Les religions ne répondent plus à nos attentes
De tout temps, pour répondre à ce besoin de croyance transcendantale, les hommes se sont forgé des valeurs spirituelles. Ces dernières reposent sur des codes moraux ou des principes divins. Dans tous les cas, la spiritualité vise d’abord à apporter le réconfort du sens. Une mission que les hommes, sur tous les continents et sous bien des formes, ont le plus souvent confié à des religions. On assiste toutefois dans les pays occidentaux à une véritable métamorphose du système religieux depuis une trentaine d’années: les grandes religions ne font plus recette. Les églises se vident et les fidèles se font plus rares.
«Un sondage réalisé il y a quelques années dans tous les pays européens montre que les deux tiers de la population se disent ouverts à la croyance, voire sont tout à fait croyants, mais sans pour autant se sentir liés à une religion précise, explique le sociologue Frédéric Lenoir, auteur d’un livre sur les Métamorphoses de Dieu, qui vient de paraître chez Plon. Ainsi, il n’y a plus de religion dominante. C’est une situation inédite dans l’histoire de l’humanité.» Tout porte ainsi à croire que les religions instituées, en particulier le christianisme, ne parviennent plus du tout à répondre aux attentes spirituelles de nos contemporains.
L’envie d’y croire
Pourtant, jamais peut-être la quête de sens ne s’est exprimée aussi fortement qu’aujourd’hui. En témoigne l’intérêt suscité par toutes les productions culturelles qui touchent à la spiritualité et au surnaturel. Chacun des livres de Paulo Coelho, à commencer par l’Alchimiste, fait un tabac. Les rayons des librairies regorgent de livres sur le cheminement et le questionnement spirituel. Le cinéma hollywoodien n’est pas en reste avec, par exemple, des films comme le Sixième sens ou les deux opus de la série des Harry Potter, les uns et les autres ayant connu un succès planétaire.
Cette quête s’exprime également à travers l’engouement pour la philosophie. Qu’on se souvienne de l’accueil triomphal du livre de Jostein Gaarder le Monde de Sophie, et du succès des Cafés Philo il y a quelques années. Plus récemment, ce sont les «sages» de l’Antiquité, de Diogène à Marc Aurèle, en passant par Epicure ou Sénèque, qui sont abondamment revisités. Sans parler enfin de l’attrait pour les religions orientales, en particulier le bouddhisme, et pour toutes les techniques de développement personnel issues du New Age.
Quelles que soient les orientations choisies, le but est toujours le même: trouver un apaisement qui permette de vivre mieux et plus sereinement. Un objectif auquel les religions instituées ne semblent donc plus être en mesure de répondre. «C’est un phénomène historique très long, poursuit Frédéric Lenoir, que le sociologue allemand Max Weber appelait le processus de rationalisation. La religion judéo-chrétienne a introduit les notions de conscience de soi et d’actes moraux, qui visaient à obtenir le salut de l’âme. Progressivement, cela a donné naissance à l’esprit critique et à la liberté individuelle, qui se sont retournés contre la religion.»
Tout décider par nous-mêmes
La société occidentale est ainsi marquée aujourd’hui par un très fort individualisme. L’homme moderne ne veut pas se voir imposer un modèle de pensée unique. Il veut décider par lui-même ce qu’il a envie de croire et de ne pas croire, de faire et de ne pas faire. Tout ce qui tend à l’encadrer dans un «moule» trop rigide a tendance à le faire fuir. Cette évolution ne concerne pas que le spirituel. Ce sont toutes les grandes institutions qui sont concernées : éducation nationale, sécurité sociale, système de santé, on ne croit plus en l’Etat providence comme il y a quarante ou cinquante ans. L’heure est à la décentralisation, à la proximité et aux structures «à taille humaine» où l’individu peut se sentir exister et où il ne se laisse plus imposer une norme extérieure. «Les formes d’engagement qui attirent l’individu actuel reposent sur l’accompagnement, le face-à-face, la relation personnelle», écrit le philosophe Michel Lacroix (1).
A l’exemple d’Amélie Poulain, qui cherche simplement à faire un peu de bien autour d’elle plutôt que de révolutionner le monde… D’ailleurs, les idéologies elles-mêmes battent sérieusement de l’aile. Il suffit de voir ce qu’il reste de l’idéal communiste. «Les unes après les autres, les grandes interprétations de l’aventure humaine ont été réduites au silence», poursuit Michel Lacroix. Un autre phénomène, conjugué à l’individualisme, explique la perte de vitesse des grandes religions : la globalisation, ou mondialisation.
Grâce aux technologies de l’information, l’Occidental a aujourd’hui accès aux cultures du monde entier. Il peut comparer, évaluer, exercer son esprit critique. De fait, la religion est de moins en moins en mesure d’imposer une vision unique, présentée comme la Vérité. «Si l’on accepte la métaphore économique, nous sommes passés d’une situation de monopole à un marché ouvert sur le plan spirituel», explique Frédéric Lenoir. Conséquence directe, le discours religieux est constamment relativisé.
La spiritualite en kit
Individualisme et relativisme, voilà les deux causes profondes de la perte d’influence des grandes religions occidentales. Résultat, la quête existentielle s’effectue désormais sans repères. On cherche Dieu ou le sacré à l’aveugle, sans boussole ni carte! Au risque souvent de tourner en rond ou de se perdre. «Le mal moderne, analyse Frédéric Lenoir, c’est la dépression. Du temps de Freud, c’était la névrose car c’était l’envie de transgression des interdits qui créait le conflit. Aujourd’hui, il y a tellement de choix possibles que les individus s’effondrent devant l’impossibilité de faire le bon choix.»
L’Occidental moderne est ainsi en état d’insécurité spirituelle. Il ne sait plus à quel saint se vouer. Pour tenter de satisfaire son besoin de croyance et sa quête de sens, il bricole. Il prend un peu à droite, un peu à gauche, dans ce qui l’attire, le soulage et l’enrichit. Un zeste de méditation, une pincée de feng-shui, un soupçon de prière, une pointe d’engagement dans une communauté, un brin de yoga, c’est la spiritualité en kit ! Cette nouvelle spiritualité, ou «religiosité alternative», comme l’appelle Frédéric Lenoir, se manifeste ainsi par une multitude de croyances et de pratiques, empruntées à une myriade de mouvements et de discours dans une démarche individualiste et versatile.
L’effet pervers de cette situation, c’est le développement des sectes et de l’intégrisme. Pour faire face à l’anxiété et à la perte de repères, il peut être tentant et rassurant d’adhérer à des discours figés, proposant la Vérité définitive et absolue. On assiste ainsi à une multiplication de petits groupes sectaires et à une revivification des fondamentalismes et de l’intégrisme. Un phénomène encore minoritaire en Occident mais dont tout porte à croire qu’il va se développer.
En définitive, dans un monde globalisé et mouvant, individualiste et incertain, c’est donc une véritable métamorphose du religieux qui est en train de se produire, bien loin des modèles qui prévalaient il y a encore quelques décennies. La religion, sous sa forme institutionnelle, laisse progressivement la place à une quête spirituelle multiforme, centrée à la fois sur l’individu et sur le besoin de transcender sa vie. Car au final, ce à quoi chacun d’entre nous aspire avant tout, c’est la sérénité du sentiment d’accomplir aussi bien que possible sa vie.
(1) Michel Lacroix, Je crois donc je suis, Psychologie Magazine.
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