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07/11/2020

Pour avancer sur le chemin de notre Liberté.

 

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Nous passons toujours à côté de nous-mêmes, j'allais dire sans prendre la peine de nous regarder.
Vous allez certainement vous demander ce qu'il m'arrive. Si je ne suis pas tombé ce jour sur la tête au point de faire une crise d'égotisme névrotique.
Si je n'ai pas passé ma journée, entre deux jeunes en difficulté, à me contempler dans un miroir.
 
Pas du tout, je veux parler de progression spirituelle, notamment par l'intermédiaire du Journal intime.
Imaginez combien de gestes nous faisons dans une journée sans en prendre conscience.
 
Or, tous les soirs en rentrant du travail ou de ses occupations. Il est bien de prendre, ne serait-ce qu'un quart d'heure pour écrire ce que nous avons vécus.
Comment me suis-je comporté, Seigneur, avec ce sempiternel emmerdeur que je refusais d'écouter. Et pourtant, je faisais semblant.
 
Comment as-tu été présent ce jour Ô Christ, dans les moindres battements de mon cœur et dans les interstices de mes pensées.
D'ailleurs, étais-tu au centre de mon être aujourd'hui ?
 
Regarde comment, j'ai envoyé balader loin de moi celui qui voulait se confier.
Ah ! ce matin quand même mes prières ont touchées ton sourire d'Amour, non ?
Voilà, les événements que nous pouvons écrire au fil des jours, des années.
Puis, nous devons laisser reposer le cahier sur lequel nous écrivons pour le relire par la suite.
 
Avons-nous progressé, stagné ou régressé ?
Si tel est le constat, alors il est temps de se reprendre.
D'abord, demander pardon à Dieu pour toutes ces négligences volontaires ou involontaires.
 
Mais, demander Pardon en Vérité. Pour que celui-ci nous soit accordé afin de repartir sur de bonnes bases.
 
Et ne pas cesser de tenir chaque jour ce cahier, témoin de nos combats, nos lâchetés, nos petitesses et parfois, notre grandeur insoupçonnée.
Cela paraît simple, presque sans intérêt et pourtant, je puis vous assurer que sa puissance sur notre épanouissement spirituel est démontré.
Notre journal intime s'adresse en fait, dans nos questions intérieures, directement à Dieu.
 
Son Amour se penchera sur votre quotidien pour vous faire remarquer vos manquements.
C'est un retour vers Soi plus que nécessaire. J'allais dire vital pour avancer sur le chemin de la Liberté spirituelle.
 
Surtout, cachez ce cahier. Il est le livre de votre Vie. Nul n'a le droit de le toucher. Encore moins de l'ouvrir pour lire vos sentiments profonds.
Écrire une page sur son journal intime chaque soir, c'est louer Dieu par une prière personnelle.
 
Elle ne pourra que vous concentrer sur l'essentiel.
Et vous finirez par changer progressivement au fil du temps. Sans vous apercevoir que c'est votre Journal qui vous fait maintenir le cap.
 
Tous les grands spirituels rédigent un journal intime. Ce qui leur permet de progresser humainement et spirituellement dans leurs relations avec autrui et Dieu.
Essayez et vous verrez. Votre Vie s'en trouvera transformée et plus forte, dans le sens où ce que vous ferez dans l'ordinaire de vos journées sera extraordinaire.
 
Commencez par comment ai-je aimé, aujourd'hui ? Ma femme, mes amis, mes rencontres, mes collègues...Comment ai-je réagi devant certaines insultes ? Puis, notez sans vous juger.
 
Vous ferez un travail d'introspection, plus tard. Lorsqu'une semblable situation se présentera.
 
Mais, la question primordiale est celle de la qualité de notre Amour. En effet, sur terre nous sommes faits pour aimer et être aimés, rien d'autre.
Le reste est secondaire... !
 
Tout découle de notre capacité à Aimer.
 
Bruno LEROY.
 
 
 

03/04/2015

Paulo Freire et la Pédagogie de la Libération.

19:54 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans LES BLOGS AMIS., PÉDAGOGIE., PHILOSOPHIE, THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION. | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

01/01/2012

L’évangile du néo-libéralisme prêche la trinité du capital.

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L’évangile du néo-libéralisme prêche la trinité du capital (dieu le père), du marché (le messie) et de la libre initiative (l’esprit). Elle annonce la réalisation d’une logique bienfaitrice pour tous, délégitimant et déclassifiant les opposants comme autant de démons à exorciser. Si l’on observe le langage néo-libéral, on y perçoit des termes religieux camouflés, particulièrement l’exigence d’un sacrifice pour un paradis futur.

 

A partir de sa compréhension de Dieu, la théologie de la libération réfléchit théologiquement sur l’économie, où prospèrent les idoles qui envahissent la politique et la culture . Elle démonte les « théologies » à l’œuvre dans nos systèmes économiques, pour les justifier et les légitimer. Il existe une « religion économique » dans le capitalisme, d’essence sacrificielle, sans transcendance. Cette religion falsifie les rêves et les désirs de la société traditionnelle, en lui annonçant le salut immanent dans l’abondance de biens de consommation. Le Dieu des pauvres, le Dieu de la vie, se transforme en une catégorie critique des faux dieux du système.

La chute du socialisme a permis « la messianisation du marché », la naturalisation des structures historiques du présent et la reprise du discours sur « la fin de l’histoire », de caractère théologico-eschatologique. L’évangile du néo-libéralisme prêche la trinité du capital (dieu le père), du marché (le messie) et de la libre initiative (l’esprit). Elle annonce la réalisation d’une logique bienfaitrice pour tous, délégitimant et déclassifiant les opposants comme autant de démons à exorciser. Si l’on observe le langage néo-libéral, on y perçoit des termes religieux camouflés, particulièrement l’exigence d’un sacrifice pour un paradis futur. Les riches accumulent davantage de biens, satisfaisant les désirs éveillés par une technologie fantastique qui provoque de nouveaux désirs. Les pauvres accentuent leur sacrifice, dans l’espoir illusoire de la satisfaction de leurs nécessités et de leurs rêves. C’est une spirale sans fin. La théologie de la libération démasque cette perversion, qui bénit les riches et punit les pauvres. C’est un dieu aux antipodes du Dieu de la vie, du Dieu des pauvres et de la tradition biblique et christique.

La mondialisation économique néo-libérale rencontre des critiques très vives de la part de la théologie de la libération, à cause de ses conséquences sur les pauvres : augmentation de la pauvreté, chômage, migration interne et externe de populations. En réponse, elle propose une mondialisation de la solidarité.

L’expérience concrète du Forum social mondial, qui a commencé à Porto Alegre en 2001, est devenue une source de réflexions et de commentaires utopiques. Toutes les grandes thématiques centrales retiennent l’attention : le principe du futur, la pensée plurielle, la résistance et l’alternative au modèle actuel de développement, le nouvel internationalisme, l’accès à la richesse et au développement durable, une autre démocratie par l’affirmation d’une société civile dans l’espace public, la démilitarisation d’un monde sans guerre, des stratégies pour affronter l’Empire, la réaction à l’homogénéisation de l’imaginaire par les médias internationaux…

Bruno LEROY.

03/01/2009

Études sur les Théologies de la Libération.

Durant les années 1970 et 1980, l’étude du fait religieux en Amérique latine s’est particulièrement intéressée au phénomène de la théologie de la libération, entendue comme l’expression du changement social et religieux dans la région. Durant les années 1990, celle-ci a été complètement oubliée ou presque. On s’est davantage intéressé à l’actualité latino-américaine de la diversification religieuse, c’est-à-dire de l’érosion de l’hégémonie catholique à laquelle, malgré son hétérodoxie, la théologie de la liibération demeurait liée. Il faut en effet observer son déclin dans le contexte postérieur à celui de la Guerre Froide, qui l’avait vue naître. Néanmoins, les héritages actuels de la théologie de la libération sont tout autant indéniables. Pour cela, après avoir éclairé les facteurs de son déclin, ce texte propose de rendre compte de ce qu’il en reste, en explorant en particulier la piste de la théologie indigène au Mexique. Il le fait depuis une approche sociologique originale qui ne magnifie pas le passé de la théologie de la libération, mais n’en ignore pas non plus les enjeux, d’hier à aujourd’hui.

ÉTUDES DES THÉOLOGIES DE LA LIBÉRATION.pdf

18:59 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

28/10/2007

Le Christ Libérateur.

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Une théologie nourrie de lecture de la Bible qui met en évidence le Christ libérateur.

Dennis Girra éclaircit comment, au nom de l'évangile, la théorie de la libération s'élève contre la condition faite aux pauvres en Amérique latine.

Une conscience aiguë de la misère

La théologie de la libération, qui est bien plus un mouvement qu’une école de théologie, traite du lien étroit qui existe entre la foi chrétienne et le salut d’un côté, et la promotion des droits de l’homme, de la justice sociale de l’autre. Elle est née dans les années 1960 en Amérique latine et reflète une conscience aiguë de la misère des masses populaires opprimées économiquement, politiquement et socialement par une minorité liée aux puissance du Nord et la conviction que Dieu est du côté des pauvres et désire les libérer des injustices dont ils sont victimes. On comprend bien pourquoi les termes de « théologie de la libération » et « Option préférentielle pour les pauvres » sont presque inséparables.

Le Christ libérateur

C’est dans des petites « communautés chrétiennes de base » que les pauvres, nourris d’une lecture de la Bible qui met en évidence le Christ libérateur, s’éveillent à la responsabilité qui est la leur de participer aux luttes contre les injustices. L’analyse qui a été faite de ces injustices, et de la lutte qu’il fallait mener pour les éliminer, s’est inspirée longtemps de la grille de lecture marxiste, ce qui n’a pas manqué de créer quelques ambiguïtés aussi bien au niveau de la théorie que de la pratique. D’où plusieurs interventions de Rome pendant les années 1980 et une mise en question du théologien péruvien Gustavo Gutiérrez (considéré comme le père de la théologie de la libération latino-américaine) et encore plus récemment avec une critique de quelques ouvrages du jésuite Jon Sobrino (Salvador).

Quelle Christologie ?

Le fait que la théologie de la libération parte de l’expérience des pauvres et des opprimés, centre l’attention sur le côté prophétique de la vie de Jésus et sur sa lutte pour la justice et contre la misère. Il s’agit d’une christologie dite « d’en bas » – c’est-à-dire une christologie qui part de l’humanité du Christ plutôt que du Verbe de Dieu qui se fait homme. Cet accent est parfois source de quelques difficultés (ce point a été souligné dans la critique des livres de Sobrino, par exemple) même si cette forme de théologie a toujours existé dans l’Eglise et ne nie nullement la nature divine de Jésus-Christ.

Une influence qui s'étend

Plus récemment, précisément puisqu’elle naît de l’expérience des opprimés, la théologie de la libération a commencé à exercer une influence en dehors de l’Amérique latine. En effet, là où l’homme est exclu, manipulé… là où il a besoin d’être libéré, cette théologie joue un rôle de plus et plus important dans la pensée des communautés chrétiennes. Ainsi nous pouvons constater qu’elle existe en Inde où l’Eglise lutte contre de l’exclusion des « dalits ». Elle existe aussi en Afrique. Certaines formes de la théologie féministe s’en inspirent également.

Croire.com

12:30 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

19/09/2007

Les chrétiens socialement engagés.

La théologie de la libération:
Leonardo Boff et Frei Betto


Michael Löwy *

Les chrétiens socialement engagés sont une des composantes les plus actives et importantes du mouvement altermondialiste, notamment – mais pas seulement – en Amérique Latine et tout particulièrement au Brésil, le pays qui a reçu les premières réunions du Forum Social Mondial. Un des initiateurs du FSM (Forum social mondial), Chico Whitaker, membre de la Commission Justice et Paix de la CNBB (Conférence nationale des Evêques brésiliens) appartient à cette mouvance, de même que le prêtre belge François Houtart – ami et professeur de Camilo Torres et initiateur de la revue Alternatives Sud, fondateur du CETRI (Centre Tricontinental) – une des figures intellectuelles les plus influentes du Forum.

On peut dater la naissance de ce courant, que l’on pourrait désigner comme «christianisme de la
libération», du début des années 1960, quand la Jeunesse universitaire chrétienne (JUC) brésilienne – nourrie de culture catholique française progressiste (Emmanuel Mounier et la revue Esprit, le père Lebret et le mouvement «Economie et Humanisme», le Karl Marx du jésuite J. Y. Calvez) – formule pour la première fois, au nom du christianisme, une proposition radicale de transformation sociale. Ce mouvement va s’étendre ensuite dans les autres pays du continent et il va trouver, à partir des années 1970, une expression culturelle, politique et spirituelle dans la théologie de la libération.

Les deux principaux théologiens de la libération brésiliens, Leonardo Boff et Frei Betto, sont donc parmi les précurseurs et inspirateurs de l’altermondialisme ; ils participent d’ailleurs activement, par leurs écrits et leur parole, aux mobilisations du «mouvement des mouvements» et aux rencontres du Forum Social Mondial. Si leur influence est très significative au Brésil, où beaucoup de militants des mouvements sociaux - syndicats, MST (paysans sans-terre), mouvements de femmes - sont issus des communautés ecclésiales de base (CEB) qui se reconnaissent dans la théologie de la libération, leurs écrits sont aussi connus des chrétiens d’autres pays d’Amérique Latine et du monde.


S’il fallait résumer l’idée centrale de la théologie de la libération en une seule formule, ce serait «option préférentielle pour les pauvres».

Quelle est la nouveauté ? L’Eglise n’a-t-elle pas depuis toujours été charitablement attentive à la souffrance des pauvres ? La différence – capitale – c’est que pour le christianisme de la libération, les pauvres ne sont plus perçus comme des simples objets – d’aide, compassion, charité – mais comme les acteurs de leur propre histoire, les sujets de leur propre libération. Le rôle des chrétiens socialement engagés c’est de participer à cette «longue marche» des pauvres vers la «terre promise» – la liberté – en apportant leur contribution à leur auto-organisation et auto-émancipation sociale.

Le concept de «pauvre» a évidemment une portée religieuse profonde dans le christianisme. Mais il correspond aussi à une réalité sociale essentielle au Brésil et en Amérique Latine: l’existence d’une immense masse de dépossédé·e·s, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, qui ne sont pas tous des prolétaires ou des travailleurs. Certains syndicalistes chrétiens latino-américains parlent de «pauvretariat» (pobretariado) pour décrire cette classe de déshérité·e·s, victimes non seulement de l’exploitation mais surtout de l’exclusion sociale pure et simple.

Le processus de radicalisation de la culture catholique brésilienne et latino-américaine qui va aboutir à la formation de la théologie de la libération ne part pas du sommet de l’Eglise pour irriguer sa base, ni de la base populaire vers le sommet – deux versions qu’on trouve souvent chez les sociologues ou historiens du phénomène – mais de la périphérie vers le centre. Les catégories ou secteurs sociaux dans le champ religieux qui seront le moteur du renouveau sont tous d’une certaine façon marginaux ou périphériques par rapport à l’institution: les mouvements laïcs de l’Eglise et leurs aumôniers, les experts laïcs, les prêtres étrangers, les ordres religieux. Dans certains cas le mouvement gagne le «centre» et réussit à influencer les conférences épiscopales (notamment au Brésil), dans d’autres il reste bloqué dans les «marges» de l’institution.

Bien qu’existent des divergences significatives entre les théologiens de la libération, on retrouve, dans la plupart de leurs écrits, plusieurs thèmes fondamentaux qui constituent un départ radical de la doctrine traditionnelle, établie, des Eglises catholiques et protestantes:
1- Un implacable réquisitoire moral et social contre le capitalisme en tant que système injuste, inique, en tant que forme de péché structurel.
2- L’usage de l’instrument marxiste afin de comprendre les causes de la pauvreté, les contradictions du capitalisme et les formes de la lutte de classe.
3- L’option préférentielle en faveur des pauvres et la solidarité avec leur lutte d’auto-émancipation sociale.
4- Le développement de communautés chrétiennes de base parmi les pauvres comme nouvelle forme de l’Eglise et comme alternative au mode de vie individualiste imposé par le système capitaliste.
5- La lutte contre l’idolâtrie (et non l’athéisme) comme ennemi principal de la religion – c’est-à-dire contre les nouvelles idoles de la mort adorées par les nouveaux pharaons, les nouveaux Césars et les nouveaux Hérodes: Mammon, la Richesse, la Puissance, la Sécurité nationale, l’Etat, la Force militaire, la «Civilisation chrétienne occidentale».

Examinons de plus près les écrits de Leonardo Boff et de Frei Betto, dont les idées ont sans doute contribué à former la culture politico-religieuse de la composante chrétienne de l’altermondialisme.

Le livre de Leonardo Boff – à l’époque membre de l’ordre franciscain – Jesus Christ Libérateur (Petropolis, Vozes, 1971) peut être considéré comme le premier ouvrage de théologie de la libération au Brésil. Il s’agit essentiellement d’un ouvrage d’exegèse biblique, mais un des chapitres, peut-être le plus novateur, est intitulé «Pour une christologie de l’Amérique Latine», qui exprime le désir que l’Eglise puisse «participer de manière critique à l’élan global de libération que connaît aujourd’hui la société sud-américaine». Selon Boff, l’herméneutique biblique de son livre est inspirée de la réalité latino-américaine, ce qui a pour résultat «le primat de l’élément anthropologique sur l’élément ecclésiologique, de l’élément utopique sur le factuel, de l’élément critique sur le dogmatique, du social sur le personnel et de l’orthopraxie sur l’orthodoxie»: quelques-uns des thèmes majeurs de la théologie de la libération se trouvent ainsi annoncés. [1]

Personnage charismatique, avec une énorme culture et créativité, en même temps mystique franciscain et combattant social, Boff deviendra bientôt le plus important représentant brésilien de ce nouveau courant théologique. Dans son premier livre, on trouve déjà des références au «Principe Espérance» d’Ernst Bloch, mais c’est progressivement, au cours des années 1970, que les concepts et les thèmes marxistes apparaissent dans son œuvre, jusqu’à devenir une des composantes fondamentales de sa réflexion sur les causes de la pauvreté et de sa pratique de solidarité avec la lutte des pauvres pour leur libération.

Refusant l’argument conservateur qui prétend juger le marxisme par les pratiques historiques de l’ainsi nommé «socialisme réel», Boff constate non sans ironie: de même que le christianisme ne s’identifie pas avec les mécanismes de la Sainte Inquisition, le marxisme ne saurait être assimilé aux «socialismes» existants, qui «ne représentant pas une alternative désirable à cause de leur tyrannie bureaucratique et l’étouffement des libertés individuelles». L’idéal socialiste peut et doit prendre d’autres formes historiques. [2]

En 1981 Leonardo Boff va publier un livre, Eglise, charisme et pouvoir, qui sera un véritable tournant dans l’histoire de la théologie de la libération: pour la première fois depuis la Réforme protestante, un prêtre catholique met en question, de façon directe, l’autorité hiérarchique dans l’Eglise et son style de pouvoir romain-impérial, sa tradition d’intolérance et de dogmatisme – symbolisée pendant plusieurs siècles par l’Inquisition – la répression de toute critique venue d’en bas et le refus de la liberté de pensée. Il dénonce aussi la prétention de l’Eglise à l’infaillibilité et le pouvoir personnel excessif des papes, qu’il compare, non sans ironie, avec celui du secrétaire général du PC soviétique. Convoqué au Vatican en 1984 pour un «colloque» avec la Sainte Congrégation pour la Doctrine de la Foi – l’ex-Saint Office – dirigée par le Cardinal Ratzinger, le théologien brésilien à la nuque raide refuse de se renier et reste fidèle à ses convictions. Il sera condamné par Rome à une année de «silence obséquieux» – finalement, face à la multiplication des protestations, au Brésil et ailleurs, réduite à quelques mois. Dix ans plus tard, fatigué des interdictions, exclusions et tracasseries romaines, Boff quitte l’ordre des franciscains et l’Eglise, sans cesser pour autant son activité de théologien catholique.

A partir des années 1990, il va s’intéresser de plus en plus pour les questions écologiques, qu’il aborde à la fois dans un esprit d’amour mystique et franciscain pour la nature, et dans une perspective de critique radicale du système capitaliste. Ce sera l’objet du livre Dignitas Terrae. Ecologie: cri de la Terre, cri des pauvres, (S.Paulo, Atica, 1995) et d’innombrables essais philosophiques, éthiques et théologiques abordant cette problématique. Selon Leonardo Boff, la rencontre entre la théologie de la libération et l’écologie est le résultat d’un constat: «la même logique du système dominant d’accumulation et d’organisation sociale qui conduit à l’exploitation des travailleurs, mène aussi au pillage de nations entières et finalement à la dégradation de la nature». La théologie de la libération aspire donc à une rupture avec la logique de ce système, une rupture radicale qui vise à «libérer les pauvres, les opprimés et les exclus, victimes de la voracité de l’accumulation injustement distribuée ; et libérer la Terre, cette grande victime sacrifiée par le pillage systématique de ses recours, qui met en risque l’équilibre physique-chimique-biologique de la planète comme un tout». Le paradigme oppression / libération s’applique donc pour les deux: les classes dominées et exploitées d’une part, la Terre et ses espèces vivantes de l’autre. [3]

Proche ami de Leonardo Boff – ils ont publié quelques livres ensemble – Frei Betto est sans doute un des plus importants théologiens de la libération brésiliens et latino-américains et un des principaux animateurs des CEB. Dirigeant national de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) au début des années 1960, Carlos Alberto Libânio Christo - c’est son vrai nom - a commencé son éducation spirituelle et politique avec Jacques Maritain, Emmanuel Mounier, le père Lebret et le grand intellectuel catholique brésilien Alceu Amoroso Lima: cependant, au cours de son activité militante dans le mouvement étudiant - l’Union nationale des étudiants (UNE) - il va découvrir le Manifeste Communiste et L’Idéologie Allemande. Au moment d’entrer comme novice dans l’ordre des dominicains en 1965 – à cette époque un des principaux foyers d’élaboration d’une interprétation libérationniste du christianisme – il avait déjà pris la ferme résolution de se vouer à la lutte pour la révolution brésilienne. [4] Choqué par la pauvreté du peuple et par la dictature militaire établie en 1964, il rejoint un réseau de dominicains qui sympathisent activement avec la résistance armée contre le régime. Lorsque la répression s’intensifia en 1969, il secourut de nombreux militants révolutionnaires, les aidant à se cacher ou à franchir la frontière pour atteindre l’Uruguay ou l’Argentine. Cette activité lui valut cinq années de prison, de 1969 à 1973.

Dans un livre fascinant publié au Brésil, et réédité plus de dix fois – Baptême de sang. Les dominicains et la mort de Carlos Marighella (Rio de Janeiro, Ed. Bertrand, 1987) – il trace le portrait du dirigeant du principal groupe révolutionnaire armé, assassiné par la police en 1969, ainsi que celui de ses amis dominicains pris dans les rouages de la répression et brisés par la torture. Le dernier chapitre est consacré à la figure tragique de Frei Tito de Alencar, si abominablement torturé par la police brésilienne qu’il ne retrouva jamais son équilibre psychique: libéré de la prison et exilé en France, il se croyait toujours persécuté par ses bourreaux et finira par se suicider en 1974.

Les lettres de prison de Betto – publiées en 1977 – montrent son intérêt pour la pensée de Marx, qu’il désigne, pour tromper la censure politique, «le philosophe allemand». Dans une lettre d’octobre 1971 à une amie – abbesse bénédictine – il observe: «La théorie économico-sociale du philosophe allemand n’aurait pas existé sans les contradictions sociales criantes provoquées par le libéralisme économique, qui l’ont conduit à les percevoir, les analyser et établir des principes capables de les dépasser». [5]

Après sa libération de prison en 1973, Frei Betto se consacra à l’organisation des communautés de base. Au cours des années suivantes, il publia plusieurs brochures qui, en un langage simple et intelligible, expliquaient le sens de la théologie de la libération et le rôle des CEB. Il devint bientôt l’un des principaux dirigeants des rencontres nationales interecclésiastiques où les communautés de base de toutes les régions du Brésil échangeaient leurs expériences sociales, politiques et religieuses. En 1980 il organisa le 4e Congrès international des théologiens du tiers-monde.

Depuis 1979, Betto est responsable de la Pastorale ouvrière à Sâo Bernardo dos Campos, ville industrielle de la banlieue de S. Paulo où est né le nouveau syndicalisme brésilien. Sans adhérer à aucune organisation politique, il ne cache pas ses sympathies pour le PT. Après la victoire éléctorale du candidat du PT, Luis Inacio Lula da Silva, en 2001, il fut nommé par le nouveau président pour piloter le programme «Faim Zéro» ; cependant, mécontent avec l’orientation économique du gouvernement - prisonnier des paradigmes néo-libéraux - il démissionnera de son poste deux ans plus tard.

Tandis que certains théologiens tentent de réduire le marxisme à une «médiation socio-analytique», Betto défend, dans son essai de 1986, Christianisme et Marxisme, une interprétation beaucoup plus large de la théorie marxiste, qui inclut l’éthique et l’utopie: «Le marxisme est, surtout, une théorie de la praxis révolutionnaire (…). La pratique révolutionnaire dépasse le concept et ne s’épuise pas dans des analyses strictement scientifiques, parce qu’elle inclut nécessairement des dimensions éthiques, mystiques et utopiques (…). Sans cette relation dialectique théorie-praxis, le marxisme devient sclérosé, et se transforme en une orthodoxie académique dangereusement manipulable par ceux qui contrôlent les mécanismes de pouvoir». Cette dernière phrase est sans doute une référence critique à l’URSS et aux pays du socialisme réel, qui constituent, à ses yeux, une expérience déformée par son «optique objectiviste», sa «tendance économiciste» et surtout, sa «métaphysique de l’Etat».

Betto et Boff, comme la plupart des théologiens de la libération n’acceptent pas la réduction, typiquement libérale, de la religion à une «affaire privée» de l’individu. Pour eux la religion est une affaire éminemment publique, sociale et politique. Cette attitude n’est pas nécessairement en opposition à la laïcité ; en fait, le christianisme de la libération se situe aux antipodes du conservatisme clérical:
a) en prônant la plus totale séparation entre l’Église et l’État, et une rupture de la traditionnelle complicité entre le clergé et les puissants.
b) en refusant l’idée d’un parti ou syndicat catholique et en reconnaissant la nécessaire autonomie des mouvements politiques et sociaux populaires.
c) en rejetant toute idée de retour au «catholicisme politique» précritique et son illusion d’une «nouvelle chrétienté».
d) en favorisant la participation des chrétiens dans les mouvements ou partis populaires séculiers.

Pour la théologie de la libération, il n’y a pas de contradiction entre cette exigence de démocratie moderne et séculière, et l’engagement des chrétiens dans le domaine politique. Il s’agit de deux niveaux différents d’approche de la question du rapport entre religion et politique: au niveau institutionnel, il est indispensable de faire prévaloir la séparation et l’autonomie ; mais dans le domaine éthico-politique, c’est l’engagement qui devient l’impératif essentiel.

Considérant cette orientation éminemment pratique et combative, il n’est pas étonnant que beaucoup de cadres et animateurs des mouvements sociaux les plus importants des dernières années en Amérique Latine – depuis 1990 – ont été formés dans les idées de la théologie de la libération. Prenons comme exemple le MST, Mouvement des Paysans sans terre, un des mouvements les plus impressionnants de l’histoire contemporaine du Brésil, par sa capacité de mobilisation, sa radicalité, son habilité politique et sa popularité – et par ailleurs une des principales forces dans l’organisation du Forum Social Mondial. La plupart des cadres et animateurs du MST sont originaires des CEB ou de la Pastorale de la Terre: leur formation religieuse, morale, sociale et même, dans un certaine mesure, politique, a eu lieu dans les rangs de «l’Eglise des pauvres». Cependant, depuis son origine, dans les années 70, le MST s’est voulu un mouvement laïque, séculier, autonome et indépendant par rapport à l’Eglise. La plupart de ses adhérents sont catholiques, mais certains sont évangéliques, d’autres (rares) non croyants. La doctrine (socialiste !) et la culture du MST ne font pas de référence au christianisme, mais l’on peut dire que le style de militantisme, la foi dans la cause et la disposition au sacrifice des adhérents – beaucoup ont été victimes d’assassinats ou même de massacres collectifs au cours des dernières années – ont probablement des sources religieuses.

Les courants et militants chrétiens qui participent au mouvement altermondialiste sont très divers – ONG, militants des syndicats ou partis de gauche, structures proches de l’Eglise – et ne partagent pas les mêmes choix politiques. Mais la plupart se reconnaissent dans les grandes lignes de la théologie de la libération, telle qu’elle fut formulée par Leonardo Boff, Frei Betto, Clodovis Boff, Hugo Assmann, D. Tomas Balduino, D. Helder Câmara, D. Pedro Casaldaliga et tant d’autres connus et moins connus, et partagent sa critique éthique et sociale du capitalisme et son engagement pour la libération des pauvres.

* MichaelLöwy est directeur émérite de recherche au CNRS. Il anime un laboratoire de recherche à l’EHESS (Paris) en sociologie des religions. Cette contribution de Michael Löwy doit paraître dans un ouvrage (coordonné par Sebastien Budgen) aux Editions Textuel ; ouvrage consacré au mouvements sociaux altermonmdialistes. Cette présentation de Michael Löwy est en relation avec la contribution, sur ce site, de Samir Amin sur «L’islam politique» qui insiste sur la différence radicale existant entre ces deux «courants».

1. L. Boff, Jesus Christ Libérateur, Paris, Cerf, 1985, pp. 51-55. Ibid. p.275.

2. L.Boff, «Libertaçâo integra: do pobre et da terra», in A teologia da libertaçâo. Balanço e Perspectivas, S.Paulo, Atica, 1996, pp. 115, 124-128.

3. Entretien de Frei Betto avec l’auteur, 13.9.1988.

4. Fr. Fernando, Fr. Ivo, Fr. Betto, O canto na fogueira. Cartas de três dominicanos quando em carcere politico, Petropolis, Vozes, 1977, pp. 39 e 120.

5. Frei Betto, Cristianismo e Marxismo, Petropolis, Vozes, 1986, pp. 35-37.

BIBLIOGRAPHIE

Leonardo Boff, Jesus Christ Libérateur, Paris, Cerf, 1985.

L.Boff, Eglise, Charisme et Pouvoir, Bruxelles, Lieu Commun, 1985.

L.Boff, O caminhar da Igreja com os oprimidos, Petropolis, Vozes, 1988, 3a ediçâo, prefacio de Darcy Ribeiro.

L. Boff, Je m’explique (entretiens avec C.Dutilleux), Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

L. Boff, Dignitas Terrae. Ecologia.: grito da terra, grito dos pobres, S.Paulo, Atica, 1995.

L.Boff, «Libertaçâo integra: do pobre et da terra», in A teologia da libertaçâo. Balanço e Perspectivas, S.Paulo, Atica, 1996.

Fr. Fernando, Fr. Ivo, Fr. Betto, O canto na fogueira. Cartas de três dominicanos quando em carcere politico, Petropolis, Vozes, 1977.

Frei Betto, Cristianismo e Marxismo, Petropolis, Vozes, 1986.

Frei Betto, Batismo de Sangue. Os dominicanos e a morte de Carlos Marighella, Rio de Janeiro, Editora Bertrand, 1987.

Théologies de la libération. Documents et debats, Paris, Le Cerf, 1985.

Michael Löwy, La guerre des dieux. Religion et politique en Amérique Latine, Paris, Ed. du Felin, 1998.

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02/07/2007

THÉOLOGIE DE LIBÉRATION CONTRE TOUTES OPPRESSIONS.

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La plupart des théologiens de la libé­ra­tion rejettent toute accommodation avec le néolibé­ralisme parce qu'elle ébranle­rait la raison d'être de leur théologie comme une théologie des pauvres.
Ils ne sont que trop conscients de la détérioration de la pauvreté dans leurs régions ces dernières années, et que les changements que le monde a récemment expé­rimentés sont au détriment des pauvres dans le monde en développement.
 Quelques-uns retracent les racines de la détério­ration directement aux poli­tiques économiques de néolibé­ralisme, et maintiennent que le surcroît de chômage ou de sous-emploi, la chute des revenus, et la réduc­tion des possibili­tés dans la vie, sont tous les conséquences inévitables de ces politi­ques.
Bien que les gouvernements néolibéraux connaissent sans doute des succès, par exem­ple, dans le combat contre l'inflation, il faut que la théologie de la libération questionne toujours l'orientation de leurs politiques.
A l'avantage de qui sont-elle conçues?
Est-ce que c'est la vie des pau­vres qui est le critère pour le discerne­ment de l'action?
Est-ce que le capitalisme du libre marché peut jamais pro­mouvoir le bien des gens avant le profit?
 Les théolo­giens de la libération soulignent invaria­ble­ment le conflit entre la logique du capita­lisme et l'op­tion pour les pauvres , un conflit qui est manifestement plus vrai du capita­lisme dans sa forme néolibérale. Bien qu'ils ne s'expriment pas avec la même comparaison, il y en a peu qui ne seraient pas d'ac­cord avec l'assertion de Leo­nardo Boff qu'«il est aussi impossible de créer un système de marché moral que de constru­ire un bordel chrétien»!.
Si la théologie de la libéra­tion veut rester une théologie des opprimés, elle ne peut pas se permettre d'être entraînée par ceux qui font parti du pro­blème mais qui se prétendent gardiens de la solution. Car le néolibéralisme lance un défi subtil à la théologie de la libé­ration, même jusqu'à se présenter lui-même comme une «option alternative pour les pauvres». Le Directeur Général du FIM parla du mandat de son orga­ni­sation comme celui de Jésus: à «annoncer la bonne nouvelle aux pauvres» (Luc 4,18-19), remar­ques que quelques théologiens regardent comme signes d'une «anti-théolo­gie».
La théologie de la libération a souvent souli­gné la distinction entre le Dieu de la vie révélé dans les Écritures, et les idoles qui en­traînent le religieux mais qui l'amène à l'injustice et à la mort. La théologie de la libération doit donc continuer à parler des «projets socialistes», mais jusqu'à quand débattrons-nous les questions politi­ques et économiques de cette façon?
Est-ce que les théolo­giens de la libération finiraient par rien d'autres que de crier des slogans dans la coulisse? N'est-il pas temps, donc, de chercher des modèles neufs, ceux qui permettront aux théo­logiens de la libération de rendre efficace leur option pour les pau­vres, tout en ne la liant pas aux idéologies apparemment débordées du passé? Il y a des chrétiens progressifs qui disent que oui, il est vraiment temps de trouver une vision neuve, une qui insiste moins sur une trans­for­mation sociale «vaste» et plus sur la re­cons­truc­tion graduelle de la communauté. Ils pré­tendent que dans le climat, actuel il serait nécessaire de construire le Royaume en s'efforçant à transformer la vie des gens dans des projets qui sont plus modestes et localisés que l'on envisa­geait autrefois, bien qu'ensem­ble ces projets soient «révolu­tionnaires» dans le sens qu'ils puissent changer des sociétés entières.
Théologique­ment, leur modèle n'est plus «l'Égypte» et le rêve d'une «terre promise» littérale, mais Babylone, où un peuple captif désirait ardemment la restauration de sa communauté.
La théologie de la libération est confrontée par beaucoup de défis actuelle­ment, mais elle survivra si elle reste enracinée dans les communautés, si elle formule les préoccupations des pauvres, et si elle reste fidèle à une vision de changer la société selon les valeurs du Royaume. La poursuite de cet objectif ne requiert pas qu'elle soit liée à une idéologie en parti­culier; elle peut se servir de celles qui se mon­trent utiles, aussi longtemps que leurs va­leurs sont conséquentes avec celles du Royaume.
Cependant, ce qui n'est pas facultatif c'est un engagement en faveur des méprisés et des parias. Aussi long­temps qu'il y a des gens dépouillés de leur dignité légitime en tant qu'enfants de Dieu, il faut que la théologie de la libé­ration continue à suivre l'engagement de Jésus à annoncer la bonne nouvelle aux pauvres et à libérer les opprimés.
Bruno LEROY.

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12/06/2007

L'INSOLENCE DES ÉVANGÉLIQUES.

 
C'est à une Eglise latino-américaine en crise que rend visite Benoît XVI, du 9 au 14 mai. A Aparecida (Brésil), le pape doit ouvrir la cinquième assemblée du Conseil des épiscopats latino-américains (Celam), succédant à celle de Saint-Domingue en 1992. Pour la première fois, les responsables catholiques du sous-continent vont s'affronter sur la délicate question de leur érosion numérique au profit d'Eglises évangéliques ou pentecôtistes, dont la croissance et l'appétit de pouvoir déroutent les observateurs.

En vingt-cinq ans, l'Eglise catholique du Brésil aurait perdu un quart de ses fidèles. Chaque année, 600 000 personnes la quittent, et les évangéliques représenteraient jusqu'à 18 % de la population. Des chiffres qui ne prennent pas en compte ceux qui "zappent" d'une Eglise à une autre, "cathos évangéliques" ou "cathos candomblés", du nom de la religion traditionnelle d'origine africaine.

La force des évangéliques est aussi médiatique et politique. Edir Macedo, évêque, chef de l'Eglise universelle du royaume de Dieu, contrôle TV-Record, la troisième chaîne nationale, des dizaines de radios locales et un journal gratuit distribué à des millions d'exemplaires. Regroupés dans le Parti républicain brésilien, ils ont fait campagne pour la réélection du président Luiz Inacio Lula da Silva et sont présents au gouvernement, avec José Alencar, vice-président. Marina da Silva, ministre de l'environnement, appartient au Mouvement progressiste évangélique.

En Argentine, en vingt ans, ce sont 4 millions de fidèles (10 %) qui se seraient éloignés de l'Eglise catholique, et les évangéliques représenteraient 10 % de la population, le double dans les quartiers les plus défavorisés des grandes agglomérations. Au Mexique, depuis 1970, la population catholique a chuté de 10 points et le dynamisme des évangéliques se traduit par des rachats d'immeubles et des opérations médiatiques. Le clergé catholique compte 14 000 prêtres, soit 1 pour 90 000 habitants. Les pasteurs évangéliques, autoproclamés ou formés de manière expéditive, sont déjà presque trois fois plus nombreux.

En Amérique centrale, le boom des évangéliques est encore plus spectaculaire. Au Guatemala, les nouvelles Eglises recrutent dans les populations indiennes et tirent le bénéfice de leur participation au mouvement antiguérilla lors des années 1960-1996. Leurs lieux de culte poussent comme des champignons au Nicaragua, au Honduras, au Salvador. Les pratiques syncrétistes sont également répandues en Haïti où, depuis 2003, le vaudou est reconnu au même titre que les autres religions, et à Cuba, où la majorité des catholiques pratique la santeria, le culte afro-américain local.

Comment en est-on arrivé là ? Le catholicisme latino-américain a longtemps servi de modèle : nombre record de fidèles - 40 % des catholiques dans le monde (1,1 milliard) -, inventivité théologique, engagement dans les luttes sociales. Sans oublier la palme du martyre : lors des dictatures et conflits des années 1970-1990 - Chili, Argentine, Brésil, Haïti, Salvador, Guatemala, Nicaragua -, des évêques (Mgr Romero au Salvador, Mgr Angeleli en Argentine), des prêtres, des religieux et religieuses (les Françaises Alice Domont et Léonie Duquet, "disparues" sous la dictature argentine de 1976-1983) et de nombreux militants laïques ont payé du prix du sang leur soutien non violent aux forces de restauration de la démocratie, de défense des pauvres, des paysans sans terre et des populations indigènes.

Lors des conférences des évêques du Celam à Medellin (Colombie), en 1968, en présence du pape Paul VI, et à Puebla (Mexique) avec Jean Paul II, en 1979, une minorité d'évêques et de théologiens progressistes avait réussi à imposer une "option préférentielle pour les pauvres", qu'ont incarnée ensuite des "prophètes" comme Helder Camara, évêque du Nordeste brésilien (mort en 1999), Mgr Proano, évêque des Indiens en Equateur, le cardinal Silva Henriquez, archevêque de Santiago (Chili), fondateur du Vicariat de la solidarité sous la dictature de Pinochet, Mgr Samuel Ruiz, avocat des Mayas du Mexique.

Parallèlement, la "théologie de la libération", née au Pérou avec Gustavo Gutierrez, étendue au Brésil avec les frères franciscains Leonardo et Clovis Boff, au Salvador avec le jésuite Jon Sobrino - que Benoît XVI vient encore de sanctionner -, au Chili avec Pablo Richard, au Mexique avec Enrique Dussel, est devenue la bête noire des stratèges nord et sud-américains de l'anticommunisme, qui y voient une sorte de bible marxiste pour les guérillas d'Amérique latine.

Les blâmes du Vatican, qui a réduit au silence Gustavo Gutierrez et Leonardo Boff, n'ont pas peu contribué à la diabolisation de cette théologie de la libération, qui se voulait, plus modestement, une analyse de la "force historique des pauvres" à partir de la relecture des textes bibliques menée au sein de "communautés ecclésiales de base", lieux d'éducation populaire, de catéchèse, de liberté et de résistance. C'est dans ces milieux catholiques que Lula da Silva, au Brésil, a construit le succès de son Parti des travailleurs.
Si l'on s'en tient à la lecture des documents préparatoires à la conférence épiscopale d'Aparecida (Brésil), qu'ouvrira le pape, deux lignes divisent aujourd'hui le catholicisme sud-américain. D'abord, une ligne néoconservatrice, représentée par des mouvements inégalement puissants - Opus Dei au Pérou, Légionnaires du Christ nés au Mexique -, par de nouvelles générations d'évêques, par des prédicateurs du Renouveau charismatique comme le célèbre Père Marcelo Rossi qui, à la mode pentecôtiste, remplit des stades brésiliens.
Pour eux, la "politisation" de l'Eglise est largement responsable de son érosion numérique. Elle a touché les classes moyennes, intellectuelles, les forces d'opposition, mais négligé les besoins spirituels des populations marginalisées. Cela aurait profité aux groupes évangéliques, plus prompts à former des "pasteurs", à quadriller les quartiers pauvres avec leurs réseaux d'entraide, à promettre des bienfaits immédiats en termes de santé, de lutte contre l'alcool ou la drogue.

Pour ces néoconservateurs, la solution est celle du "verrouillage" : l'Eglise catholique ne doit pas céder à la pression de ses concurrentes évangéliques. Il lui faut rester elle-même, revenir à un strict formalisme dans ses séminaires, dans la formation de ses laïcs, dans ses formes liturgiques, dans l'éducation religieuse, dans son combat pour la vie (anti-avortement, anticontraception). Déjà, lors de la dernière conférence du Celam, à Saint-Domingue en 1992, les courants conservateurs et le Vatican avaient imposé ce rééquilibrage et une ligne de "nouvelle évangélisation des cultures", comprenant un investissement massif dans la communication et la formation à destination des zones urbaines et sécularisées.

Puis il y a la deuxième ligne, très minoritaire, dite "prophétique", celle qui ne se résigne pas au recul de l'"option prioritaire pour les pauvres". Dans la revue espagnole Adital de février 2007, le Brésilien Jung Moi Sung - qui fait partie de la nouvelle génération de théologiens de la libération capable de faire la critique de la précédente - écrit : "Il nous faut reconnaître que le rêve caressé par les communautés de base et notre théologie, selon lequel la masse des chrétiens en Amérique latine adopterait le christianisme de libération, a été mis en déroute." Il déplore que "les méthodes de marketing pour augmenter le nombre des fidèles soient devenues plus importantes que le rôle prophétique du christianisme dans la construction d'une société plus juste et plus humaine". Mais il ne désespère pas du rôle d'avant-garde que les chrétiens sont appelés à jouer dans les luttes écologiques, auprès des populations indiennes, des femmes et de tous les laissés-pour-compte des économies néolibérales.
L'"option préférentielle pour les pauvres" demeure celle d'évêques comme Mgr Amazzini au Honduras ou Mgr Fernando Lugo au Paraguay qui, plébiscité par la population, vient de renoncer à sa fonction pour se présenter à la prochaine élection présidentielle. Au Venezuela, en Argentine, au Chili ou ailleurs, l'Eglise catholique sait aussi protéger son indépendance, lutte contre la corruption politique, participe aux manifestations de rue, apparaît dans les sondages comme l'institution la plus crédible. En Argentine, par exemple, les relations sont tendues entre la hiérarchie et le président Nestor Kirchner, critiqué dans ses homélies par le cardinal jésuite José-Maria Bergoglio, archevêque de Buenos Aires.

"Avec la mondialisation, les idées, les religions, les Eglises circulent, résume le Père Philippe Klöckner, responsable du Centre épiscopal France-Amérique latine (Cefal). Si l'Eglise catholique en Amérique latine fait le choix de se barricader contre les évangéliques, elle mourra avec ses certitudes."

Henri Tincq (avec nos correspondants en Amérique latine)

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21/05/2006

La Théologie de la libération peut-elle nous concerner ?

« Je laisse dans les Indes Jésus-Christ, notre Dieu, où il est flagellé, affligé et crucifié, non pas une fois mais des millions de fois. »

Ainsi s’exprimait, dans son Histoire des Indes, au milieu du XVIe siècle, le précurseur de la théologie de la libération, Bartolomé de Las Casas, qui avait vu en l’Indien un pauvre selon l’Évangile bien plus qu’un païen. Contre les conquérants espagnols avides de richesses et propriétaires de la foi chrétienne, Las Casas sut prendre le parti des opprimés.

La théologie de la libération – j’écrirai désormais TL – est née dans les années 1960 en Amérique latine dans une conjoncture historique marquée par la domination économique et sociale d’une minorité de privilégiés, liés au « Nord », qui plonge dans la misère les masses populaires sud-américaines ; et, comme on le sait, les nouveaux maîtres n’hésitent pas à utiliser la violence. Mais ce constat se double d’un autre : l’éveil des pauvres et la participation de communautés chrétiennes aux luttes concrètes contre l’injustice. Le jésuite salvadorien Jon Sobrino parle de « l’irruption des pauvres sur la scène d’un continent chrétien. » En Bolivie, le pays le plus pauvre d’Amérique latine, l’élection de l’indien Evo Morales est l’illustration la plus récente de ce réveil. La TL est une lecture de la foi à partir d’une pratique libératrice des pauvres. On dit souvent que ses deux principes fondamentaux sont une option pour les pauvres et l’antécédence de la praxis sur l’élaboration théologique ; mais j’en rajouterai volontiers un troisième, l’unité de l’histoire.

Le choix des pauvres

L’identification du Christ aux pauvres n’est certes pas une nouveauté. Ils sont nombreux les chrétiens qui, au cours des vingt siècles, ont pris au sérieux le Jugement dernier de Matthieu 25 et ont voué leur vie au secours du pauvre. Il en est résulté toute une tradition spirituelle de détachement des biens du monde et une vie religieuse liée au vœu de pauvreté.

Mais la TL rejette cette mystique de la pauvreté, car la vie prophétique de Jésus est une lutte contre la misère et pour la justice (cf. Luc 4, 18).

Ce choix des pauvres ne se réduit pas à cette « option préférentielle pour les pauvres » qu’admettent les autorités de l’Église ; car, pour elles, la préférence n’est pas exclusive et, finalement, Jean-Paul II lui substitue le terme d’ « amour de préférence » qui annule sa portée : Dieu n’aime-t-il pas tous les hommes, y compris les riches ?

Qui sont donc ces « pauvres » ? Non seulement des individus mais des groupes sociaux ; non point seulement le prolétariat contrairement à ce qu’affirme le cardinal Ratzinger dans son « Instruction » de 1984 : si la TL emprunte au marxisme, elle reste libre et ouverte à une interprétation plus large de la pauvreté. Mais les pauvres sont non seulement des pécheurs, des prostituées, ceux qui sont socialement méprisés, mais des masses humaines provenant de milieux sociaux divers, des paysans sans terres comme des sous-prolétaires urbains, des femmes 1, des races entières aussi, comme les Indiens d’Amérique et les Noirs. Ainsi, le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez, considéré comme le père de la TL, parle-t-il toujours « des classes exploitées, des races méprisées, des cultures marginalisées. » 2

Ce sont donc les spoliés, les exclus d’une histoire porteuse d’injustice. Et, dans cette histoire, Jésus vient, après les prophètes, pour annoncer aux pauvres leur délivrance. Voyez ce que dit Jésus aux disciples de Jean-Baptiste venus l’interroger (Es-tu celui qui doit venir ?) : « La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Matthieu 10, 5 et Luc 7, 22). La TL souligne que, dans les conflits sociaux, Jésus prend parti ; il ne condamne pas seulement des individus mais des groupes sociaux qui en oppriment d’autres : il ne vise pas seulement un riche mais les riches, les prêtres, les scribes. Oscar Culmann – qui n’était pas un dangereux révolutionnaire – écrit : « Il n’y a aucun doute sur ce point : Jésus considère comme une injustice le fait qu’il y ait des riches et des pauvres et il ne peut tolérer cette situation. » La mort de Jésus n’est-elle pas d’ailleurs un assassinat organisé par les puissants ?

Pour la TL, « cette plainte du peuple est la voix de Dieu » (Mgr Romero) et « suivre Jésus » exige des « pratiques libératrices » (Leonardo Boff) ; c’est s’engager dans la lutte pour la justice, selon le programme énoncé par Jésus en Luc 4, 18 qui cite Isaïe. Sommes-nous loin du Royaume de Dieu annoncé par le Christ ?

L’unité de l’histoire

Gutiérrez écrit : « Il n’y a pas deux histoires, une histoire profane et une histoire sacrée “juxtaposées” ou “étroitement liées”, mais un unique devenir de l’homme assumé de manière irréversible par le Christ, Seigneur de l’histoire. » 3

Une telle affirmation puise dans tout un courant de la théologie contemporaine qui redécouvre que, dans la Bible, le salut n’est pas conçu comme une fuite hors du monde, un passage de la terre au ciel mais le triomphe d’un monde renouvelé (« un ciel nouveau » et « une terre nouvelle » selon l’Apocalypse 21, 1). Des théologiens comme Karl Rahner en Allemagne et Marie-Dominique Chenu en France ont travaillé à remettre en question le dualisme entre histoire profane et histoire du salut, ordre temporel et Royaume de Dieu, mystique et politique.

Ce dualisme a d’ailleurs été dépassé à Vatican II dans plusieurs de ses textes. Ainsi, dans la constitution « L’Église dans le monde de ce temps » (Gaudium et spes), en particulier aux chapitres II et III consacrés à la communauté humaine et à l’activité humaine dans l’univers. D’après ce texte, le chrétien ne peut se contenter d’une « morale individualiste » car « s’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine. (…) Mystérieusement, le Royaume est déjà présent sur terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur viendra » (n° 39, 2-3). De même, la constitution sur l’Église précise que les chrétiens ne doivent pas « enfouir au fond de leur âme » l’espérance du Royaume mais lutter « contre les dominateurs de ce monde de ténèbres » (Ep. 6, 12) et « la faire passer aussi dans les structures de la vie terrestre » (Lumen gentium, n° 35). Et il faudrait encore citer le décret sur l’apostolat des laïcs aux n° 5 et 7.

Pour la TL, il n’est pas question de percevoir l’histoire comme un processus ouvrant, sans palier qualitatif, sur le Royaume. Leonardo Boff écrit dans la revue Lumière et Vie : « Le Royaume de Dieu possède dans son essence une dimension de futur qu’on ne peut atteindre par les pratiques humaines et qui est l’objet de l’espérance eschatologique. » 4 Mais la TL ne se résigne pas à un monde injuste, en attendant la Parousie. Ses théologiens reconnaissent aussi que le péché habite notre histoire, mais ils croient qu’il faut le combattre à travers les structures sociales qui l’engendrent et aliènent les oppresseurs comme les opprimés. Jean-Paul II ne parle-t-il pas lui-même dans une encyclique de « structures de péché » (Sollicitudo rei socialis) ?

Ratzinger reconnaît aussi, dans son « Instruction » de 1984, qu’ « il y a des structures iniques et génératrices d’iniquités, qu’il faut avoir le courage de changer ». Mais le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se garde bien de préciser quelles sont ces structures. Par contre, il ajoute plus loin : « la source des injustices est dans le cœur des hommes » ; l’essentiel est donc dans la « capacité éthique de la personne » et la « conversion intérieure » 5. On connaît, en effet, d’admirables (et rares) conversions intérieures et l’on sait leur inefficience sociale…

La théologie traditionnelle est incapable de sortir d’une conception individualiste du péché. Par contre, Jon Sobrino définit le péché contre le Royaume comme « tout ce qui déshumanise l’homme, détruit son humanité, menace, empêche ou anéantit la fraternité humaine exprimée dans le Notre Père. » La TL se garde bien d’assimiler « pauvres » et « justes » ; les pauvres aussi sont des pécheurs ! Mais la lutte contre l’injustice ouvre une voie vers Jésus-Christ et le Royaume. La foi ne se cherche pas dans une confession de dogmes, une orthodoxie, mais dans une « orthopraxis », souligne fortement la TL : « Dans la praxis de l’amour et de la justice, on sait que le Royaume s’approche et se rend présent ; et dans la praxis militante au milieu du péché du monde, on maintient l’espérance dans le futur de Dieu » 6 Le point de départ n’est donc pas dans l’ontologie mais dans l’histoire.

Voici à grands traits, nécessairement simplificateurs, ce que l’on peut dire pour présenter la TL. Une précision reste encore à apporter : si elle engage les chrétiens dans les luttes sociales du temps, la TL ne propose évidemment aucun modèle économico-social. Ses emprunts au marxisme, comme grille d’analyse d’une société, ont fait peur et expliquent en partie l’hostilité romaine. Aujourd’hui, la quasi-disparition des pays dits communistes ainsi que la prise de conscience particulièrement aiguë des impasses des expériences conduites à « l’Est » devrait libérer la TL des suspicions. Malgré la stratégie romaine destinée à « casser » l’Église latino-américaine d’avant-garde, la TL subsiste parce qu’elle répond à une situation sociale inchangée.

Une expérience strictement régionale ?

Née sur le sous-continent latino-américain, la TL est-elle prisonnière de ce contexte particulier ? Il est vrai que la question de la terre, par exemple, est assez spécifique aux pays d’Amérique latine, mais de nombreux autres problèmes se retrouvent en Afrique et en Asie. Et d’abord, un « développement » promis par le « Nord » qui, depuis quarante ans environ, ne profite qu’à une toute petite minorité et fabrique des multitudes de pauvres. Même dans les pays qui ont « décollé » économiquement et sont considérés aujourd’hui comme des puissances économiques (le Brésil, l’Argentine, l’Inde), le sous-développement subsiste et les inégalités se sont accrues spectaculairement. 

Quant à de nombreux pays d’Afrique noire, ils sont parfois « en voie de sous-développement ». On ne s’étonnera donc pas que la TL ait gagné l’Afrique et l’Asie. En 1976, une Association œcuménique des théologiens du Tiers Monde (en anglais EATWOT) était créée et organise depuis lors des conférences internationales ; et le jésuite indien Samuel Rayan précise : « C’est en termes de solidarité avec les pauvres dans leurs luttes, en termes de lecture de la réalité et de l’Écriture du point de vue des pauvres que se définissent les théologies du Tiers Monde. » 7

En Afrique, où la question de l’inculturation reste prépondérante, certains théologiens n’ont pas manqué de critiquer cette tendance « culturaliste » et « folklorique » et ont développé à leur tour une TL. Pour nous en tenir à l’Afrique francophone, citons trois Camerounais : Jean-Marc Ela, le jésuite Engelbert Mveng et Éloi Messi-Metogo 8. Mais il faudrait citer aussi les théologiens d’Afrique du Sud et la théologie noire née aux États-Unis.

En Asie, la situation des chrétiens est bien différente puisqu’ils ne représentent qu’une petite minorité de la population sauf aux Philippines. Le dialogue avec les religions non chrétiennes a nécessairement absorbé la réflexion théologique ; cependant une lignée de théologiens de la libération est apparue dans les années quatre-vingt ; citons seulement le jésuite et professeur à Delhi Samuel Rayan, les Sri-lankais Aloysius Pieris et Tissa Balasuriya, et l’Indonésienne Henriette M. Kapott qui développe une TL féministe 9.

La Théologie de la libération peut-elle nous concerner ?

Dans un article publié en 1982 par la revue Lettre, Giulio Girardi s’interrogeait : « Peut-il être question d’une théologie européenne de la libération ? » 10 L’ensemble des questions (ou des conditions) qu’il posait semblait orienter vers une réponse négative. Certes, en 2006 comme en 1982, aucun groupe social ne peut être considéré comme porteur d’une alternative et il n’existe aucun projet politique crédible.

Pour autant, l’analyse de Girardi apparaît trop européocentrée et ne correspond plus guère à notre situation 23 ans plus tard, celle d’une mondialisation accélérée. Depuis l’effondrement du bloc soviétique en 1989-90, la direction du monde s’est rapidement réorganisée autour des États-Unis, de l’Union européenne et de quelques institutions internationales sur lesquelles les citoyens n’ont aucune prise : le G 8, le FMI, le GATT puis l’OMC qui dictent leurs lois aux gouvernements. Si l’échec de l’idéologie du développement et l’exploitation du Tiers-Monde restent inchangées, s’ajoute aujourd’hui une offensive du grand capital qui, en Europe occidentale, remet en cause, l’un après l’autre, les acquis des luttes sociales et de l’État-providence. Alors que les richesses augmentent, le nombre des chômeurs, des travailleurs précaires, des exclus, des sans papiers s’accroît aussi dans nos pays. En même temps, commence à se dessiner un mouvement alter-mondialiste qui affirme qu’ « un autre monde est possible ».

C’est dans ce cadre historique nouveau, à la fois économique, social et politique que se pose, pour nous chrétiens d’Europe occidentale, la question de notre foi. Peut-être sommes-nous mieux préparés à entendre ce qu’écrivait en 1981 le jésuite Ellacuria : « Si la situation historique de dépendance et de domination des deux tiers de l’humanité, avec ses trente millions annuels de morts de faim et de dénutrition, ne se convertit pas aujourd’hui en point de départ de toute théologie chrétienne, même dans les pays riches et dominateurs, la théologie sera dans l’incapacité de situer et concrétiser historiquement ses thèmes fondamentaux. » 11

Ratzinger a raison d’affirmer que la TL représente « une nouvelle herméneutique (interprétation) de la foi chrétienne. » À l’heure où, dans nos sociétés occidentales, le christianisme décline, confiné dans le domaine de l’intériorité, et où les chrétiens s’interrogent sur le sens de leur foi, peut-être est-il temps de se mettre à l’écoute de ces pasteurs qui, tel Mgr Romero, nous annoncent que les pauvres sont « le corps du Christ dans l’histoire ».

Martine Sevegrand

1 Leonardo Boff cite le cas d’une femme présentée par une communauté de base comme opprimée à six titres : femme, prostituée, fille-mère, noire, pauvre et lépreuse.
2 G. Gutiérrez, La force historique des pauvres, Cerf, p. 12.
3 G. Gutiérrez, Théologie de la libération, Lumen vitae, p. 156.
4 L. Boff, Lumière et Vie, n° 134, 1977, p. 101.
5 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « Instruction sur quelques aspects de la théologie de la libération », 6 août 1984, IV n° 15 et XI n° 8.
6 J. Sobrino, Jésus en Amérique latine, Cerf, p. 159.
7 S. Rayan, « Théologie du Tiers-Monde », Concilium, n° 219, 1988, p. 161.
8 J. M. Ela a publié une douzaine d’ouvrages ; citons le dernier, Repenser la théologie africaine, Karthala, 2003, 444 pages, 28 euros dont vous pouvez passer commande à Temps Présent.
9 Ces théologiens asiatiques ont publié en anglais, mais on trouvera nombre de leurs articles dans la revue Concilium des années 1980-90.
10 Cet article a été reproduit dans Contribution pour l’avenir du christianisme, p. 195-203. 
11 I. Ellacuria, cité par J. Sobrino, op. cit., p. 111. Rappelons que le P. Ellacuria, recteur de l’université jésuite de San Salvador, fut assassiné avec cinq autres jésuites, le 16 novembre 1989, par des militaires salvadoriens.

Un article publié du numéro 29 de la revue Parvis, de mars 2006.

09:23 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION. | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |

21/03/2006

La théologie de la libération n'est pas abstraite.

Père Maurice Barth
Dominicain
responsable des droits de l'homme à la Cimade

Pour situer le point de vue duquel je me place, je dirai que je vais régulièrement, deux ou trois fois par an, en Amérique latine, surtout en Amérique centrale et aux Caraïbes. J'ai créé en 1982 un petit groupe qui s'appelle aujourd'hui « Solidarité Oscar Romero », du nom de l'archevêque de San Salvador qui a été assassiné. Nous faisons surtout un travail d'information auprès du public chrétien français, sous forme en particulier d'un bulletin, les « Cahiers Oscar Romero ».
Nous établissons des liens de solidarité avec des groupes de là-bas, en particulier les communautés ecclésiales de base. Cela fait maintenant dix-huit ans que je suis plus particulièrement engagé dans la solidarité avec l'Amérique latine.
Je fais aussi partie de la
CIMADE, ce service social d'inspiration protestante, au département « Solidarités internationales et droits de l'homme »
.
Je suis un dominicain du
couvent Saint-Jacques, de Paris. Je fais partie des frères qui travaillent « aux frontières » : pour les uns ce sont les frontières de la société parisienne: prisonniers, migrants, « compagnons de la nuit ». Pour moi, et d'autres, c'est le Tiers-Monde.

Le grand choc fut pour moi la découverte du Mexique : Je n'imaginais pas qu'il puisse exister dans notre monde une telle misère, car je ne me suis pas contenté de visiter les monuments. Ce sont des choses qu'on apprend dans les livres et les journaux mais qu'il faut avoir vues ! Il faut avoir touché du doigt la misère et les angoisses des pauvres, avoir entendu leurs cris.
Quelques temps après je suis allé au Salvador où j'ai rencontré pour la première fois
Mgr Romero. Il m'a mis en contact avec les pauvres de son diocèse, avec des femmes qui me racontaient leur calvaire, me suppliaient de les aider, de parler de leurs souffrances à mes concitoyens, à nos gouvernements : elles avaient eu un mari, un père, un fils assassiné, torturé, disparu...

Je n'oublierai jamais ces visages. Ce n'est pas seulement la misère, c'est l'angoisse, la peur, la présence permanente de la brutalité, de la mort. La pauvreté aussi est une violence car elle est impose par des structures inhumaines, par une classe de privilégiés qui s'enrichissent de la misère des autres, refusent tout changement, et défendent leur fortune par la force.
Voici quelques lignes d'une messe du Nicaragua :

Tu es le Dieu des pauvres,
le Dieu humain et simple.
Le Dieu qui transpire dans la rue,
Le Dieu au visage basané.
C'est pourquoi je te parle dans mon langage,
Car tu es le Dieu ouvrier,
Le Christ travailleur.
Tu marches, main dans la main avec nous ;
Tu luttes avec nous aux champs et dans la ville ;
Tu es là, au campement,
Tu fais la queue pour ton salaire.
Tu manges une glace avec Sebio et Pancho
Et tu protestes comme eux
Contre le manque de miel dans le sirop.
Je t'ai vu au comptoir de l'épicerie,
Vendre sans honte les billets de loterie.
Je t'ai vu en salopette et gants de travail
Servir l'essence, gonfler les pneus...


La théologie de la libération n'est pas abstraite, elle est le vécu des gens. Ce poème est un chant populaire. Certes il a été compo-sé par un professionnel mais il exprime bien une mentalité et une foi populaires. C'est la proximité, I'imprégnation du quotidien et du religieux, I'Évangile au milieu d'eux.
Il est vrai, et c'est un des aspects déconcertants de la religiosité populaire en Amérique latine, qu'on trouve également dans les églises une autre piété populaire, avec une contemplation un peu doloriste, un peu sans espoir, du Christ souffrant, ou encore une vénération de madones richement vêtues.

Cette forme de piété est d'importation ibérique. Elle n'est pas née du terroir ; mais c'est vrai qu'elle s'est fortement développée et cohabite plus ou moins avec la religiosité indienne. Il faudrait parler à ce propos du syncrétisme religieux.
Toujours est-il que les communautés ecclésiales de base, sans rejeter totalement cette forme de religiosité très ancrée dans les moeurs, insistent sur d'autres façons de vivre la foi, et donnent une place privilégiée à la Parole de Dieu, à la lecture biblique.

Les communautés ecclésiales de base sont de petits groupes chrétiens qui se sont constitués dans les années soixante, surtout dans les milieux populaires. J'y insiste parce c'est une nouvelle manière de vivre sa foi, pour le peuple pauvre des campagnes et des quartiers urbains périphériques.
Il faut savoir qu'en Amérique latine, c'est un paradoxe parmi d'autres, alors que la grande majorité de la population est baptisée catholique, que les gens du peuple sont très croyants, il y a pourtant très peu de prêtres autochtones. Certaines régions ne voient un prêtre qu'une ou deux fois par an ! Pour une religion qui donne tant d'importance au culte, aux sacrements. c'est un problème.
Beaucoup de communautés chrétiennes, surtout dans la montagne et la forêt, éloignées des grands axes de communication (certains chemins sont impraticables pendant la saison des pluies), sont livrées à elles-mêmes depuis des siècles. Et pourtant elles sont restées fidèles à leur foi

Beaucoup de prêtres formés dans l'esprit de I'Action catholique et du concile Vatican II sont venus dans les années soixante d'Europe ou d'Amérique du Nord. Ils ont apporté ce nouveau souffle de l'Église, ce nouvel esprit, en s'appuyant dans leur catéchèse, sur la méthode « voir, juger, agir » adaptée à la situation du continent et enrichie par la pédagogie de « conscientisation » du brésilien Paulo Freire.
Ils avaient été formés, dans le mouvement du
« renouveau biblique »
ils étaient bouleversés par la pauvreté culturelle des gens avec lesquels ils avaient choisi de vivre. Ils étaient soutenus par leurs évoques, eux-mêmes formés dans le même contexte. Ils ont favorisé la formation de communautés chrétiennes, comme de petites cellules de la grande paroisse souvent trop lointaine.
C'était recréer, dans le contexte latino-américain les communautés des Actes de Apôtres
Actes 2,42-47

De fait l'organisation globale de ces petites sociétés (commune ou quartier), ont rapidement été prises en mains par leurs membres se substituant à l'administration civile et ecclésiastique déficiente. On se partage les tâches, on élit des responsables aussi bien au niveau de la vie religieuse (catéchèse, liturgie) qu'au niveau de la vie civile (santé, éducation, loisirs, logement etc.). La lecture et les commentaires de la Bible constituent la base de ce partage.

C'est bien un éveil religieux : On ne se contente plus des sacrements, on réfléchit à partir de la Bible sur le sens de la situation de pauvreté que l'on ne ressent plus comme fatale. Contrairement à une certaine prédication traditionnelle on se rend compte que là n'est pas la volonté de Dieu, qu'au contraire l'homme peut et doit prendre en mains son destin, participer à la transformation du monde, lutter contre l'injustice. On comprend que le « salut » n'est pas seulement une affaire individuelle mais que c'est ensemble que l'on va vers le « Royaume ».

Je crois en toi, compagnon,
Christ humain, Christ ouvrier,
Vainqueur de la mort.
Par ton sacrifice immense
Tu as engendré l'homme nouveau pour la liberté.
Tu ressuscites tous les jours dans chaque bras
Qui se lève pour défendre le peuple
De la domination des exploiteurs.
Car tu es vivant au ranch, à l'usine, à l'école.
Je crois en ta lutte sans trêve.
Je crois en ta Résurrection.

 

Cette confession de foi ne remplace évidemment pas le symbole de Nicée Constantinople. Il demeure un des textes fondamentaux de la liturgie du dimanche, mais il est trop abstrait pour des gens sans formation théologique.
Les chrétiens d'Amérique latine formés dans les communautés de base ont besoin de s'exprimer plus simplement, de parler d'un Christ proche d'eux. Leur foi est enracinée dans la vie quotidienne. C'est pourquoi ils s'expriment avec leurs paroles de pauvres. Ils sont pauvres de tout. Ils n'ont pas assez de terre pour nourrir leur famille; ils sont analphabètes car les écoles sont éloignées et il y faut des chaussures ! ils sont marginalisés, ne participant pas à la vie politique et sociale.

Mais tout ceci est entrain de changer, grâce en partie aux communautés de base et ils se sont mis en mouvement.
Ils ne veulent plus être les objets mais les sujets de leur histoire ; ils veulent la faire eux-mêmes, ce qui leur a toujours été refusé. Tout ceci signifie un profond changement à tous les niveaux: C'est la libération.
De puissants intérêts sont ainsi dérangés, ce qui a entraîné oppression, emprisonnements, disparitions, tortures, assassinats comme celui de Mgr Romero et de bien d'autres : des dizaines de milliers d'autres.

Monseigneur Romero était depuis 1978 archevêque de San Salvador, capitale d'El Salvador, nom qui signifie « le sauveur » ! Il avait pris le parti des pauvres dans un pays profondément marqué par la misère du plus grand nombre, face à l'opulence de quelques uns. Il était lui-même d'origine modeste.
Cependant sa formation et son tempérament pacifique ne le portaient pas naturellement à s'affronter aux puissants. Sa
« conversion »
a eu pour origine une double proximité : celle des pauvres qu'il visitait fréquemment et celle de l'Évangile dont il faisait sa méditation quotidienne.
Peu à peu la population s'était organisée revendiquant une vie plus digne et la réponse du pouvoir était la répression. Mgr Romero dénonçait sans cesse ce qu'il appelait dans ses homélies et ses lettres pastorales les
« structures de péché ». Défenseur des pauvres il a été assassiné par le pouvoir qu'il gênait.

Certains parlent alors de « communisme », ce qui les dispense de réfléchir et de se mettre en question. Mgr Romero essayait tout simplement de comprendre le sens évangélique des luttes menées par ses fidèles. En ce sens il « faisait de la théologie de la libération », c'est-à-dire qu'il essayait d'éclairer une expérience, une pratique, par la lumière de l'Évangile.

Quant à ceux qui l'ont assassiné, ils défendaient avant tout leurs intérêts de classe. Mais l'argument de la lutte contre le communisme était particulièrement efficace auprès de beaucoup de gens au moment de l'affrontement Est-Ouest. Aujourd'hui cet argument porte moins, encore qu'il soit toujours utilisé par ceux qui refusent le changement : il faut bien se désigner un ennemi !
Mais les pauvres que je viens de rencontrer au Guatemala, les Indiens misérables ne savent rien de Karl Marx. Ce qu'ils veulent c'est défendre leurs droits, leur dignité d'hommes et de femmes, leur culture, leurs terres. C'est pour cela qu'ils se sont organisés; mais le seul fait de s'organiser alors qu'ils ne disposaient jusque là d'aucun droit, est déjà subversif. En leur attribuant de plus l'étiquette de
« communistes » on les désigne comme ennemis.

En fait ils s'opposent à un système qui est la cause de leur pauvreté, de leur marginalisation. Les communautés de base ne se contentent pas de faire la charité : elles prennent en mains les intérêts de leur environnement naturel, s'opposent aux pouvoirs, construisent une nouvelle société, un « homme nouveau » selon l'expression de l'apôtre Paul et c'est là l'utopie qui les anime.
On ne peut séparer la théologie de la politique, la foi de la vie, le sacré du profane. Les théologies de la libération partent d'une pratique, celle de la lutte des peuples pour leur libération et réfléchissent au sens de cette pratique du point de vue de l'Évangile. Un phénomène semblable se développe en Asie et en Afrique, principalement en Afrique du Sud.

Quant au Vatican il est obsédé par le communisme et connaît mal le monde des pauvres. Il est vrai que les théologiens de la libération utilisent des grilles d'analyse de leur société empruntées aux sciences humaines et parfois au marxisme, tout simplement parce que les textes du magistère ecclésiastique n'en offrent pas de sérieuses. Mais cela ne signifie pas qu'ils adoptent l'idéologie marxiste; ce serait un amalgame malhonnête que de le prétendre.

Dieu a entendu le cri des pauvres. Les principes sur lesquels ils s'appuient sont ceux de la Révélation et de la tradition la plus authentique: La Bible oecuménique utilisée en Amérique latine porte d'ailleurs pour titre : « Dieu parle aujourd'hui ».
Pour moi c'est un scandale de constater l'incapacité du Vatican à répondre à ces grands problèmes du monde actuel. Les pauvres représentent aujourd'hui la moitié de la population mondiale. C'est vers cette population que Jésus est allé en Palestine et les membres des communautés de base retrouvent en eux l'histoire de Jésus, de même qu'ils revivent dans leur chair l'Exode avec Moïse, I'histoire de l'Alliance entre Dieu et son peuple. Ils ont retrouvé la Bible, la parole des prophètes à travers leur vie quotidienne éclairée par cette lecture, en un va-et-vient continuel.

Christ, Christ Jésus, identifie-toi à nous.
Seigneur, Seigneur mon Dieu, identifie-toi à nous.
Christ, Christ Jésus, solidarise-toi
Non pas avec la classe des oppresseurs
Qui dévore la communauté,
Mais avec le peuple opprimé, assoiffé de paix.

 


« La mort est sur nous ! » Combien de fois ai je entendu ce cri au Guatemala ou au Mexique dans la bouche d'un évêque, de prêtres ou d'lndiens : C'est leur réalité quotidienne, c'est l'histoire de Jésus-Christ vécue dans leur expérience propre. Ils y entendent l'appel au changement, la réponse à leurs aspirations. Jésus-Christ ne peut être que de leur côté parce qu'en face, c'est le dieu argent, le pouvoir implacable de l'armée, le mépris de l'homme.
La conversion n'est pas seulement affaire individuelle, se lever pour la défense de l'homme c'est faire le cheminement du Christ.

Églises protestantes et sectes évangéliques doivent être nettement distinguées : I,es sectes évangéliques ont été introduites en Amérique latine par les États-Unis pour contrebalancer l'influence de l'Église catholique conciliaire et des communautés de base.

La politique américaine en Amérique latine ne s'impose pas seulement par les armes mais aussi et de plus en plus par la lutte idéologique, par la doctrine de la « sécurité nationale » qui oriente la politique de beaucoup de gouvernements. Les sectes sont un des instruments de cette stratégie.
Elles se réfèrent à l'Évangile, certes, mais l'interprètent à leur façon et leur relation au Christ est d'ordre individualiste et affectif, pour ne pas dire hystérique.
Elles prônent un spiritualisme désincarné qui pousse les gens à se désintéresser de l'action politique pour se réfugier dans un monde de fantasmes.

Par contre, il existe des communautés protestantes : luthériennes, baptistes ou autres qui sont proches des communautés de base. Certaines sont d'ailleurs oecuméniques.
Mais dans les Églises protestantes on retrouve les mêmes clivages que dans l'Église catholique : ceux qui sont aux côtés des pouvoirs et ceux qui sont aux côtés des pauvres.

Le cinquième centenaire de la « découverte » de 1'Amérique a provoqué un congrès : « Cinq cents ans de résistance indigène et populaire » Ce sont les organisations indiennes de tout le continent ainsi que les organisations populaires, syndicats paysans et autres, qui ont créé une coordination pour s'opposer à ce que cette célébration soit trop triomphaliste !

Le père Albert Nolan, théologien d'Afrique du Sud a écrit :

« Porter la bonne nouvelle aux pauvres, c'est les libérer par la Parole »

10:40 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION. | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  del.icio.us | | Digg! Digg | |  Facebook | | | Pin it! |