05/01/2008
Le Rêve de Cassandre de Woody Allen.
Dans Match Point, sans doute le plus élaboré et le plus séduisant des films de Woody Allen, on assistait à l’exécution d’un crime parfait ; ou plutôt au hasard, ou à la chance, qui, par un indice tombé à un centimètre près, donnait à un assassinat une totale impunité. Cela se passait dans le milieu chic de la bourgeoisie londonienne, sur fond de lutte de classes feutrée et contournée.
Allen nous propose maintenant le pendant et même l’inverse, dans son nouveau film, Le Rêve de Cassandre, titre poétique et prémonitoire, d’autant plus saugrenu qu’il est le nom d’un bateau. C’est sur ce petit yacht, acheté à coup d’emprunts, que deux frères, complices comme des copains, oublient les difficultés de leur existence.
Ian a accepté de travailler dans le restaurant de son père mais n’a qu’une idée : s’occuper d’autre chose, par exemple investir dans l’immobilier en Californie, tandis que Terry est mécanicien. Tous deux ont assez jolie mine mais, dans la société britannique qui se stratifie par le langage, leur accent les enracine bien dans la classe ouvrière londonienne.
Pourtant, les choses ne vont d’abord pas si mal. Grâce aux belles voitures réparées par Terry et empruntées pour un soir ou deux, Ian arrive à obtenir les faveurs d’une actrice dont le physique et surtout les ambitions sont sans doute bien au-dessus de son talent artistique. Terry, quant à lui, joue au poker et aux courses de lévriers, sport britannique, avec une chance incroyable qui, évidemment, finit par tourner au moment où il parie des sommes énormes. Lorsque le whisky et la bière ne font plus leur effet, il se rend compte qu’il a accumulé des dettes dans lesquelles il a compromis Ian et que leur famille ne pourra jamais assumer. Les rêves de réussite sont devenus des cauchemars.
Il faut un miracle, qui se présente sous la forme d’un oncle d’Amérique dont leur mère ne cesse de parler pour mieux humilier leur père qui n’a pas, lui, conquis cette fortune mirifique. Peut-être l’oncle Howard pourra-t-il aider ses neveux ? Il accepte volontiers et fort gentiment de le faire, à la seule et modeste condition de le débarrasser d’un associé gênant, prêt à dévoiler toutes ses turpitudes. On ne dira pas ici ce qui se passe, sauf qu’on assistera à un meurtre, à un suicide et à un accident, mais peut-être pas dans l’ordre qu’on attend.
Ce qui est intéressant, au-delà du cynisme d’autres films de Woody Allen, c’est le retour de la mauvaise conscience, dont la référence est ici Dostoïevski. Le crime doit être parfait, et donc sans châtiment. Mais Dieu ? Dieu n’existe pas, décrète l’un des frères. Mais la justice ? « Ne me chapitre pas ! » est la réponse de qui ne peut se justifier. N’y a-t-il pas des moments dans la vie où le crime est la seule issue ? Il est « inéluctable », selon le mot qui revient sans cesse dans le film et évoque évidemment le fatum, le destin, de la tragédie grecque que contient le titre et dont le chœur est constitué par l’entourage des deux pauvres types.
L’œuvre exclut pratiquement les femmes, même s’il faut leur plaire ou les faire vivre, et se resserre sur la terrible fraternité des deux jeunes hommes, enchaînés dans leurs faiblesses et leurs malchances. Y a-t-il vraiment des crimes sans châtiment ?
Paranoid Park de Gus Van Sant
Peut-être, répond le dernier film de Gus Van Sant. Le protagoniste en est un adolescent, Alex, qui évolue dans l’univers masculin du skate board, sport pratiqué avec violence et audace dans ce lieu assez mal famé de Portland, Oregon, appelé Paranoid Park.
Taciturne et introverti, Alex, dont les parents sont divorcés et ne s’occupent pas de lui, est invinciblement attiré par cet endroit préservé des adultes et transfiguré par l’apesanteur. Van Sant, en installant parfois sa caméra sur une des planches, en suggère la magie et le vertige qui est au cœur du danger recherché. Mais là, Alex va avoir un geste qui, sans en avoir l’intention, n’en cause pas moins la mort horrible d’un homme.
Le film raconte, dans le style onirique et surprenant de Gus Van Sant, qui était en particulier celui de l’errance dans Gerry, la prise de conscience par Alex de son acte, un moment occulté. Quelques secondes peuvent décider de toute une vie à peine entamée. Tandis que la caméra ne cesse de scruter le visage imberbe et encore enfantin du garçon, souvent et allégoriquement caché par sa capuche, l’œuvre décrit une maturation lente. Nous assistons à l’entrée d’Alex dans l’âge adulte, symbolisée plus que montrée dans le premier acte sexuel avec sa petite amie, qu’il laissera d’ailleurs tomber presque aussitôt. C’est pourtant une autre fille qui, par une intelligence instinctive d’amitié, lui suggère de se libérer d’un poids qu’elle devine, en écrivant et en décrivant l’insupportable secret qui pèse sur sa jeune vie.
Alex devra-t-il se livrer à la police qui recherche le coupable dans le milieu des adeptes du skate board dont l’audace et la technique sont une métaphore du sujet du film, avec le glissement aérien et le choc du retour au réel ? Gus Van Sant a même affirmé qu’il avait voulu faire allusion à l’engagement de son pays en Irak. Le crime commis sans le vouloir, la mort infligée sans l’intention de la donner, dispensent-ils de la culpabilité ? L’ignorance de la faute épargne-t-elle le châtiment ? N’est-ce pas plutôt sa connaissance qui libère ?
Guy Bedouelle.
17:53 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
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