13/01/2009
TOUT SEMBLAIT LES OPPOSER.
Tout oppose, à première vue, Julien Green (1900-1998) et Jean Sulivan (1913-1980). Le premier, élu à l'Académie française, salué par tant de critiques littéraires, ami de François Mauriac - quoique les rapports entre les deux hommes aient été souvent empreints de suspicion mutuelle - et ami d'André Gide, est un romancier reconnu et estimé. Le deuxième, pour sa part, est un écrivain mal connu - voire méconnu - par l'establishment littéraire en France. Mais ces deux auteurs ont en commun, d'abord, de ne s'inscrire dans aucune lignée traditionnelle : en ceci, au moins, il ressemble à Green.
Le critique Henri Guillemin explique dans la Tribune de Genève (le 6 décembre 1967) que Sulivan a choisi en quelque sorte de se mettre à l'écart de tout classement habituel : « Il [Sulivan] se situe volontairement en marge. On n'aime pas ça, dans le "milieu" - je veux dire le "milieu littéraire", le milieu de ce milieu étant (centre, nombril, Olympe) l'Académie française, récompense de ceux qui ont la manière. »
Ceci explique en partie peut-être pourquoi Sulivan fut ravalé à la position d'écrivain catholique mineur, étiquette qui décrit fort mal son œuvre littéraire. Ordonné prêtre en 1938, il commence à publier ses livres vers la fin des années 1950, à une époque où le roman catholique en France ne jouit plus du prestige d'autrefois (Bernanos est mort en 1948 et Mauriac se consacre davantage à ses activités journalistiques qu'à l'écriture romanesque). En outre, pour Sulivan, la réalité spirituelle des années cinquante et soixante demande une approche différente de la part d'un écrivain comme lui. Quand son roman Mais il y a la mer gagne le Grand Prix catholique de littérature en 1964, grâce notamment aux efforts de Daniel-Rops, membre de l'Académie française, Jacques Madaule se croit en droit de décrire Sulivan dans Témoignage chrétien (du 30 avril 1964) comme « un auteur capable de continuer Bernanos ». Mais Sulivan, en ceci pareil à Julien Green, n'aimait pas les étiquettes et savait qu'il était impossible au Roman Catholique de survivre alors que son temps était révolu. Au dire de Joseph Majault : « Les grands écrivains catholiques ont disparu et la succession n'est pas ouverte. Non pas faute peut-être de talents mais parce que le temps en est passé. » En soulignant les différences entre Green et Mauriac, José Cabanis souligne le refus chez Green de se considérer comme un romancier catholique : « Catholique, il écrivait des romans, ce qui n'est pas la même chose. » Et il ajoute : « Aussi ne lui fut-il jamais reproché de se servir de la religion pour avancer ses affaires. » Cette dernière remarque est faite pour le distinguer de Mauriac. Sulivan se montrait souvent un peu méfiant à l'égard de la grande figure d'écrivain incarnée par Mauriac. D'où sa remarque :
Parce qu'il (Mauriac) reflétait parfaitement un certain monde catholique d'autrefois, il est compréhensible qu'il ait joué le jeu de la représentation. Il a brigué et obtenu un siège élevé, assez en vue pour répandre, de ces hauteurs, la Bonne Nouvelle, en faisant accepter et triompher son clan, le clan catholique. C'est un temps ancien, toujours présent.
On notera le ton un peu réprobateur de ces lignes. Il faut dire qu'il est parfois trop sévère à l'égard de Mauriac, un écrivain qu'il trouvait enraciné dans une époque où le catholisme en France avait partie liée avec le pouvoir. Il lui préférait de loin Bernanos, surtout à cause du côté prophétique de ce dernier. Enfin, il partageait avec Green le même tempérament et alla jusqu'à lui dédier son premier essai, Provocation ou la faiblesse de Dieu (Plon, 1959). Le roman est une quête spirituelle pour Sulivan et Green et cette quête leur importe davantage que toute recherche esthétique. Sulivan se rend compte, pourtant, que le témoin spirituel et le prophète ont souvent le malheur d'inspirer la méfiance chez leurs contemporains :
Le prophète entend avec stupeur monter du fond de lui-même des cris qui sont ceux de l'avenir. De même le chrétien écrivain qui parle de sa propre voix revient aux origines et scandalise avant d'être reconnu comme un témoin.
On tend le plus souvent à considérer Green comme un romancier classique à cause de la clarté de son style et parce qu'il a toujours été un conteur d'histoires et non pas un expérimentateur de formes inédites, à la manière des praticiens du Nouveau Roman. Ses personnages forment toujours le centre de ses récits et ce sont eux qui retiennent l'attention des lecteurs. Chez Sulivan, il est souvent difficile de savoir à qui l'on a affaire, tant il y a confusion entre narrateur, personnages, auteur.Tout est brouillé chez lui, comme dans le Nouveau Roman, un genre qui le fascina pendant quelque temps. Ce qui le déçut finalement chez un romancier comme Claude Simon c'était son engouement pour la forme :
Claude Simon masque les abîmes […]. Il est le frère des écrivains, peintres, sculpteurs qui construisent leur œuvre contre la mort. « L'art est tout ce qui reste » : ils le disent sans contentement. L'art voilà leur fin dernière, leur salut.
Sulivan s'éloigne de cette conception de « l'art pour l'art » au fur et à mesure qu'un mouvement d'âme de plus en plus intense s'empare de ses personnages. La forme serait donc une tentative de traduire le contenu, qui est d'ordre mystique et donc difficile à sonder. On lit, encore une fois, dans sa Petite littérature individuelle :
Entre toi et moi il y a un espace nu, un abandon, la blessure irréparable : c'est dans cet espace que j'écris. Je te joue, tu me joues. Qui se joue de nous ?
20:34 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans CHRONIQUES. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
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