23/09/2008
MAURICE ZUNDEL LE LIBÉRATEUR.
Philosophe, M. Zundel a fait sa thèse de doctorat sur L'influence du nominalisme sur la pensée chrétienne. Il a saisi le courant de pensée qui va du nominalisme du XIVe siècle à Kant et qui donne à la morale de l'obligation son fondement. C'est cette morale qui est remise en question, ébranlée dans ses bases. «Où trouver désormais, écrit-il, un absolu moral jouant le rôle de l'impératif catégorique qui était pour Kant une évidence première et incontestable» (J.E.A, p. 59). Pour M. Zundel, il faut redonner à la morale un fondement ontologique. «Le règne de l'obligation présente trop de fissures pour durer. Il faut chercher à l'ordre moral, pour l'enraciner en nous, un autre fondement que le simple diktat, le décret souverain autant qu'arbitraire d'une volonté absolue, quelle qu'elle soit» (3).
Le philosophe Occam, qui est à l'origine du nominalisme du XIVe siècle, affirmait qu'il n'y a ni bien ni mal en soi : l'un et l'autre reposent sur la seule volonté de Dieu qui aurait pu décréter le contraire.
C'est du moins ainsi qu'il fut compris. Autre conséquence, l'homme ne peut connaître le bien et le mal que par révélation. En d'autres termes : un acte est bien parce que Dieu me dit qu'il est permis, un acte est mal parce que Dieu m'a dit qu'il est interdit. Zundel, lui, veut montrer que Dieu permet tel acte parce que cet acte est bon pour moi, pour mon épanouissement ou pour le bien de la société et qu'Il défend tel acte parce qu'il est mal, destructeur pour moi ou pour la société.
Théologien, M. Zundel s'est aussi appliqué à montrer comment le règne de l'obligation s'enracine profondément dans l'Ancien Testament et comment, malgré les évangiles et saint Paul, ce règne de l'obligation a influencé l'éthique de la chrétienté (M.M., pp. 25 ss). Pour sortir la morale du règne de l'obligation, il faut retrouver son fondement ontologique. Pour l'abbé Zundel la morale est une exigence d'être. «Le devoir humain est simplement le devoir d'être, d'être tout ce que l'on est» (R.P., p.189).
La morale, une exigence d'être
Dans cette perspective, la morale est «une promotion d'existence» (4) une exigence de mon véritable épanouissement, une exigence d'épanouissement de mon être. M. Zundel rejoint profondément, au delà d'une scolastique décadente, la pensée de Thomas d'Aquin pour qui la morale est une morale du bonheur, une morale de l'épanouissement de l'homme. «Être ou ne pas être, toute la question est là, déclare-t-il ; sous cet aspect, la morale est l'ontologie ou la métaphysique d'un être inachevé qui doit se faire autant qu'il faut pour atteindre à soi» (D.V., p.151).
Les commandements de Dieu expriment alors les exigences authentiques de mon être, de ce que je suis en profondeur. C'est pourquoi la morale me dit: «Sois, deviens ce que tu dois être.» Il s'agit là d'une ontologie créative. «Le seul problème est finalement de se faire homme» (D.V., p. 99). «C'est dans cette marche vers un plus-être, où s'atteste le progrès de notre liberté, que notre expérience nous incline à situer la morale, en identifiant celle-ci avec les exigences de l'ontologie créatrice où notre existence est promue au niveau humain, où elle devient origine» (D.V., p.156).
Et c'est finalement dans et par la communion avec Celui qui est l'Être absolu, Dieu, que l'homme trouvera l'épanouissement plénier de son être. Cet Autre, selon M. Zundel, est intérieur à nous-mêmes: «Il est Celui que nous rencontrons, dès que nous nous rencontrons vraiment nous-mêmes : comme le coeur de notre intimité. Et c'est pourquoi dans le silence de nous-mêmes, quand nous faisons taire tous les bruits, nous percevons cette musique silencieuse qui est le Dieu vivant» (J.E., p. 30).
Dieu n'est plus alors une limite, une menace mais une Présence qui veut m'aider à être, à devenir celui que je dois être, en m'unissant à Lui. Cette morale de l'être implique tout un travail de libération de tout ce qui nous empêche d'être, de nous faire homme. «Pour être plus qu'un objet, il faut passer de quelque chose à quelqu'un» (J.E., p. 26). Il faut conquérir notre liberté.
Une morale de libération
Pour devenir pleinement homme, il faut devenir pleinement libre. Il s'agit donc de se libérer de toutes les contraintes intérieures et extérieures et de choisir tout ce qui va dans le sens d'une valeur infinie, absolue, capable de combler le besoin d'infini inscrit dans notre être et jusque dans nos passions. M. Zundel a cherché à intégrer dans sa conception de la morale les découvertes de la psychologie des profondeurs et de la psychanalyse. Il a fortement insisté sur la nécessaire libération de ce qu'il appelle le «moi-biologique» ou «le moi infantile», «le moi captatif». «Le premier pas à faire, dit-il, est de prendre conscience que ce je-moi primitif, passionnel et complice, qui domine habituellement tout le champ de notre vie psychique, est lui-même préfabriqué, qu'il tend à nous ramener à un univers instinctif et animal, qu'il nous voile notre pouvoir être et qu'il nous détourne de l'accomplir. D'où il suit qu'il s'agit, d'abord, de nous libérer de ce je-moi où se concentrent toutes nos servitudes» (J.E., p. 67).
Il s'agit d'ordonner nos instincts, nos passions dans la lumière de l'esprit, d'établir en nous l'harmonie entre les tendances diverses qui nous habitent dans la force de l'esprit. «Si, en effet, l'inconscient peut nous dominer autant que Freud le démontre, la seule manière de ne pas le subir est de l'éclairer et de l'ordonner par le fond, en purifiant les racines de notre être. Nos passions, j'entends tout ce dynamisme instinctif qui bouillonne sous le seuil de la conscience comme un immense «Le devoir humain est simplement le devoir d'être.»
Réservoirs d'énergies, nos passions seront mises, par cette harmonisation foncière, au service de notre libération, Le plus souvent elles nous égarent, parce que nous engageons en elles, à l'envers, toute notre capacité d'infini, comme si elles pouvaient réellement nous donner l'infini dans une tumultueuse vibration qui aboutit toujours, finalement, à la domination sur nous des instincts non rectifiés. Nous pouvons faire heureusement de nos passions un meilleur usage, en les intériorisant, en les personnalisant : jusqu'à cet apaisement diaphane où le bruit se transforme en musique. Alors elles deviennent le clavier des Vertus» (J.E. pp. 70-71). C'est dans cette lumière et dans cette perspective que M. Zundel parlera de la sexualité humaine comme d'un «altruisme scellé dans notre chair» et de la nécessaire vertu de chasteté pour tous et pour chacun (R.P., pp. 169197 et J.E., pp.145-160, etc.).
Fondamentalement, cette libération des contraintes intérieures appelle une désappropriation radicale de soi, une pauvreté qui s'épanouit dans un amour oblatif, dans le don de soi. Désappropriation, dépossession, désaliénation, autant d'expressions pour exprimer cette bienheureuse pauvreté de soi dont M. Zundel voit la source et l'exemplaire dans «la désappropriation qui fait de chaque personnalité divine une pure relation aux deux autres, par le don total de soi qui la constitue» (5). Cette libération intérieure, ce passage du moi-biologique captatif au moi-personne, au moi-valeur, au moi-oblatif n'est pas chose facile ; elle est un long et patient processus. «Elle correspond à la grandeur de notre vie, qui a la Croix pour mesure» (J.E., pp. 27 et 72).
La morale sociale
La conquête de notre liberté implique aussi la libération des contraintes extérieures. Je ne peux donner ici qu'un bref aperçu de la morale sociale de l'abbé Zundel. Nous l'avons vu, la morale veut permettre l'éclosion du moi-personne. C'est donc aussi la personne qui est au centre de la morale sociale de M. Zundel la société humaine doit favoriser l'épanouissement de la personne humaine et non l'asservir, elle doit créer un contexte social qui favorise sa libération intérieure (6).
C'est ainsi que le droit de propriété et le travail doivent permettre le développement du moi-personne dans la relation aux autres. Ainsi, écrit-il, «la définition du droit de propriété qui s'est imposée à nous - un espace de sécurité qui garantit un espace de générosité - implique précisément cette régulation interne qui en rend l'abus strictement impossible. Comment pourrais je, en effet, réclamer pour moi les conditions matérielles qui me permettent d'accéder à la dignité humaine, de devenir source et fin, valeur et générosité, et accepter qu'autrui demeure écrasé par sa biologie dans une situation qui l'empêche d'émerger ? Et, à plus forte raison, comment pourrais-je, en étendant indûment mon espace de sécurité au détriment du sien, assumer la responsabilité de son écrasement ? Il est clair qu'à ce point le droit m'abandonne et me condamne, qu'il cesse de couvrir ma propriété et qu'elle en perd immédiatement toute légitimité» (7). Quant au travail, M. Zundel reviendra souvent sur cette affirmation qu'il considère comme un principe fondamental : «Le travail doit produire des hommes avant de produire des choses ou, plus exactement, doit viser essentiellement à une promotion humaine à travers la production des choses» (J.E., p. 190). Pour cela «il en faut modifier essentiellement la structure» (C.V.H., p. 89.).
Dès les années 30, M. Zundel est préoccupé, angoissé devant le développement des structures économiques mondiales. Il serait urgent, dit-il, «d'organiser l'école et l'usine, la ferme et la cité, en faisant de chacun de ces milieux un instrument d'humanisation» (C.V.H., p. 89). Aussi appelle-t-il les chrétiens à s'engager pour sauver l'homme : «II faut que les chrétiens n'aient point de repos avant d'avoir fait aboutir toutes les réformes que la justice réclame et que la charité exige avec l'urgence infinie qui émane de 1 Esprit» (R.P., p. 217). Lui-même s'est essayé à faire des propositions concrètes comme celle d'une Union économique universelle dont il détermine les buts et les structures (8).
Une morale de l'amour
Libération intérieure et libération extérieure doivent permettre l'élan vers les valeurs infinies, absolues. Cet élan vers l'Infini est lui-même libérateur car: «Il n'y a que le don de soi qui rende libre» (IT., p. 92). En effet, «être libre, c'est d'abord être libre de soi et, comme un oiseau qui ne serait que vol, se projeter tout entier en élan où le don de soi s'accomplit» (IT., p.186) .
Morale de libération, la morale telle que la conçoit Maurice Zundel est une morale de l'amour. L'épanouissement de notre être est dans l'amour. Un amour oblatif, un amour don de soi, un amour qui nous libère de nous-mêmes, nous arrache à nous-mêmes, nous fait sortir de nous-mêmes. L'amour est extatique. L'amour, dira M. Zundel, «est la clé de voûte d'une morale de libération» (J.E., p.73). On le sent, lorsqu'il parle d'une morale de l'amour, très marqué par la pensée de saint Augustin. «L'amour, dit l'abbé Zundel, est vraiment la seule clé de ce monde de l'esprit où résident toutes nos valeurs. Nous n'y pouvons pénétrer, progresser et demeurer que par un engagement sans cesse renouvelé, que par un amour toujours plus généreusement donné, que par un dépouillement plus profond. Il n'y a pas d'autre voie pour résoudre le problème que nous sommes, qui est au fond le seul problème» J.E., p. 29).
Si l'amour-don me libère de moi-même, s'il est (épanouissement authentique de mon être dans l'ouverture aux autres et à l'Autre, il est alors vraiment ma suprême règle de vie. C'est pourquoi, M. Zundel citera souvent la parole d'Augustin : «Aime et fais ce que tu veux» Saint Paul ne dit-il pas lui aussi
«La charité est donc la Loi dans sa plénitude» (Rm, 13,10). Réaliste, M. Zundel est bien conscient des risques d'une telle assertion car, dit-il, «cette formule ambiguë est invoquée par le moi-biologique pour se dissimuler sous les traits usurpés du moi-personnel» (LT., p. 108). Il faut donc l'entendre selon la pensée d'Augustin «d'un amour parfait du souverain Bien, devenu l'unique principe d'action, l'unique foyer de tout amour» (LT., p. 108). De même, bien conscient qu'en l'homme pécheur la raison est obscurcie, captive de notre moi-biologique, M. Zundel met en garde contre un mépris de la loi divine décalogue, béatitudes - précieuse pour éclairer notre intelligence dans la connaissance de notre vrai bien. (J.E., p. 72).
Aime et fais ce que tu veux, oui s'il s'agit de l'amour de Celui qui habite au fond de nous-mêmes et qui est Lui-même l'Amour. C'est cet amour qui est libérateur. «La seule possibilité d'un tel affranchissement est de nous donner, par le fond de nous-mêmes et jusqu'à la racine de notre être, à un Amour capable de nous accueillir et de nous combler. C'est par là que nous devenons des ex-sistant, que nous sortons de nous-mêmes pour parvenir à nous-mêmes : à travers une Présence plus intime à nous-mêmes que le plus intime de nous-mêmes» (J.E., p. 68).
Une vie dans le Christ
La conception de la morale de l'abbé Zundel peut nous apparaître comme un idéal inaccessible. Il l'est certainement si nous sommes livrés à nos seules forces. Mais pour M. Zundel, cet idéal moral est rendu accessible par le Christ et le don de son Esprit d'amour. Commentant dans une homélie le passage de l'épître aux Philippiens - «pour moi, vivre c'est le Christ. Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi» = il disait: «C'est une découverte qu'il faut faire sans cesse. Le Bien est Quelqu'un, le Bien est une Personne, le Bien est une Vie, le Bien est un Amour et toute la sainteté est là : laisser vivre cet Autre en nous, qui est confié à notre amour, nous retirer devant Lui, Lui être un espace, Lui devenir toujours plus transparent afin que notre vie soit la révélation de la sienne ...»
C'est aussi le conseil qu'il nous donne lorsque nous sommes tentés de nous replier sur notre moi-biologique, sur nos instincts et nos passions : «Une lutte exaspérée contre nous-mêmes ne fait que rendre la tentation plus violente et plus fascinante. Il s'agit bien plutôt d'échapper à nous-mêmes en nous rassemblant en Dieu, en nous recueillant dans sa Présence, en cessant de faire du bruit avec nous-mêmes» (T.V.M., p. 311).
Finalement, toute la morale de M. Zundel est une invitation à devenir ce que nous devons être dans et par une union toujours plus profonde avec le Dieu d'amour qui habite en nous et qui va inspirer tous nos actes. C'est dire que la frontière entre morale et mystique s'estompe. C'est pourquoi, il pourra dire dans une homélie : «Il n'y a pas de morale chrétienne. Il y a une mystique chrétienne. L'immense majorité des chrétiens ne s'en sont pas aperçus» (T.V.M., p. 290).
Une morale de l'intériorité
Dans le même sens et dans toute la perspective de sa morale, il a pu dire : «Permis ou défendu, ce sont des choses qui n'ont pas de sens au regard de 1 Évangile, parce que Dieu n'est plus perçu comme extérieur à nous, comme étranger levé sur la montagne, et qui donne sa loi parmi le déchaînement de la foudre et du tonnerre. Nous voyons dans ]Évangile s'esquisser cette nouvelle morale ... C'est l'ordre de l'amour qui importe, c'est le don de soi, c'est la générosité provoquée par la générosité divine» (TV.M., p. 290). Dans l'optique de toute la morale de l'abbé Zundel, le péché n'apparaît plus comme une désobéissance au commandement d'un Dieu qui, à l'extérieur de nous-mêmes, dicte ses volontés mais comme un refus de devenir ce que je dois être, un refus de l'amour qui me sollicite intérieurement pour me conduire au véritable épanouissement de mon être
«C'est se river à son individu, en exaltant ses limites, en refusant d'être universel, en refusant d'être éternel, ou comme dit saint Paul d'un mot unique, en éteignant 1'Esprit» (R.P., pp. 178 -179).
Décrire en un article toute la conception de la morale de l'abbé Zundel, c'est un peu la quadrature du cercle. La richesse de sa pensée est telle qu'il est difficile d'en faire saisir toute la profondeur et toutes les nuances. Dans la crise actuelle que connaît la morale, M. Zundel nous donne les fondements d'un enseignement de la morale renouvelée. Morale de l'être, morale de libération et d'amour, la morale de l'abbé Zundel est une morale de l'intériorité et de la personne. Elle appelle des éducateurs et des accompagnateurs avisés, des éveilleurs à l'intériorité de la personne et aux exigences d'un amour authentique. Dans la préface de Quel homme et quel Dieu, le Père Carré écrit : «L'actualité de son message ne fait que commencer.» Cela me paraît particulièrement vrai de son message moral.
11:01 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans MAURICE ZUNDEL. | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
21/09/2008
Lire Zundel m’a appris à voir le monde avec un regard d'enfant.
Comment passe-t-on de la recherche et de l’enseignement à la vie d’un curé de montagne dans le village le plus haut d’Europe, après quinze années dans l’industrie comme ingénieur de recherche en mécanique (hydraulique, nucléaire, acoustique sous-marine, aéro-spatiale).? Il fallait sans doute tomber " Très-bas " pour monter aussi haut. Quelle folie créatrice, quel vide fallait-il traverser pour faire ce passage? Dans quel abîme de désespoir fallait-il être plongé pour aller chercher si haut quelque chose que l’on cherchait ici-bas? Chercheur de vérité et de beauté, ne suis-je pas toujours en marche vers de nouveaux horizons, vers de nouvelles découvertes, de nouveaux visages, toujours émerveillé par la beauté et sensible au désespoir des hommes d’aujourd’hui.
La rencontre de Maurice Zundel m'a permis de sortir d'un regard soi-disant scientifique sur le monde. Soi-disant, car en fait ce regard était un regard rempli de désespérance, fruit d'une éducation trop exclusivement rationnelle. Avec Zundel, je suis progressivement sorti du monde de l'extériorité, de l'horizontalité et du bruit, pour atteindre des sommets de silence et de la solitude. N’oublions pas que Zundel est né et a vécu aux pieds du Jura et des Alpes, à Neufchâtel, à Lausanne et à Bex, entre lac et montagne où la beauté des paysages ouvre le regard sur l’autre coté du monde. En montagne, la nature nous invite à prendre de la hauteur, à changer de perspective, à voir les choses autrement, à passer des vérités de la plaine aux vérités de la montagne.
Lire Zundel m’a appris à voir le monde avec un regard d'enfant, c’est-à-dire avec plus de simplicité et de transparence; Zundel ne sacralise pas, il ne cherche pas à idéaliser, mais il accueille la présence des choses et des êtres dans leur nudité, tels qu’ils adviennent dans leur apparaître. Il ne s’agit pas ici ni de rêver ni de fuir dans un autre monde mais de voir et de vivre, ce monde-ci, autrement. Zundel ne nous fait pas changer de monde, mais plutôt de vision du monde. Il m'a libéré de la simple subjectivité de l’artiste mais surtout de la froide objectivité du scientifique pour m’initier à un regard autre sur un monde Ouvert, Vierge et Transfiguré.
Ce regard zundelien ne vit pas dans un rapport fusionnel avec les choses, ni ne s'en sépare en les jugeant de l'extérieur, mais, simplement, il s'émerveille de leur présence, sans jugement ni exaltation. Ce regard d’espérance, n’est pas une simple illusion, ni un optimisme béat, mais une douce folie, celle de l'évangile; par-delà les illusions et les désillusions, l’enchantement et le désenchantement du monde, Zundel nous apprend à écouter la musique silencieuse des choses, celle que le Verbe chante à travers sa création. Par delà les contradictions de l’existence, Zundel nous initie à une logique autre que celle de la simple rationalité fondée sur le principe d’opposition. Zundel nous fait retrouver dans la grande tradition Taoïste, que l’on rencontre chez Nicolas de Cuse, qui est réconciliation des contraires et coïncidence des opposés. Folie humaine ou divine sagesse? Ou simplement " Docte Ignorance " de l’expérience du vide chez nombres de mystiques d’Orient et d’Occident?
Ne voir que les contradictions ne nous enferme-t-il pas dans le monde clos de la rationalité. Ne voir les choses que du dehors, n'est-ce pas méconnaître leur intériorité et donc la dignité et la grandeur de l'homme, c'est à dire sa liberté. En ne regardant que les oppositions, ne risque-t-on pas de ne voir que la face défigurée du monde en oubliant son coté transfiguré? Notre foi ne nous appelle-t-elle pas, d’abord, à regarder du coté de la Lumière de Pâques? C'est là le pari et peut-être la folie zundelienne. Les signes de désespérance ne sont-ils pas aujourd'hui les traces du Visage défiguré du Christ dans l'agonie de notre civilisation?
Les choses, alors, n'engendrent-elles qu’angoisse du vide et ne plongent-elles pas l'homme dans le néant et l'absurde? Ne sont-elles pas aussi des appels à la liberté et à l’éveil de la conscience. Zundel a ce regard d’éternité, qui sauve l’homme parce qu'il le libère de lui-même, en le libérant de tout jugement sur les événements, sur les autres et sur Dieu. Le monde visible n'est plus clos sur lui-même, il s'ouvre sur l'infini. "L'univers n'est plus qu'un immense sacrement, l'infini est au cœur de la matière transfigurée". Zundel nous apprend à devenir libre des jugements qui nous enferment, et donc vide d’angoisse et rempli d'espérance. Pourquoi croire en quelque chose, dans des espoirs humains quand il nous faut croire en Quelqu'un. Alors le donné est transformé en don, le visible n'est plus désespérant car il est la trace de l'invisible.
Par delà les espoirs et les désespoirs humains, l'espérance zundelienne est une épreuve, celle d’un saut dans le vide,… de l'abandon et de la confiance en la vie. Elle n'est pas seulement une espérance sur un Au-delà, elle se tient dans la pure éclaircie du tombeau Vide, dans l'attente de la résurrection qui est à la fois déjà là et pas encore. "La présence efficace, quelle qu’elle soit, écrivait Heidegger, se tient dans la pure éclaircie du Vide ou du Rien…Ce vide n’est pas l’évacuation du monde, le Rien n’en est pas l’anéantissement, mais la condition de sa manifestation." Le vide est le contrepoids de la pesanteur. Ou plutôt, entre la pesanteur et la grâce, il y a le vide, qui est le centre de gravité de tous les équilibres physiques et spirituels. Depuis Pascal, ce n'est plus la nature qui a horreur du vide, mais la pensée des hommes. Si l'homme désespère, c'est parce qu'il a peur du vide et de la pauvreté, qu'il a peur d'avancer sans voir et sans maîtriser son avenir. Au contraire à l'épreuve de la réalité, Zundel nous montre que le vide, l’abandon et la pauvreté en esprit sont, au cœur de l'être, la condition nécessaire à tout équilibre sur terre comme dans le ciel.
Il y a un temps pour tout, un pour le plein, un pour le vide, il y a un temps pour construire, un temps pour détruire. il y a un temps pour naître et un pour mourir. Un avant et un après. Mais entre les deux il y a le "maintenant", " l’entre-deux " de nos deux mains vides, il y a le temps de vivre la grâce de l’instant présent. Entre le vide et le plein, " il y a ", ce " je ne sais quoi ", ce " presque rien " qui ne mène " nulle part ", sinon à la dynamique créée par la tension entre l’ombre et la lumière. Entre l'absence et la présence, il y a une porte étroite, un vide qui permet de passer de l'autre coté des choses, il y a un saut dans le vide, celui de la foi, comme l’écrit G. Bernanos : "La foi, c’est vingt quatre heures de doute, moins une minute d’espérance". De cette foi de Zundel, jaillit alors son espérance dans l’homme, comme espérance de Dieu. "La vraie vie, alors, ne peut se saisir et la mort ne l'arrête pas. Au delà du tombeau, où le cœur spirituel bat éternellement, des mains invisibles sont tendues vers nous, écrivait Zundel. La vie, par delà les espoirs et les désespoirs humains, aboutit inévitablement à cette rencontre, à cette Présence inépuisablement nouvelle où la personne respire."
François Darbois, le 15 juin 1997
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Le mystère de l'Église.
Fin des notes des conférences données à Val saint François en août 1933.
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20/09/2008
Nous sommes tous appelés à la maternité de l'esprit.
Notes (non revues par Zundel), trop elliptiques, sur le mariage. Maurice ZUNDEL. |
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19/09/2008
DIEU EST LA BEAUTÉ.
Début de la retraite donnée par M. Zundel au Val Saint François en août 1933. Notes succinctes.
« Laissez-vous entraîner par Jésus, laissez-vous faire par Dieu, cessez de vous voir vous pour voir le Christ.
La religion n'est pas un devoir, c'est un mariage d'amour avec Dieu, regardons le visage d'amour du Père, du Fils , du Saint Esprit. Que ce soit votre principale occupation pendant cette retraite, faites-la sans contention, avec une grande joie.
Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous, vous êtes le tabernacle vivant où Dieu demeure.
Seigneur, puisque vous êtes là en moi, faites que je vive de cette Présence, même sans la sentir.
Priez toujours en écoutant, faites du silence.
Le problème de Dieu, sa recherche.
Pour le monde la religion est une sorte d'assurance contre l'enfer. A part cela, elle ennuie. Pour nous, faisons la découverte de Dieu.
Dieu est la beauté. Toutes les oeuvres d'art ne sont qu'un coup d'aile vers la beauté, elles ne sont qu'un lieu de passage et elles ne deviennent parfaites que lorsqu'elles nous font les dépasser elles-mêmes. Cependant, on ne l'atteindra jamais, puisqu'elle est infinie. Dieu seul est LA Beauté.
Notre conscience nous dit de monter toujours. Nous avons un idéal qui nous porte, nous appelle ou nous condamne, l'Idéal, c'est Dieu. Il est pure lumière. Nous devons immoler toutes les fibres de notre être pour Dieu : Idéal de Sainteté. Idéal de Beauté. Idéal de pureté. Idéal de Lumière.
La plus belle et la plus dangereuse des expérience : l'amour. Goethe a dit : c'est de l'amour seul que nous sommes amoureux. Il n'y a rien de plus juste.
Le langage de l'amour est l'adoration, mais c'est Dieu seul que l'on peut adorer, et l'amour en soi doit conduire au coeur du Christ, source du premier amour.
Dieu est la réalité de la Beauté, de l'Amour, de la Sainteté, de la Vérité, de la Bonté et, de fait, nous n'agissons jamais que pour atteindre ces choses et c'est ce que nous demandons dans ceux que nous aimons.
Dieu est une découverte perpétuelle, toujours nouvelle. Nous savons ce que Dieu n'est pas, mais nous ne Le connaissons pas, nous entrons dans le nuage de l'Inconnaissance . On peut L'aimer mais on ne peut ni Le penser, ni Le dire. » ...
12:01 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans MAURICE ZUNDEL. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
Dieu, c'est quand on s'émerveille!
Homélie prononcée à Notre Dame du Valentin, Lausanne, le 5 février 1961
Publiée dans Ton Visage ma lumière, Éd. Desclée
En effet, il est impossible de concevoir une religion vivante si Dieu ne nous est pas neuf, chaque matin. Nous nous lassons du déjà vu, nous éprouvons constamment le besoin d'un renouvellement. Et un amour qui chaque jour ne découvre pas dans le visage aimé un trait encore inaperçu est bientôt condamné à mort.
La vie de l'Esprit est une découverte inépuisable et il est indispensable, pour que Dieu devienne pour nous un objet passionnément aimé, il est indispensable que, chaque jour, Dieu soit pour nous une découverte nouvelle. Nous avons l'habitude de parler de Dieu dans les termes du catéchisme, et il nous semble que nous tournons dans un cercle fermé. En réalité, les mots du catéchisme, si nous les comprenons bien, ce sont des mots-sacrements, ce sont des mots ouverts, ce sont des mots qui nous invitent à nous engager dans une aventure inépuisable et merveilleuse.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard que l'Église, dans sa liturgie, ait rassemblé autour de l'autel les parfums, les couleurs et les sons. Ce n'est pas un hasard que les plus grands artistes aient travaillé pour l'Église et édifié leurs plus beaux chefs-d’oeuvre dans la cathédrale et autour de l'autel de l'Agneau éternellement immolé. C’est que, justement, ils sentaient qu’en Dieu et pour Dieu, toute cette nostalgie en eux de la Beauté allait trouver sa plus haute expression et son suprême épanouissement.
Tous les grands hommes, tous les génies, tous les savants, tous ceux qui sont à la tête de la course dans l'humanité, sont des êtres qui ont su admirer et s'émerveiller. Et c'est Einstein, un des plus grands savants de tous les temps, qui a dit ce mot magnifique où il nous révèle son âme : L’homme qui a perdu la faculté de s'émerveiller et d'être frappé de respect est comme s'il était mort.
Il est donc nécessaire qu'en accord avec la beauté de ce jour, où nous éprouvons tant de joie à revoir le soleil, que nous apprenions à nous émerveiller. Car les prières que nous disons, ici, à l'église, les prières que nous disons ensemble, ces prières veulent nous engager dans cette prière secrète, dans cette prière silencieuse, dans cette prière personnelle où le plus intime de nous-même se dit.
Chacun de vous a des goûts particuliers. Chacun de vous est attiré par un certain aspect de l'univers : il y en a qui aiment les bois, il y en a qui aiment la mer, il y en a qui aiment la montagne, il y en a qui aiment la musique, d'autres la poésie; il y en a qui aiment les mathématiques, d'autres l'astronomie, qui d'ailleurs les comprend d'une manière nécessaire, mais chacun dans cette recherche, chacun dans cet amour, chacun dans cette passion, trouve sa source, cette source que Jésus révélait à la Samaritaine au puits de Jacob, et qui nous fait entrer, tous et chacun, dans cette vie éternelle qui est le Dieu vivant au plus intime de nos coeurs.
Il ne faut donc pas penser que la prière pour nous s'épuise dans les formules que nous récitons à l'église, dans le chapelet, dans le chemin de croix, dans le « Notre Père» où le « Je vous salue Marie ». La prière, c'est la respiration de l'âme qui découvre, tout d'un coup, le visage imprimé dans notre coeur.
Et, comme chacun de nous est différent, comme chacun de nous est irremplaçable et unique, comme Dieu ne se répète jamais en créant une âme, il donne à cette âme, justement, il lui confie un rayon de lui-même, et il l’appelle à exprimer sa beauté dans son langage à elle, qui est unique, afin que toutes les âmes, ensemble, constituent une immense symphonie où la beauté de Dieu ne cesse jamais d'être chantée.
Il est donc nécessaire que vous consultiez, que nous consultions chacun nos goûts, que, en dehors de la prière communautaire, nous ayons chacun notre prière personnelle et que, chaque jour, en suivant justement notre élan intérieur, en faisant un tour de piste, en regardant les jeux de la lumière, en admirant le soleil couchant sur les montagnes, en respirant le silence du matin, en écoutant le chant des oiseaux, en mettant un beau disque, en lisant un beau livre ou en contemplant une belle oeuvre d'art ou en nous émouvant sur le sommeil d'un tout petit enfant, il est indispensable que, par tous ces chemins, nous renouvellions en nous notre admiration, sans laquelle notre amour ne saurait se maintenir.
Au fond, tous les saints ont été de grands passionnés et, le plus grand de tous, saint François d'Assise, a voulu mourir en écoutant chanter le Cantique du Soleil. Et saint Augustin, lorsqu’il veut exprimer le mouvement le plus intime de sa conversion, se tourne vers cette beauté toujours nouvelle et toujours ancienne qui est au-dedans de nous, et dans laquelle nous trouvons la plus personnelle et la plus vivante révélation de Dieu, puisque c'est Dieu lui-même, caché en nous comme un soleil, dont la lumière est le jour de notre intelligence et le repos de notre coeur.
Tous les saints sont de grands passionnés et c'est justement, parce qu'ils ont l’enthousiasme de Dieu, que leur vie, naturellement, s'exprime et fleurit en Dieu.
Pour nous aussi, la sainteté, je veux dire cette plénitude d'adhésion qui fait de la vie divine, comme disait saint Augustin, la vie de notre vie, pour nous aussi, la sainteté doit se couler à l'intérieur de cet élan, de cet attrait qui constitue notre goût essentiel, qui constitue notre passion maîtresse, et à travers laquelle nous atteignons à notre enthousiasme le plus total et le plus profond. Il faut donc que chacun de nous, quittant les chemins battus, ne se croie point lié à des formules toutes faites, et ne pense pas qu'il soit indispensable pour prier le matin ou le soir, de dire quoi que ce soit. L'essentiel est de se recueillir.
L'essentiel est d'écouter. L'essentiel est de s’émerveiller. Car, lorsqu'on s'émerveille, lorsqu'on admire, nécessairement on se quitte soi-même, on demeure suspendu à la beauté de Dieu, on se réjouit de sa Présence, on se perd dans son amour.
Et, c'est pourquoi l'essentiel pour nous, pour chacun de nous, ce n'est pas tant de suivre telle ou telle démarche déjà connue, mais c'est, bien davantage, chaque jour, de nous donner la possibilité de nous émerveiller. Si chaque jour, nous respirons, pendant cinq ou dix minutes, le silence où notre vie retrouve son origine, si chaque jour, Dieu nous apparaît sous des traits absolument nouveaux, si chaque jour, nous sommes promus, comme dit un grand poète, à la dignité d'être admirants, alors Dieu n'aura jamais pour nous ce visage du déjà vu, qui nous lasse et qui nous ennuie.
Comment Dieu pourrait-il être pour nous, une source d'ennui et de lassitude s'il est vraiment l'origine de toute beauté, si tous les chants du monde ont leur source en lui, s'il est le lien de toutes nos tendresses, et si tous les grands contemplatifs, qu'ils soient savants, poètes, sculpteurs, musiciens ou mystiques, si tous les grands contemplatifs à travers l'univers, devenu pour eux, transparent à Dieu, ont senti en lui la source d'une découverte qui ne pourra jamais s'épuiser ?
Celui qui aime chante, a dit saint Augustin. Celui qui aime chante, justement, parce que l'amour jaillit toujours de l'émerveillement.
Nous voulons donc essayer de découvrir quelle est en nous la source d'eau vive. Nous voulons aller, chaque jour, à la rencontre de ce puits de Jacob où Jésus nous attend, pour nous révéler le secret le plus profond de notre amour. Nous voulons écouter, nous voulons nous cacher au coeur du silence. Nous voulons entrer dans cette grande procession de la Beauté et alors nous découvrirons, en effet, un Dieu qui nous sera neuf chaque matin, et nous pourrons souscrire à ce raccourci audacieux, qui bouleverse quelque peu le langage, mais qui contient une si profonde vérité : Dieu, Dieu, c'est quand on s'émerveille !
Ne l’oublions pas : « Dieu, c'est quand on s'émerveille! ».
11:18 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans MAURICE ZUNDEL. | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
LA JOIE CHRÉTIENNE.
Article publié dans Foi Vivante, revue des Carmes à Bruxelles en 1964
puis Dans le silence de Dieu, Éd. Anne Sigier
C'est dans la lumière de cette amitié qu'il découvrit l'Amour infini qui l'attendait au plus intime de lui-même et auquel il suffisait de consentir pour jouir d'une liberté qu'il n'avait jamais connue et que les murs de sa prison ne pouvaient aucunement restreindre. Il n'était plus seul dans sa cellule. Un Ami invisible ne cessait de le visiter, en ouvrant à son âme un espace illimité.
En des circonstances bien différentes, une femme totalement paralysée depuis 39 ans et aveugle depuis 30 ans me confiait le secret de son courage et de sa sérénité: dans le bonheur d'avoir été épousée avec cette double infirmité par l'homme qui l'avait aimée - avant qu'elle n'en fut atteinte - dans tout l'éclat de sa jeunesse et qui attestait, par cette fidélité, la valeur unique qu'il attachait à sa personne, véritable sanctuaire de la Divinité.
En des conditions peut-être plus tragiques encore, une Française déportée au cours de la dernière guerre, eut la grâce de découvrir Dieu dans le camp de Ravensbruck où elle endurait d'exceptionnelles privations. Elle en éprouva un tel bienfait que, libérée par la victoire, elle craignit de perdre, dans la dispersion d'une vie dite "normale", la permanence du seul contact qui la pouvait combler.
Qui se douterait de la misère matérielle de Mozart en entendant sa musique, où sa foi ingénue anticipait la joie qu'il espérait de la rencontre avec le Seigneur dont son Requiem respire l'attente Qui sentirait autre chose que pure jubilation dans le "Te decet hymnus" du Requiem de Gilles, où toute chair ressuscite dans la gloire de la Jérusalem nouvelle, dont le Gloria de la Messe en si de Bach semble saluer l'avènement.
L'amour est plus fort que la mort... Il n'y a pas de douleur qu'il ne puisse transfigurer, pas d'infirmité dont il n'allège la pesanteur. Les aveugles sont les grands voyants du monde sonore et c'est à un sourd que nous devons l'Hymne à la Joie le plus triomphant.
Mais si de grandes âmes ont pu vaincre la souffrance, la pauvreté, la prison, les deuils, les humiliations et rendre grâce au poteau d'exécution, comme d'Estienne d'Orves, et chanter jusqu'à l'échafaud comme les Carmélites de Compiègne, on ne s'étonnera pas que l'Amour qui les portait confère à toute existence, pourvue du nécessaire sans épreuve héroïque, un surcroît infini de bonheur et de grandeur, dont témoignent, chacun dans son langage tous les génies, tous d'accord pour reconnaître dans cet Amour qui aimante leur recherche: "La Vie de leur vie."
"Pourquoi vouloir être quelque chose quand on peut être quelqu'un?" écrit Flaubert dans son journal, scandalisé par un billet de Baudelaire qui lui demande de pousser sa candidature à l'Académie Française. C'est qu'il n'ambitionne, lui, Flaubert, d'autre récompense que d'exprimer toujours mieux, en s'effaçant devant elle, cette "Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle" qui ravissait le coeur de Saint Augustin. Avec la même humilité Einstein affirmait que "l'homme qui a perdu la faculté de s'émerveiller et d'être frappé de respect est comme s'il était mort", car il n'aspirait qu'à ce dialogue "mystique" avec un univers perçu dans la Pensée créatrice dont la nôtre tire toute sa lumière. Et qui a mieux chanté "la joie de connaître" que Pierre Termier déchiffrant la genèse de la terre dans le grand Canyon du Colorado?
Mais non moins admirable est ce témoignage d'une pauvre bergère illettrée qui n'arrivait jamais au bout de son "Notre Père" parce qu'elle éclatait en sanglots dès les premiers mots, en pensant qu'une chétive créature comme elle jouissait du privilège incroyable d'invoquer Dieu comme son Père.
Si le message de Jésus s'achève dans ce testament de Joie: "Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite", c'est que tout l'Evangile est la révélation et la communication personnelle du Dieu-Charité, du Dieu qui n'est qu'Amour et dont le Coeur est le berceau de toute réalité.
Ce dimanche rose de "Laetare" oriente nos regards, au milieu du Carême, vers l'univers pascal qui doit fleurir de la Croix, où la création sera ré-engendrée par le Verbe fait chair, en qui l'Amour éternel s'immole pour faire contrepoids à tous nos refus d'amour.
La Musique qui est le chant du Silence, par le ministère des grands Artistes qui sont nos hôtes, va nous disposer à entendre selon le mot de Saint Ignace d'Antioche, ce "mystère de clameur accompli dans le silence de Dieu", dont chaque Liturgie renouvelle la présence et l'appel.
Il ne suffit pas, en effet, que Dieu se donne pour que sa joie soit en nous. Seul le consentement de notre amour peut fermer l'anneau d'or des fiançailles qu'Il ne cesse de nous proposer, comme en témoigne Saint Paul aux Corinthiens dans cette parole qui s'adresse à nous: "Je vous ai fiancés à un Epoux unique pour vous présenter au Christ comme une vierge pure".
Mais comment cela peut-il nous atteindre réellement? Allons- nous verser dans une sensiblerie pseudo-mystique en nous imaginant favorisés, plus que le commun des hommes, des prédilections divines?
Toute illusion à cet égard est écartée par le mandatum qui fait de l'amour effectif envers les hommes le critère exclusif de notre amour envers Dieu. C'est d'abord dans le jardin d'autrui que doit fleurir, par nos soins, la rose du Laetare.
Qu'exige de nous, en famille, au travail et dans toutes nos relations humaines la joie des autres? Nous verrons, sans tarder, qu'elle réclame une attention si constante. un effacement de nous-même si soutenu, qu'ils sont rigoureusement impossibles sans une permanente reprise de contact avec Dieu.
C'est là le noeud des deux préceptes qui n'en font qu'un: l'amour de Dieu et l'amour de l'homme.
L'Evangile est la bonne nouvelle de l'Emmanuel: "Dieu est avec nous". Mais comment l'apprendra l'homme d'aujourd'hui, si le sourire de notre amitié ne lui rend pas sensible le Visage qu'un coeur humain, ne peut reconnaître qu'à travers un amour humain où il transparaît?
Le Testament de joie est remis entre nos mains, comme le plus urgent appel à notre générosité qui en peut seule assumer l'accomplissement dans le monde contemporain, au cours du temps dont chacun de nous dispose pour s'éterniser.
09:02 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans MAURICE ZUNDEL. | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
18/09/2008
Le mystère de la Trinité et ce qu'il entraîne quant au mystère de la création.
11:27 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans MAURICE ZUNDEL. | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
17/09/2008
La prière, c'est se laisser prendre par Dieu.
20:02 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans MAURICE ZUNDEL. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |
Dieu est l'éternel ineffable.
« Si Dieu est une réalité, il faut que nous la trouvions au coeur de notre vie.
11:24 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans MAURICE ZUNDEL. | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | Imprimer | | del.icio.us | | Digg | | Facebook | |