Homélie prononcée par Mgr Hesayne, évêque émérite de Viedma, province de Santa Cruz, Argentine. On ne peut être chrétien et néo-libéral… Parce que le chrétien est disciple de Jésus dont le commandement – axe de tout son message – est l’amour solidaire exprimé dans sa phrase lapidaire : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Actes 20,35). Parce qu’être chrétien se définit par le partage équitable. Depuis que Dieu se fit homme en la personne de Jésus, la conduite de toute personne humaine a comme modèle une existence humaine pleine, réalisatrice d’une convivialité harmonieuse et pacifique. Pour arriver à cette fin, des écrivains sacrés enseignèrent la belle utopie qu’un chrétien est appelé à acquérir les « habitudes divines » en se basant sur les paroles de Jésus que nous retrouvons en Matthieu 5, 48 : « Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait. » Ou sur ces autres paroles dans l’évangile de Jean (15, 12) : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Les caractéristiques de l’amour que Jésus demande au disciple, l’apôtre Jean les développe concrètement dans ses lettres pastorales : « L’enseignement que vous avez appris dès le commencement est celui-ci : que nous nous aimions les uns les autres. Ne faisons pas comme Caïn qui était pernicieux et tua son frère. Pourquoi le tua-t-il? Parce que ses œuvres étaient mauvaises et que celles de son frère au contraire étaient justes… » « En ceci nous avons connu l’amour : en ce qu’il a donné sa vie pour nous. Pour cela nous devons donner notre vie pour nos frères. Si quelqu’un vit dans l’abondance et voit son frère dans la nécessité, et qu’il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurera-t-il en lui? Mes petits enfants n’aimons pas seulement en paroles mais en œuvres et en vérité » (1 Jean 3,16-18). On ne peut être chrétien et néo-libéral… Parce que le modèle de toutes les activités humaines du chrétien est Jésus-Christ et que Jésus se présente dans son évangile comme l’homme altruiste qui vit pour les autres. La personnalité chrétienne arrivée à maturité consiste en un « don de soi » et l’Esprit qui l’anime est le même Esprit qui dirigea Jésus lors de son passage sur cette terre. C’est le même Esprit du Ressuscité qui pousse chaque chrétien à chercher des alternatives socio-politiques pour que, où qu’il vive, surgissent les signes d’une société fraternelle, juste et solidaire. Dans le cas contraire, il déçoit Jésus-Christ, Seigneur de l’histoire qui compte sur le peu que peut offrir chacun de ses disciples pour construire le « tout » de la nouvelle société que Paul VI appela la « civilisation de l’amour ». Il faut penser globalement et travailler localement. Par contre, le système néolibéral, système socio-économique-politique et même culturel, dans sa dynamique interne, cherche en premier lieu le bien-être individuel, sans relation avec les autres, sans relation avec le prochain. Pour cette raison, sa politique économique a comme objectif principal et souvent exclusif, l’accumulation de biens. Il est animé en outre par -
un esprit de lucre, c’est-à-dire le désir d’obtenir des gains croissant sans limite; -
un esprit de concurrence exacerbé, porté à son paroxysme par un individualisme fort qui provoque la rivalité et la lutte entre les individus pour acquérir les plus grands gains possibles et qui recherche toujours le monopole qui représente le maximum de liberté pour soi et le maximum de limitations pour autrui; -
un esprit de rationalisation, c’est-à-dire que toutes les choses et toutes les personnes ne sont valorisées qu’en fonction des rendements et des coûts financiers. On ne peut être chrétien et néo-libéral… Parce que l’esprit du néolibéralisme est diamétralement opposé à l’Esprit Saint, l’Esprit de Jésus Christ, l’Esprit qui donne la vie et qui configure « l’être chrétien ». Il est opposé au plan de Dieu qui est de libérer tous les hommes et l'homme dans son intégralité. Il ne nie pas Dieu, il l’invoque même, mais ce n’est pas le Dieu de Jésus Christ. De là, on ne peut proclamer Jésus et appeler à la conversion à l’évangile de façon réelle et concrète, sans dénoncer la perversité du système néolibéral. De ce fait, quand on implante le système néolibéral dans un pays -
on engendre la mort sociale, en créant la classe des exclus par le chômage qu’il sème; -
quelques fortunés par le pouvoir et l’argent marginalisent froidement une grande majorité; -
on déshumanise la technique et on vide de contenu humain les progrès économiques qui, dans un projet chrétien, doivent être au service de tous par une distribution équitable; -
on altère et corrompt la liberté et la démocratie parce qu’elles ne sont pas accompagnées des valeurs de justice, de vérité et d’amour solidaire; -
on impose d’une manière inflexible et dogmatique la loi du marché, à tel point que, de fait, on nie toute alternative de convivialité communautaire à cause de l’absolutisme des intérêts privés d’une minorité toute-puissante et souvent « secrète »; -
en définitive, par un effet domino, on viole tous les droits humains qui permettent de vivre dignement comme personne humaine. Enfin on ne peut être chrétien et néo-libéral… Parce que la foi chrétienne promeut la culture de la vie. L’idéologie néolibérale, du moins dans sa réalisation historique, est l’antichambre de la mort pour la majorité exclue du travail, du logement décent, des soins de santé, de l’éducation, de l’alimentation de base et des loisirs nécessaires. En vérité, on a nié l’identité chrétienne à des groupes catholiques pro marxistes. De même, on doit nier l’identité chrétienne aux catholiques pro néolibéraux. Les premiers ont levé la bannière de la justice mais sans liberté et par la lutte des classes. Les seconds, au nom de la liberté, par une conception économiste de l’homme, considèrent les gains et les lois du marché comme des paramètres absolus, au détriment de la dignité et du respect des personnes et des peuples, comme le dénonçait le pape Jean-Paul II dans son « Exhortacion post sinodal Iglesia en America » (no 56). Dans l’Argentine actuelle, on dénonçait la marginalisation et l’appauvrissement de la population. Mais, on ne montrait pas suffisamment de manière concrète, claire, en se basant sur la foi en l’Évangile de la Vie, que la racine de l’injustice sociale dont nous souffrons, avec ses conséquences d’insécurité et de violence, se trouve dans la politique économique néolibérale que nos dirigeants ont adoptée depuis plusieurs décennies déjà. Cela s’aggrave par le double discours de certains gouvernants qui s’acquittent des pratiques religieuses et qui, par contre, appliquent strictement le système néolibéral. Face au libéralisme, « la meilleure réponse, affirme Jean-Paul II, c’est l’Évangile ». Et, dans cette perspective, il insiste afin que nous, les pasteurs, nous consacrions « un plus grand effort à la formation éthique de la classe politique » (I. A. no. 56). (Traduction André Godin) |
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