14/03/2009
Lazare un homme profondément religieux ?
Spontanément nous faisons de Lazare un homme profondément religieux, qui récolte après sa mort les fruits de sa vie vertueuse. L’homme riche par contre, nous le classons parmi les païens jouisseurs, qui se moquent autant de Dieu que des hommes. Or rien dans le récit ne justifie une telle interprétation : à aucun moment il n’est question des dispositions religieuses de nos deux personnages – du moins durant leur vie terrestre. Le contraste, l’opposition portent exclusivement sur leur train de vie respectif : l’opulence pour le riche anonyme ; la misère pour le pauvre nommé Lazare. Si ce dernier porte un nom, c’est donc qu’il est en relation ; il est inséré dans le réseau social - du moins il tente de s’y inscrire, sans grand succès hélas : ce sont plutôt les chiens qui lui tiennent compagnie. Le riche par contre est enfermé dans la bulle qu’il s’est construite, à l’abri des soucis et surtout des malheurs de ce monde. Il a creusé « un grand abîme » entre sa vie de plaisirs et le monde extérieur dont il n’a cure : il se suffit bien à lui-même dans son palais, et n’a besoin de personne.
« Or le pauvre mourut… le riche mourut aussi » : la sentence tombe, inexorable. La mort n’a pas eu de mal à trouver le pauvre, qui l’invoquait comme une délivrance. L’ombre sinistre armée de sa faux n’a sans doute pas reçu le même accueil dans le palais du riche, mais les gardes n’ont cependant pas pu lui en empêcher l’accès. Le même sort nous est réservé à tous, indépendamment de la vie que nous avons menée : le tortionnaire comme le saint ont à affronter au moment fixé le grand passage que tous nous franchirons seuls.
A peine a-t-il fermé les yeux sur ce monde peu hospitalier, que le pauvre Lazare, qui vu son état n’avait pas dû fréquenter bien souvent la synagogue, se voit emporté par les Anges « auprès d’Abraham ». Alors que le riche, dont tout porte à croire qu’il était un notable ayant une place réservée dans l’assemblée de prière, se retrouve en proie à la torture dans un lieu « enterré ».
Le narrateur - c’est-à-dire Jésus - va nous donner lui-même l’interprétation de ces traitements contrastés : « Lazare a reçu le malheur pendant sa vie ; il trouve ici la consolation. Toi tu as reçu le bonheur, c’est ton tour maintenant de souffrir ». Il semble donc que la souffrance soit inévitable pour atteindre le repos dont jouit Lazare. Non pas comme un prix que nous aurions à « payer » pour avoir droit à notre part de bonheur ; mais l’épreuve apparait comme le creuset dans lequel notre désir a besoin d’être purifié pour pouvoir se détacher des choses de ce monde, et se tourner vers les réalités d’en haut dont Dieu veut nous combler.
Aussi égoïste qu’il puisse apparaître dans son rapport au pauvre Lazare, le riche se révèle sous un tout autre jour dans la seconde partie du récit. Il garde le souci de ses frères et oubliant sa propre souffrance, il supplie Abraham de les avertir « pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture ». Le dialogue qui s’instaure avec le patriarche va nous conduire à la pointe du récit. Le riche sait que ses frères ne se soucient guère de la parole de Moïse ou de celle des prophètes : il a partagé leur train de vie et leur indifférence religieuse ; l’appel à la conversion qu’ils entendaient lors de la lecture des Écritures à la Synagogue les laissaient parfaitement indifférents, tant leur bien-être semblait les mettre à l’abri de toute menace. Pour les arracher à leur aveuglement, il faudrait qu’ils prennent conscience du caractère éphémère de la vie ; qu’ils réalisent que la mort est inévitable et s’approche inexorablement jour après jour : « si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront ». Peine perdue nous répond Jésus par la voix d’Abraham : l’endurcissement de leur cœur est tel, qu’ils refuseront de reconnaitre l’intervention divine.
Nous avons bien sûr compris que Notre-Seigneur fait allusion à l’événement pascal, qu’il interprète comme l’ultime appel à la conversion, adressé par Dieu à l’humanité vouée à la mort. Mais en quoi la résurrection pourrait-elle être un message d’espérance pour celui qui dénie la mort, refuse de l’envisager - sinon pour les autres - et s’enferme dans l’illusion qu’il échappera au sort commun ? Hélas cette attitude est loin d’être l’exception. La désinvolture avec laquelle notre monde dispose de la vie - en particulier à son commencement et à son terme - n’est-elle pas une manière de nier notre finitude, de prétendre à une immortalité et à une toute-puissance divines ? Hélas ce défi lancé vers le ciel n’empêche pas la mort de faire son œuvre et en temps voulu, de ravir la vie à ceux qui croyaient en disposer à leur gré.
« Seigneur accorde-nous en ce temps de carême, de prendre la mesure de nos jours et d’oser nous situer dans la perspective de cette échéance inévitable, qui mettra définitivement fin à nos ambitions terrestres. Sur cet horizon, donne-nous de prendre conscience combien nous sommes prisonniers des séductions de ce monde qui passe. Apprends-nous à accueillir et à interpréter les épreuves de nos vies comme des occasions de nous détacher de ce qui nous empêche de nous tourner vers toi. Enseigne-nous à vivre “comme un arbre planté au bord des eaux de la grâce, qui étend avec confiance ses racines vers le courant” (1ère lect.). Nous pourrons alors “donner en son temps le fruit” que tu attends de nous, et le partager dans la joie avec nos frères. »
Père Joseph-Marie.
11:25 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans BRIBES THÉOLOGIQUES. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
La paternité divine.
La paternité divine s’éprouve pour chacun de nous dans une expérience existentielle ; l’expérience d’être arraché à un danger mortel et rendu à la vie par l’intervention victorieuse d’un amour qui nous libère. Autrement dit, pour pouvoir entrer dans la joie du salut, il faut d’abord que nous prenions conscience d’être en péril ; puis que nous renoncions à vouloir nous dégager tout seul de ce qui nous menace ; enfin que nous consentions à nous laisser approcher par ce Dieu que nous connaissons si mal. Pour certains d’entre nous, tout comme pour le fils prodigue, il a même fallu que nous nous éloignions d’abord de lui, que nous fassions l’expérience de la solitude, du manque, avant d’entreprendre le long chemin du retour, au terme duquel seulement nous avons découvert le vrai visage de Celui que Jésus nous apprend à nommer « Père ».
La parabole nous révèle avant tout la paternité de Dieu, sa miséricorde inconditionnelle, sa joie d’offrir son pardon et son désir de rassembler dans une même fête tous ses enfants dispersés. Mais le récit souligne également comment la démarche de conversion du cadet s’inscrit dans son histoire personnelle : ce n’est qu’au terme d’un long combat – contre les fausses images de la paternité, contre sa conception erronée de la liberté, contre la violence de ses passions – que le fils entrevoit la vanité de sa prétention à l’autonomie et envisage un retour vers Celui dont il voulait s’affranchir en prenant le large. A vrai dire, c’est dans l’étreinte que son père lui réserve à son retour, blotti tout contre ses entrailles, qu’il découvrira sa paternité véritable et qu’il entreverra quelle souffrance a pu représenter pour lui son départ.
En méditant cette parabole, Dom Louf concluait que « seul le pécheur est habilité à parler de Dieu » ; à condition bien sûr, d’avoir vécu l’expérience bouleversante de la miséricorde, qui lui donne de « connaître » le Très-Haut dans son attribut essentiel : « Y a-t-il un Dieu comme toi ? Tu enlèves le péché, tu pardonnes sa révolte au reste de ton peuple, tu ne t’obstines pas dans ta colère, mais tu prends plaisir à faire grâce. De nouveau tu nous montres ta tendresse, tu triomphes de nos péchés, tu jettes toutes nos fautes au fond de la mer ! » (1ère lect.).
Tous les hauts-faits de Dieu dans l’histoire convergent dans l’événement de la Pâque où le Père prend autorité sur tout mal en arrachant à la mort son Fils et tous ceux qui lui sont unis par la foi. C’est cet événement que nous nous préparons à revivre. Au début de ce chemin de carême, comme le fils prodigue, nous nous sommes mis en route avec une contrition bien mitigée. Puissions-nous, en nous approchant de la maison paternelle, découvrir le Père, qui, « saisi de pitié », court à nos devants, pour « se jeter à notre cou et nous couvrir de baisers ». Que cette image bouleversante d’un Dieu qui laisse éclater sa joie et sa tendresse pour les fils égarés que nous sommes, bannisse toute peur qui pourrait encore nous paralyser, et nous fasse hâter le pas sur le chemin du retour.
« Seigneur, Père très saint, dans cette parabole inépuisable, tu nous révèles que l’essence de tout péché, c’est le refus de vivre dans la dépendance de ton amour. Tout ce qui est à toi, appartient à chacun de tes fils ; mais ta joie est de nous donner instant après instant tout ce dont nous avons besoin. Le péché du cadet consiste à vouloir s’approprier “ce qui lui revient” pour s’affranchir de la dépendance du don de son père, et vivre en parfaite autonomie. Poussée jusqu’au bout, cette logique conduit à vouloir être la source de sa propre existence, c'est-à-dire : être sa propre origine, son propre père. Or c’est bien ce que dès le commencement, nous suggérait le Tentateur : “Vous serez comme des dieux” (Gn 3, 5). Ouvre nos yeux sur nos compromissions avec ce discours mensonger, et donne-nous de revenir à toi, pour recevoir de toi “la vie, le mouvement et l’être” (Ac 17, 28), et surtout ton Esprit saint, en qui nous pouvons te reconnaître comme notre Père, et t’aimer dans l’amour même de ton Fils, Jésus Christ Notre-Seigneur. »
Père Joseph-Marie.
11:22 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans BRIBES THÉOLOGIQUES. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
L’Esprit Saint nous fait passer du chaos au cosmos, c’est-à-dire à la beauté.
Première prédication de Carême du P. Cantalamessa
ROME, Vendredi 13 mars 2009 (ZENIT.org) - L'Esprit Saint a joué et continue de jouer un rôle important dans la création : il la perfectionne. L'homme étant un « microcosme », ce que l'on peut dire du cosmos, s'applique aussi à lui.
C'est ce qu'a expliqué le P. Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale, dans sa première prédication de Carême, prononcée en présence du pape et de membres de la curie romaine, dans la chapelle « Redemptoris Mater », au Vatican.
Le P. Cantalamessa a basé sa méditation sur un passage de la Lettre de saint Paul aux Romains : « J'estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu... Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement ».
« Cette vision de foi, prophétique, de l'Apôtre, nous offre l'occasion d'évoquer le problème, qui fait débat aujourd'hui, de l'existence ou non d'un sens et d'un projet divin interne à la création », a souligné le prédicateur capucin.
« Dans la vision de Paul, Dieu est au commencement et au terme de l'histoire du monde », a-t-il précisé.
« La thèse soutenue à cet égard par les croyants a fini par se cristalliser sur la formule du ‘dessein intelligent' (Intelligent design), c'est-à-dire du Créateur », a expliqué le P. Cantalamessa.
« Qu'apporte l'Esprit de spécifique et de ‘personnel' dans la création ? » s'est alors interrogé le prédicateur.
« L'Esprit Saint n'est pas à l'origine, mais en quelque sorte, au terme de la création, comme il n'est pas à l'origine mais au terme du processus trinitaire », a-t-il dit.
Citant saint Basile, il a expliqué que « le Père est la cause primordiale, celui d'où viennent toutes choses ; le Fils la cause efficiente, celui par lequel toutes choses sont faites ; l'Esprit-Saint est la cause perfectionnante ».
« L'action créatrice de l'Esprit est... à l'origine de la perfection de la création », a-t-il souligné. L'Esprit étant « celui qui fait passer [le monde] d'un être sans forme à un être formé et parfait. En d'autres termes, l'Esprit Saint est celui qui fait passer la création du chaos au cosmos, qui fait d'elle quelque chose de beau, d'ordonné, de propre ».
Et puisque « l'homme est un microcosme, c'est donc à lui en tant qu'individu que s'applique tout ce que nous avons dit de façon générale du cosmos », a ajouté le P. Cantalamessa.
« L'Esprit Saint est celui qui fait passer chacun de nous du chaos au cosmos : du désordre, de la confusion et de la dispersion, à l'ordre, à l'unité et à la beauté. Cette beauté qui consiste à être conformes à la volonté de Dieu et à l'image du Christ, à passer de l'homme ancien à l'homme nouveau », a-t-il dit.
Comme conséquence de ces constatations, le P. Cantalamessa a expliqué que « pour le croyant chrétien, l'écologisme ne se réduit pas à une nécessité pratique de survie ou un problème politique et économique, mais il a un fondement théologique. La création est l'œuvre de l'Esprit Saint ! »
Le prédicateur de la Maison pontificale a conclu en disant que Pâque est « le passage de la vieillesse à la jeunesse ». Il a cité saint Maxime de Turin, qui définit la Pâque comme un passage « des péchés à la sainteté, des vices à la vertu, de la vieillesse à la jeunesse : une jeunesse qui s'entend non pas en termes d'âge mais de simplicité. Nous étions en effet des vieillards décrépits en raison de la vieillesse de nos péchés, mais par la résurrection du Christ, nous avons été renouvelés dans l'innocence des enfants ».
« Le Carême est le temps idéal pour s'appliquer à ce rajeunissement », a-t-il ajouté.
« L'Esprit Saint est l'âme de ce renouvellement et de ce rajeunissement. Commençons nos journées en récitant le premier vers de l'hymne composé en son honneur : ‘Viens, esprit créateur' : Viens, esprit créateur, renouvelle dans ma vie le prodige de la première création, souffle sur le vide, les ténèbres et le chaos de mon cœur, et guide-moi vers la pleine réalisation du ‘dessein intelligent' de Dieu sur ma vie », a-t-il conclu.
[Le texte intégral de la prédication du P. Cantalamessa est disponible dans la section "documents"]
Gisèle Plantec.
11:19 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans LES BLOGS AMIS. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
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Somnolence, sieste, ronflements... Démêlez le vrai du faux sur l'art de dormir. Et retrouvez un sommeil réparateur. Dossier |
11:17 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans LES BLOGS AMIS. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
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11:09 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans LES BLOGS AMIS. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
11/03/2009
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11:21 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans LES BLOGS AMIS. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
09/03/2009
PRIONS LE NOTRE PÈRE.
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Théologie de la libération ?
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19:12 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans CHRONIQUE DE BRUNO LEROY. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
07/03/2009
LE TOUR DE FRANCE HUMANITAIRE NOUVEAU A DÉMARRÉ.
Pour la troisième année consécutive, les principales organisations de solidarité françaises, parmi lesquelles les petits frères des Pauvres, se rassemblent pour un événement unique et original : le Tour de France Humanitaire.
La première étape du Tour a eu lieu à Lyon dans le cadre du 2e Forum de l’Emploi et des Métiers dans l’Economie Sociale et Solidaire.
Conférence, témoignages, guides d’information, forum et entretiens individuels d’orientation… chaque étape est une occasion unique pour s’informer, rencontrer et échanger avec des acteurs solidaires.
Plus d’infos sur www.tdf-humanitaire.net.
17:11 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans LES BLOGS AMIS. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
La vie est une série de Pâques.
La vie est une série de Pâques, c'est-à-dire de naissances impliquant le consentement à une mort préalable ; depuis la sortie du sein maternel, jusqu’au dernier soupir, où nous devrons accepter de mourir à notre vie naturelle pour entrer dans la vie de Dieu lui-même. Entre ces extrêmes, deux autres étapes sont fondamentales : le passage de l’enfance à l’adolescence, et celui de l’état adulte à la maturité, c'est-à-dire à la découverte de notre identité véritable. Or devenir soi-même ne peut se faire qu’au prix d’une mort aux personnages que nous avons endossés pour paraître aux yeux des autres - et des nôtres. Ce passage est particulièrement délicat, car il se fait le plus souvent à l’occasion d’une épreuve, d’un échec, d’une « crise » qui remet en cause ce que nous avions soigneusement mis en place. La liturgie de ce jour présente le franchissement de cette étape déterminante par deux personnages clés de l’histoire sainte : Abraham qui ouvre la lignée des patriarches, et Jésus qui scelle l’Alliance définitive. Le récit biblique annonce clairement la couleur : « Dieu mit Abraham à l’épreuve ». Le Seigneur lui demande de lui « offrir en sacrifice son fils, celui qu’il aime » - on devine tout l’attachement que pouvait ressentir ce vieux père pour cet unique descendant sur qui reposait tous ses espoirs. Mais là où Adonaï lui demande de « sacrifier » ce fils, c'est-à-dire de le « rendre sacré » en le consacrant au Dieu de la vie afin qu’il vive, Abraham comprend que le Seigneur lui demande de l’offrir en holocauste, ce qui implique la mort de la victime. Cette interprétation erronée de l’appel de Dieu trahit une paternité abusive, qui croit pouvoir disposer de la vie et de la mort de son enfant. L’« épreuve » du patriarche consiste précisément à renoncer au droit auquel il prétend, conformément à la mentalité de l’époque. Il s’agit pour lui de découvrir que pour pouvoir transmettre la bénédiction divine - conformément à sa mission particulière - il lui faut immoler non pas l’enfant de la promesse, mais sa paternité possessive, symbolisée par le bélier.
L’épreuve est bien plus radicale encore pour Jésus : elle ne consiste pas à renoncer à disposer de la vie d’un autre, mais à la sienne. Pour transmettre la bénédiction divine à sa descendance de génération en génération, Abraham devait laisser vivre son fils ; « à la plénitude des temps », pour que cette bénédiction puisse enfin devenir agissante, Jésus devait descendre dans notre mort pour y déposer le germe de vie divine, comme un grain de blé doit être enfoui en terre pour pouvoir donner son fruit. Tous autant que nous sommes, nous subirons notre mort, cette dernière Pâque qui nous introduira dans la définitivité de la vie éternelle. Jésus l’a choisie délibérément ; car lui qui n’avait pas été effleuré par le péché, n’aurait pas dû goûter la mort. S’il est passé par ce chemin, c’est uniquement par solidarité avec nous, et afin de pouvoir triompher de la mort en y déversant la vie divine qu’il tient du Père. Sur la montagne, en présence de trois de ses proches auxquels il venait d’annoncer sa Passion prochaine, Jésus s’est offert intentionnellement au Père pour le salut du monde ; il a fait son choix : il ira jusqu’au bout. Par ce libre et plein consentement à sa mission, son humanité adhère parfaitement à son identité véritable de Fils unique, que « le Père a livré pour nous tous » (2nd lect.). La lumière resplendissante que contemplent les apôtres n’éclaire pas leur Maître de l’extérieur, mais de l’intérieur : elle jaillit du plus profond de sa divinité, d’où elle illumine son humanité. La voix dans la nuée confirme l’option que Jésus vient de faire : il est le Fils bien-aimé, celui qui accomplit la promesse annoncée par la Loi et confirmée par les prophètes. Il est la Parole vivante qui donne la vie ; c’est lui désormais qu’il nous faut écouter. Moïse et Elie peuvent disparaître : tout est dit en Jésus-Christ.
Un jour ou l’autre, nous serons tous invités à offrir librement notre « Isaac » ; à accepter de mourir à ce qu’il y a en nous d’inauthentique, à ce qui fait obstacle à la transmission de la vie. Cette « épreuve » est pour chacun de nous la condition d’accès à notre identité profonde. Certes nous désirons tous nous débarrasser des oripeaux du vieil homme et devenir ce que nous sommes aux yeux de Dieu ; mais sommes-nous prêts à payer le prix ? Nous aimerions bien revêtir notre vêtement de lumière par-dessus nos guenilles, mais le Seigneur a dénoncé clairement la vanité de cette démarche : « personne ne raccommode un vieux vêtement avec une pièce d’étoffe neuve ; à vin nouveau outres neuves » (Mc 2, 21-22). Ce qui signifie que pour entrer dans la vie nouvelle de l’Esprit, il nous faut d’abord accepter de mourir à la vie selon la chair - entendons : renoncer à être les seuls maîtres à bord de notre barque. On comprend que dans de telles conditions, nous hésitions à faire le grand saut : qui aurait le courage de quitter ses vieux repères, ses sécurités si chèrement acquises, sans avoir la moindre certitude sur ce qui l’attend ? Pourtant c’est bien le pas qui un jour ou l’autre nous sera demandé à tous. Comme Saint Pierre au matin de Pâque, nous nous entendrons dire par le Seigneur : « Amen, amen je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21, 18). Simon avait déjà répondu à l’appel du Seigneur et s’était mis généreusement à sa suite ; pourtant c’est ce second appel, dans le dépouillement le plus radical, qui est véritablement fondateur de sa mission. Il a fallu que Pierre apprenne à connaître Jésus en cheminant avec lui, puis qu’à travers sa trahison, il fasse l’épreuve de sa fragilité, avant de pouvoir saisir à la fois la gratuité de l’appel de son Maître, et la radicalité de la réponse qu’il convient de lui donner.
Tel est le chemin du disciple - de tout disciple. Ne croyons pas que Dieu prenne plaisir à nous faire souffrir : « Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens ! » (Ps 115), mais il n’y a pas d’autre chemin pour venir jusqu’à lui, que celui de la Pâque, sur lequel Jésus nous précède. Le Seigneur désire ardemment « briser les chaînes » qui nous empêchent de quitter ce vieux monde qui passe, pour accéder au monde nouveau ; mais il ne peut le faire sans notre consentement. Pour oser le grand passage, puisons notre courage dans la parole de l’Apôtre : « Si Dieu n’a pas refusé son propre Fils, alors comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout ? » (2nd lect.). Oui nous le croyons : par le Christ, avec lui et en lui, chacune de nos « morts » peut devenir une Pâque qui s’ouvre sur la vie, une vie toujours plus pleine, plus authentique qui nous rapproche de lui.
« “Jésus ressuscité, toi qui intercède pour nous à la droite de Dieu » (2nd lect.), augmente en nous la foi, l’espérance et la charité ; donne-nous l’audace de te suivre sur le chemin de nos Pâques quotidiennes. Illuminés par la présence intérieure de ton Esprit qui transfigurera nos pauvres vies, nous découvrirons alors qui nous sommes à tes yeux, et nous pourrons « marcher en ta présence sur la terre des vivants » (Ps 115).
Père Joseph-Marie.
17:03 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans BRIBES THÉOLOGIQUES. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |