui rompt l'harmonie entre tous les êtres vivants. Commençons par une révolution de l'esprit. Commençons par le coeur. Que signifie demander la justice aujourd'hui?
Il n'y a d'espoir ni pour nous ni pour le monde si nous ne sommes pas capables, tous tant que nous sommes, du geste le plus magnifique et le plus évangélique qui soit: le geste de miséricorde. Nous sommes appelés à exercer la miséricorde. Le terme de miséricorde, ici, doit être bien compris. Selon Jon Sobrino: «Nous ne parlons ici pas simplement de 'miséricorde', mais du 'principe d'espérance'».
En conséquence, la miséricorde n'est pas qu'un beau sentiment de compassion; la miséricorde ne doit pas non plus être confondue avec les «bonnes oeuvres», aussi louables soient-elles; et encore moins avec des attitudes paternalistes pour soulager des détresses individuelles et collectives. Le principe de miséricorde est un acte d'amour, un amour sacrificiel qui plonge au coeur même de la douleur et de la souffrance pour en racheter la victime. C'est de ce principe que Jésus parle dans la parabole du Bon Samaritain, quand il parle de l'homme qui a agi avec un coeur plein de miséricorde.
Notre monde applaudit, ou du moins tolère les «oeuvres de miséricorde», mais il ne peut tolérer une attitude prophétique motivée par le principe de justice. Lorsque la miséricorde pénètre l'histoire en tant que justice, elle doit affronter ceux que ne gouverne pas le principe de miséricorde. L'histoire est pleine de prêtres et de lévites qui ignorent la miséricorde. Pire, l'histoire a été conduite par ceux qui représentent le principe de l'antimiséricorde. C'est pourquoi la mission de l'Église ne peut jamais se limiter aux «oeuvres de miséricorde», mais doit être gouvernée par le principe de miséricorde. Le monde aime, et nous aussi semble-t-il, que l'Église pratique des «oeuvres de miséricorde», mais soit nous n'aimons pas, soit nous avons de la peine à accepter une Église motivée par le principe de miséricorde. Le premier type d'Église se satisfait de gestes de bonne volonté. Le second type d'Église, par contre, lutte et se donne pour l'amour de la justice.
Pour cette raison nos coeurs et le coeur de l'Église aujourd'hui doivent être remplis de miséricorde. Que signifie demander la justice aujourd'hui?
Pour beaucoup de gens, il semble cynique de parler de solidarité dans le monde d'aujourd'hui. Il y a en fait une sorte de désenchantement quant à la solidarité, une grande désillusion. Hugo Assman, théologien latino-américain de la libération, parle d'une sorte de «blocage de la solidarité» dans le monde d'aujourd'hui. Il ne se réfère pas à une sorte d'insensibilité générique, mais au véritable esprit de Caïn - une «Caïnisation» de l'espèce humaine. Pour être plus spécifique, les deux-tiers ou les trois-quarts de l'humanité qui ne sont pas protégés par les puissances qui dirigent la planète ne peuvent trouver nulle part un toit au-dessus de leur tête. Ils représentent une sorte de surplus humain. Est-ce là une exagération? Il suffit de voir comment notre monde traite les «exclus», ces indésirables qu'il considère comme une plaie. À l'inverse d'Assman, cependant, Leonardo Boff reste optimiste quand il parle de solidarité. Pour citer Boff littéralement: «La solidarité est importante à tous les niveaux, surtout dans une perspective internationale». Il conclut ainsi: «Plutôt que de mondialiser l'économie et les modes de production, il nous faut mondialiser la solidarité».
Cela peut sembler utopique, et ça l'est. Mais loin de fuir la réalité, l'utopie en fait partie. Elle est simplement la découverte que nous ne sommes pas encore arrivés au terme de l'histoire, que l'issue de l'histoire n'est pas encore décidée, et que nous pouvons et devons oeuvrer en vue d'une convivialité et de relations humaines plus heureuses. Notre monde a vraiment besoin de solidarité. Nous avons tous besoin les uns des autres, et nous pouvons tous nous aider les uns les autres, qui que nous soyons et où que nous soyons. L'histoire des relations entre le Nord et le Sud, si cruciale dans le monde d'aujourd'hui, a été une triste histoire. Mais il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Cela peut changer et, d'une manière ou d'une autre, cela changera. Le Nord peut et doit aider le Sud afin qu'un minimum de dignité et de justice y soit possible; et le Sud peut devenir une grande réserve spirituelle pour le Nord. L'important est de retrouver l'idée et l'idéal d'une seule famille humaine.
Je conclus par une légende moderne aux dimensions spirituelles, qui illustre bien ces quelques réflexions.
Il était une fois un vieux et saint moine, qui reçut la visite du Christ en rêve. Le Seigneur invita le moine à une promenade dans le jardin. Le moine accepta avec enthousiasme et curiosité. Après qu'ils eurent marché un moment dans le jardin, le moine demanda: «Seigneur, quand tu marchais sur les chemins de Palestine, tu as dit une fois que tu reviendrais un jour dans toute ta puissance et toute ta gloire. Tu as tant tardé, Seigneur! Quand viendras-tu?» Après un silence qui sembla au moine une éternité, le Seigneur répondit: «Mon frère, quand ma justice sera devenue évidente dans l'univers et dans la nature, quand tu l'auras dans la peau et dans le coeur; quand elle sera devenue le sens suprême de toutes choses; quand elle se sera changée en indignation sans limites contre les perversions du pouvoir; quand elle sera devenue une soif des plus insatiables de vie et de liberté; quand la relation entre la faim pour Dieu et la faim pour le pain aura atteint son plus haut point; quand ma justice sera devenue aussi réelle que ma présence ici et maintenant, et quand cette conscience fera tellement une partie de ton corps et de ton âme que tu n'en seras plus conscient; quand la vérité t'aura pénétré si complètement que tu n'auras plus besoin de satisfaire ta curiosité par la question que tu viens de me poser, alors, et alors seulement, mon frère, je serai revenu dans toute ma puissance et toute ma gloire».
Bruno LEROY.
Nous voyons de la saleté; et la saleté, c'est laid, c'est sale.
Nous voyons de la pauvreté; et la pauvreté c'est laid, c'est sale.
Nous voyons des maladies; les maladies, c'est laid, c'est sale.
Nous voyons des épidémies; et les épidémies c'est laid, c'est sale.
Nous voyons des guerres; et les guerres, c'est laid, c'est sale.
Nous voyons de la drogue; et la drogue, c'est laid, c'est sale.
Nous voyons de la violence; et la violence, c'est laid, c'est sale.
Mais la vie moderne n'est pas seulement laide et sale. Elle ressemble de plus en plus à un poids insupportable qui nous écrase. Où que nous regardions nous voyons des gens ployer sous des entraves et des chaînes qui leur rendent la vie cruelle et oppressive.
Où que nous regardions, nous voyons des esclavages de toutes sortes. Tout esclavage est cruel et oppressif.
Nous voyons des préjugés: tout préjugé est cruel et oppressif.
Nous voyons de l'intolérance: toute intolérance est cruelle et oppressive.
Nous voyons de l'inquisition: toute inquisition est cruelle et oppressive.
Nous voyons des dictatures: toute dictature est cruelle et oppressive.
Nous voyons des divisions: toute division est cruelle et oppressive.
Nous voyons toutes sortes d'exploitations, surtout l'exploitation économique, et toute exploitation est cruelle et oppressive.
Or un monde qui devient de plus en plus laid et sale, cruel et oppressif, ne peut qu'être un monde malheureux. La vie moderne, en dépit de tous les efforts, est dominée par le malheur. Le malheur et les larmes. Nous sourions de moins en moins, et pleurons de plus en plus. Pire, nous versons les larmes de ceux qui ont abandonné tout espoir. Ce sont les larmes d'un coeur impuissant devant tant de douleur, tant de souffrances, tant de pauvreté, tant de corruption morale, tant d'injustice.
Sans la ceinture de la justice, notre monde est condamné à devenir toujours plus laid, cruel et malheureux.
Nous pouvons donc dire que la crise de notre monde est véritablement une crise de la beauté. C'est un monde dans lequel il n'y a pas que la faim de pain, qu'on peut satisfaire. Il y a aussi la faim de beauté, qu'on ne peut jamais pleinement satisfaire. Selon la belle maxime de José Carlos Mariátegui, notre monde aspire «non seulement à la conquête du pain, mais aussi à la conquête de la beauté».
Parce que c'est dans cette dimension-là que la justice devient l'engagement spirituel et sacré que nous prenons, pour changer un monde marqué par la laideur et la mort en un monde de beauté et de vie. Comment le ferons-nous? Par un double effort: l'affirmation de la vie et le combat contre les forces de mort.
En 1991, à Rio de Janeiro, a eu lieu le Sommet de la Terre. L'événement fut connu sous le nom de «ECO-Quatre-vingt-douze». Plus de 120 chefs d'État s'y retrouvèrent, mais ils n'ont fait que l'utiliser pour se mettre eux-mêmes en valeur, comme lors d'un défilé de mode. Rien de plus, alors que cela aurait dû être l'événement du siècle.
Cinq années ont passé, mais quels sont les résultats de cette rencontre? Qui s'en souvient encore? Il faut noter que, sur la place centrale où eut lieu l'événement, on avait planté un arbre symbolique. Il est resté là tout au long de la rencontre et on a accroché à ses branches des messages envoyés par des enfants du monde entier.
Mais il semble que l'arbre de la vie a vite été oublié dès la fin du Sommet de la Terre et, avec lui, la vie des générations futures. C'est un bon symbole de notre temps et pour notre temps. Dans la Bible, l'arbre de vie est au centre de la création de Dieu. Le voici au milieu du jardin, et le voici sur la place principale de la nouvelle Jérusalem. Toujours l'arbre de vie. Et toujours au centre. C'est ainsi qu'il devrait en être, du jardin à la ville. L'arbre de vie a été planté au coeur de l'histoire. Mais la grande tragédie - le péché même du genre humain - c'est la facilité avec laquelle on oublie l'arbre de vie, et l'indifférence face aux puissances de mort qui conspirent contre la vie.
C'est la vie, et non la mort, qui est le dernier mot de l'histoire. C'est pour cette raison que Paul, en parlant du Christ, dit qu'il est le grand «Oui» de Dieu à la vie. De même, nous sommes aussi appelés en Christ à dire oui à la vie. Ce faisant, nous prenons une décision radicale et profonde en faveur du Dieu de la vie. Les théologiens de la spiritualité appellent cela loyauté et fidélité envers la vie, dont l'expression première et la plus radicale est la justice.
Nous sommes tous d'accord sur un point: nous vivons maintenant dans un temps de crise radicale. C'est une crise de civilisation, une crise du sens global de la vie, de la signification fondamentale de notre culture. En langage abstrait cela signifie une crise du paradigme directeur. En langage concret, c'est une crise du plus grand rêve, de la plus grande utopie qui ait donné son sens au monde moderne au cours de ces derniers siècles. Quel était ce rêve? C'était le rêve du développement illimité, de la volonté de puissance s'exprimant dans les formes de la domination sur d'autres, sur des peuples entiers, sur la nature.
Mais ce rêve a débouché sur un cauchemar: nous avons pillé la nature, nous avons produit de la pauvreté et du sordide, nous avons dégradé l'être humain.
Nous nous sommes toujours laissés emporter par des rêves de grandes révolutions rédemptrices: la révolution scientifique, la révolution technologique, la révolution capitaliste, la révolution socialiste et la révolution cybernétique. Toutes ces révolutions font payer le prix fort en termes d'injustice humaine. Des millions d'êtres humains, des valeurs et des ressources essentielles ont été sacrifiés ou perdus le long de la route.
Nous devons avoir le courage de reconnaître que nous avons échoué. Nous devons avoir la dignité de faire notre «mea culpa» et il nous faut renoncer à la grande illusion que nous pourrions changer cet état de choses par nous-mêmes ou par nos propres capacités. Ayons le courage de la sincérité et reconnaissons que c'est d'une profonde révolution spirituelle que nous avons besoin, sans laquelle il n'y a d'espoir ni pour nous, ni pour le monde. Nous devons avoir le courage d'entendre à nouveau le défi du Galiléen: «Repentez-vous et croyez à la bonne nouvelle». Il nous faut le courage du repentir, parce que la repentance est avant tout un changement d'attitude. Et le changement d'attitude commence par le coeur. C'est pourquoi la nouvelle alliance qui vient en guise de justice doit être première dans notre coeur, parce que c'est dans le coeur que se trouvent les racines de toutes les agressions, de tous les conflits, bref, du péché même qui rompt l'harmonie entre tous les êtres vivants. Commençons par une révolution de l'esprit. Commençons par le coeur. Que signifie demander la justice aujourd'hui?
Il n'y a d'espoir ni pour nous ni pour le monde si nous ne sommes pas capables, tous tant que nous sommes, du geste le plus magnifique et le plus évangélique qui soit: le geste de miséricorde. Nous sommes appelés à exercer la miséricorde. Le terme de miséricorde, ici, doit être bien compris. Selon Jon Sobrino: «Nous ne parlons ici pas simplement de 'miséricorde', mais du 'principe d'espérance'».
En conséquence, la miséricorde n'est pas qu'un beau sentiment de compassion; la miséricorde ne doit pas non plus être confondue avec les «bonnes oeuvres», aussi louables soient-elles; et encore moins avec des attitudes paternalistes pour soulager des détresses individuelles et collectives. Le principe de miséricorde est un acte d'amour, un amour sacrificiel qui plonge au coeur même de la douleur et de la souffrance pour en racheter la victime. C'est de ce principe que Jésus parle dans la parabole du Bon Samaritain, quand il parle de l'homme qui a agi avec un coeur plein de miséricorde.
Notre monde applaudit, ou du moins tolère les «oeuvres de miséricorde», mais il ne peut tolérer une attitude prophétique motivée par le principe de justice. Lorsque la miséricorde pénètre l'histoire en tant que justice, elle doit affronter ceux que ne gouverne pas le principe de miséricorde. L'histoire est pleine de prêtres et de lévites qui ignorent la miséricorde. Pire, l'histoire a été conduite par ceux qui représentent le principe de l'antimiséricorde. C'est pourquoi la mission de l'Église ne peut jamais se limiter aux «oeuvres de miséricorde», mais doit être gouvernée par le principe de miséricorde. Le monde aime, et nous aussi semble-t-il, que l'Église pratique des «oeuvres de miséricorde», mais soit nous n'aimons pas, soit nous avons de la peine à accepter une Église motivée par le principe de miséricorde. Le premier type d'Église se satisfait de gestes de bonne volonté. Le second type d'Église, par contre, lutte et se donne pour l'amour de la justice.
Pour cette raison nos coeurs et le coeur de l'Église aujourd'hui doivent être remplis de miséricorde. Que signifie demander la justice aujourd'hui?
Pour beaucoup de gens, il semble cynique de parler de solidarité dans le monde d'aujourd'hui. Il y a en fait une sorte de désenchantement quant à la solidarité, une grande désillusion. Hugo Assman, théologien latino-américain de la libération, parle d'une sorte de «blocage de la solidarité» dans le monde d'aujourd'hui. Il ne se réfère pas à une sorte d'insensibilité générique, mais au véritable esprit de Caïn - une «Caïnisation» de l'espèce humaine. Pour être plus spécifique, les deux-tiers ou les trois-quarts de l'humanité qui ne sont pas protégés par les puissances qui dirigent la planète ne peuvent trouver nulle part un toit au-dessus de leur tête. Ils représentent une sorte de surplus humain. Est-ce là une exagération? Il suffit de voir comment notre monde traite les «exclus», ces indésirables qu'il considère comme une plaie. À l'inverse d'Assman, cependant, Leonardo Boff reste optimiste quand il parle de solidarité. Pour citer Boff littéralement: «La solidarité est importante à tous les niveaux, surtout dans une perspective internationale». Il conclut ainsi: «Plutôt que de mondialiser l'économie et les modes de production, il nous faut mondialiser la solidarité».
Cela peut sembler utopique, et ça l'est. Mais loin de fuir la réalité, l'utopie en fait partie. Elle est simplement la découverte que nous ne sommes pas encore arrivés au terme de l'histoire, que l'issue de l'histoire n'est pas encore décidée, et que nous pouvons et devons oeuvrer en vue d'une convivialité et de relations humaines plus heureuses. Notre monde a vraiment besoin de solidarité. Nous avons tous besoin les uns des autres, et nous pouvons tous nous aider les uns les autres, qui que nous soyons et où que nous soyons. L'histoire des relations entre le Nord et le Sud, si cruciale dans le monde d'aujourd'hui, a été une triste histoire. Mais il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Cela peut changer et, d'une manière ou d'une autre, cela changera. Le Nord peut et doit aider le Sud afin qu'un minimum de dignité et de justice y soit possible; et le Sud peut devenir une grande réserve spirituelle pour le Nord. L'important est de retrouver l'idée et l'idéal d'une seule famille humaine.
Je conclus par une légende moderne aux dimensions spirituelles, qui illustre bien ces quelques réflexions.
Il était une fois un vieux et saint moine, qui reçut la visite du Christ en rêve. Le Seigneur invita le moine à une promenade dans le jardin. Le moine accepta avec enthousiasme et curiosité. Après qu'ils eurent marché un moment dans le jardin, le moine demanda: «Seigneur, quand tu marchais sur les chemins de Palestine, tu as dit une fois que tu reviendrais un jour dans toute ta puissance et toute ta gloire. Tu as tant tardé, Seigneur! Quand viendras-tu?» Après un silence qui sembla au moine une éternité, le Seigneur répondit: «Mon frère, quand ma justice sera devenue évidente dans l'univers et dans la nature, quand tu l'auras dans la peau et dans le coeur; quand elle sera devenue le sens suprême de toutes choses; quand elle se sera changée en indignation sans limites contre les perversions du pouvoir; quand elle sera devenue une soif des plus insatiables de vie et de liberté; quand la relation entre la faim pour Dieu et la faim pour le pain aura atteint son plus haut point; quand ma justice sera devenue aussi réelle que ma présence ici et maintenant, et quand cette conscience fera tellement une partie de ton corps et de ton âme que tu n'en seras plus conscient; quand la vérité t'aura pénétré si complètement que tu n'auras plus besoin de satisfaire ta curiosité par la question que tu viens de me poser, alors, et alors seulement, mon frère, je serai revenu dans toute ma puissance et toute ma gloire».
Bruno LEROY.
20:40 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans SOCIOLOGIE. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, action-sociale-chretienne, spiritualite, social, poesie | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
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