Dieu est tout parce qu'il n'a rien.
Dieu n'est pas un possesseur,
Il n'est pas un dominateur.
Il n'entre pas en compétition avec nous
et l'on ne saurait imaginer de concurrence
entre sa toute-puissance et notre toute-faiblesse.
Au contraire l'être-amour de Dieu garantit la certitude
que ce n'est pas lui qui dispose de nous,
mais qu'il nous appartient de disposer de nous-mêmes,
parce que nous n'avons rien à craindre de lui.
Dieu Altruisme Subsistant
ne peut pas être un regard posé sur l'homme,
qui le traquerait et le transformerait en objet à manipuler :
Dieu, qui est tout entier la Liberté du Don,
ne peut être que le ferment de la liberté humaine.
Si Dieu a vraiment ce visage de pauvreté -
qui s'identifie avec la charité qu'il est -
et s'il s'agit selon ce qu'il est,
on conçoit que cette pauvreté s'exprime
dans ses rapports avec la création
et qu'il n'ait prise sur nous
- et sur toute réalité à travers nous -
que par cette saisie désappropriée
qui nous meut par la liberté (ou libération)
même qu'elle appelle ou suscite en nous .
On comprend qu'un tel Dieu
ne puisse empiéter sur 'notre domaine',
puisqu'il est incapable de rien posséder.
C'est pourquoi nous pouvons lui échapper
sans qu'il puisse nous contraindre
puisqu'il ne nous réintroduit dans l'intimité de son amour
que par une nouvelle éclosion de notre liberté.
C'est pourquoi il peut éprouver à notre égard,
sans aucune altération en lui même,
cette compassion maternelle
qui n'est que la surabondance de sa générosité,
en sombrant en nous pour nous, par ce don gratuit
qu'il est et qui s'offre à nous tels que nous sommes,
en se conformant à nous pour nous conformer à soi.
Dieu face à l'homme,
c'est un dialogue de Liberté à liberté.
Non pas en raison du bon vouloir de Dieu,
qui conserverait alors une toute-puissance
dont il accepterait de ne point user,
par respect pour l'homme !
Mais un dialogue de libertés
en raison de l'être même de ce Dieu Intérieur et Amour :
l'amour appelle la liberté,
il ne peut s'imposer sans se détruire de facto !
C'est pourquoi Zundel écrit :
''Dieu peut tout ce que peut l'amour,
et ne peut rien de ce que ne peut l'amour''.
En d'autres termes :
''Là où il y a un refus d'amour,
l'Amour qui est Dieu ne peut qu'échouer,
sans évidemment cesser, pour autant,
d'être l'Amour éternellement présent, éternellement offert''.
Ainsi, sous cet aspect,
''Dieu est fragile et désarmé devant le refus
que nous pouvons opposer à un dialogue
qui exclut radicalement toute contrainte.''
Illustrons ces propos par une analogie
que Zundel aime beaucoup.
Dieu, qui est la bonté suprême,
ne saurait être moins bon que le meilleur des hommes.
Il est donc Père plus que tous les pères,
comme il est plus Mère que toutes les mères.
Imaginons alors l'amour indéfectible d'une Mère
pour un fils débauché qui renierait toutes ses valeurs,
jusqu'à être condamné par la justice.
La mère pourrait elle souscrire à ce jugement
sans que son cour saigne?''
Comment voulez-vous qu'une mère condamne son fils ?
La mère ira en prison pour lui.
Elle mettra sa tête sur l'échafaud pour lui.
Elle s'offrira plutôt que de livrer son fils.
Est-ce que Dieu aurait moins d'amour qu'une mère ?
C'est impossible ! C'est pourquoi Dieu se livre sur la Croix,
Dieu meurt pour ceux-là même qui le crucifient,
pour ceux qui refusent obstinément de L'aimer.
C'est ce qu'il fera toujours.
Tel est l'Amour : il ne peut que donner,
toujours davantage puisqu'il s'identifie avec le Don,
puisque telle est la Vie et l'Etre même de la Trinité.
''Un amour refusé n'a pas d'autre ressource,
s'il veut maintenir sa fidélité,
que d'aimer toujours plus généreusement
- dut-il en mourir - l'aimé qui n'aime plus,
pour qu'il puisse découvrir, dans un don absolument gratuit,
de nouvelles raisons d'aimer.''
(...) pour Zundel, Dieu accomplit dans son être
les plus hautes valeurs humaines,
il est le référent, il est la Valeur qui fonde les nôtres.
Ceci n'est donc pas la projection sur Dieu
d'une imagerie humaine, mais, à l'inverse,
la reconnaissance de sa Présence dans notre réalité.
''Cette générosité dont l'amour humain
se montre parfois capable n'est elle pas un reflet de celle de Dieu ?''
Telle est donc la maternité de Dieu,
qui nous dévoile son respect infini
pour chacune de nos libertés, face au choix desquelles
il ne peut rien d'autres que surabonder d'amour.
Telle est l'humilité divine, qui se soumet
en qui se soumet en quelque sorte à ses créatures.
Thomas d'Aquin le pressentit déjà, :
''Il y a là autre chose qui enflamme l'âme à aimer Dieu :
c'est l'humilité divine.
Dieu tout-puissant, en effet, se soumet à chacun des anges
et à chacune des âmes saintes,
comme s'il était pour chacun (ou chacune)
un esclave qui s'achète et que chacun (ou chacune) fût son Dieu.
Cette humilité résulte de l'abondance de la bonté
et de la noblesse divine,
comme un arbre ploie sous l'abondance de ses fruits.''
N'est-ce pas exactement ce que Jésus signifie
au lavement des pieds, en dévoilant un Dieu serviteur,
à genoux devant l'homme comme devant un sanctuaire
dont il ne peut forcer la clôture.
C'est pourquoi la Croix renverse définitivement
la situation du péché originel :
Dieu ''nous épargne la tentation de nous faire dieux,
car c'est lui-même qui veut nous faire dieux .''
Oui, Dieu nous fait dieux,
mais ce n'est plus une promotion
dans une hiérarchie de puissance,
fondée finalement sur l'orgueil :
Dieu nous apprend que le chemin de notre divinisation
passe par le dépouillement, l'humilité, l'oblation,
parce que c'est au bout de cet itinéraire là
que lui même se trouve.
Par conséquent, Dieu n'est pas
''impuissant d'une impuissance mécanique''.
Dieu est impuissant comme l'amour est impuissant
devant une liberté qu'il ne peut contraindre
sans se détruire lui même.
''La plus grande puissance du monde
c'est justement cela : la sympathie, l'amitié, la bonté, l'amour.
Mais c'est une puissance que n'importe qui
peut réduire à l'impuissance. Il suffit de se fermer,
de se boucler en soi-même. Il suffit d'opposer le non au oui.''
En d'autres termes, Dieu ne perd rien de sa capacité
à transformer les racines de notre être, de tout être.
Mais puisqu'il est ''pur dedans'',
puisqu'il est ce Dieu Intérieur de saint Augustin,
que l'on atteint en soi qu'en se libérant de soi,
le changement de notre personne en moi-oblatif
implique un consentement où chacun peut,
à chaque instant, refuser sa propre création.
C'est là notre grandeur et notre misère d'hommes.''
Quelle que soit la grandeur avec laquelle
Dieu s'adresse à nous,
c'est toujours à l'intérieur que s'opère la rencontre,
là où le bruit peut occulter le silence divin,
là où ''notre imperfection peut tenir en échec sa perfection.''
Dieu toujours présent, toujours offert,
ne peut s'imposer : il ne peut être que
''l'action silencieuse de cet amour gratuit et désapproprié
qui nous aimante sans nous contraindre.''
Extraits du livre de François Rouiller,
''Le Scandale du mal et de la souffrance chez Maurice Zundel'',
Editions Saint Augustin, 2002