CHARTE
du Comité Protestant évangélique pour la Dignité Humaine
PREAMBULE
Membres de différentes communautés protestantes, nous sommes des chrétiens évangéliques, qui avons tous le souci de rendre témoignage de Jésus-Christ, non seulement par la proclamation de l'Evangile, mais aussi par des changements profonds dans la vie des individus comme dans les structures sociales.
Nous partageons les convictions exprimées dans la Déclaration de Lausanne et le Manifeste de Manille, en particulier les suivantes : "Chaque être humain devrait être respecté, servi et non exploité... Le message du salut implique aussi un message de jugement sur toute forme d'aliénation, d'oppression, de discrimination" (Déclaration de Lausanne). "Nous reconnaissons les implications sociales inéluctables du message biblique. La mission véritable est toujours incarnée. Elle doit pénétrer avec humilité dans le monde des autres, s'identifier à leur situation sociale, leurs peines et leurs souffrances et leur combat pour la justice contre les puissances oppressives" (Manifeste de Manille).
Nous nous réjouissons de constater, chez de nombreux chrétiens évangéliques, la prise de conscience que leur vision a été jusqu'ici trop étroite, la conviction qu'aucun domaine de la vie humaine n'est indifférent à Dieu et ne doit lui échapper, ainsi qu'un intérêt croissant pour les questions éthiques et sociales. Ce souci d'un témoignage évangélique au sein du monde dans lequel le Seigneur nous a envoyés demande de notre part lucidité, courage et amour. C'est pourquoi nous nous associons pour réfléchir ensemble aux implications éthiques de l'Evangile dans le monde contemporain et pour faire connaître à tous la volonté de Dieu, qui est bonne, agréable et parfaite, pour tous les domaines de l'existence humaine.
OBJECTIFS
Nos objectifs peuvent se résumer par les mots : REFLECHIR et COMMUNIQUER.
REFLECHIR
À la lumière de l'Ecriture :
Notre réflexion doit garder le souci permanent de rester conforme à la Parole de Dieu. Elle est l'autorité suprême à laquelle doivent se soumettre nos pensées et nos actes. Sans l'éclairage qu'elle nous donne, nous ne pouvons espérer discerner quel comportement Dieu attend de nous dans les différents domaines de notre vie.
Mais nous ne prétendons pas tirer de l'Ecriture des solutions toutes faites, des réponses figées d'ordre moral ou politique aux problèmes que rencontre l'humanité. Il a plu à Dieu de se révéler au travers d'une longue histoire. Il a parlé "à bien des reprises et de bien des manières". Sa Parole a parfois des échos surprenants, difficilement applicables tels quels à notre situation contemporaine, parce qu'elle s'adresse à des hommes vivant dans des situations très diverses. Cependant, nous croyons que nous pouvons trouver dans l'Ecriture des repères sûrs, qui nous permettent de nous orienter, quelle que soit la situation socio-historique que nous rencontrons.
Nous sommes également conscients que la Bible est avant tout une bonne nouvelle, celle de l'Evangile de Jésus-Christ, avant d'être un manuel de morale. Le cœur du projet de Dieu et de sa volonté nous est donné en Christ. Nous devons donc veiller à ce que notre réflexion se réfère constamment à l'Evangile, source de transformations personnelles et sociales. Les changements de comportement que Dieu désire voir se produire sont les conséquences d'une nouvelle relation à Jésus-Christ, et non simplement l’œuvre d'hommes de bonne volonté. Nous devons donc nous garder d'un discours moralisateur, qui s'adresse aux hommes comme si tous pouvaient connaître la volonté de Dieu et y obéir, sans passer par une conversion. Historiquement, l'enseignement de l'Eglise a souvent été rejeté parce que perçu comme provenant de donneurs de leçons, qui affichent leur supériorité en culpabilisant les autres et en les enfermant dans un carcan moral.
Cela ne veut pas dire qu'aucune morale n'est possible en dehors de la foi en Christ. Dieu veille sur sa création et ne prive pas les humains de tout discernement du bien et du mal, afin qu'ils ne se détruisent pas les uns les autres. Nous pouvons nous réjouir de tout ce qui, dans la vie des individus et des nations, va dans le sens de la justice et de la paix. Et nous devons y contribuer. Mais nous restons conscients que, dans un monde pécheur, tout progrès n'est que relatif, tout comportement garde une part d'impureté, toute institution humaine est imparfaite.
Nous devons nous garder d'un moralisme pharisien pour une autre raison. L'éthique chrétienne n'est pas une morale toute faite, où tout est réglé d'avance, où il suffit de savoir ce qui est permis ou défendu. Jésus et ses apôtres nous appellent plutôt au discernement, à un comportement responsable. L'Ecriture nous donne des repères pour grandir en discernement et exercer notre responsabilité dans la société. Avec l'apport des autres et nos expériences :
Nous sommes conscients de ne pas être les seuls à nous préoccuper des questions éthiques qui se posent à nos sociétés modernes. Cela doit nous inciter à ne pas travailler en vase clos comme si nous possédions le monopole de la science et de la sagesse en ce domaine. Nous devons tenir compte des réflexions d'autres personnes et d'autres groupes chrétiens qui se préoccupent des mêmes questions (Comités d'éthique, par exemple) et à rechercher le dialogue avec eux.
D'autre part, nous devons veiller à ce que notre réflexion ne reste pas purement théorique, mais qu'elle prenne en compte la réalité humaine sur laquelle les connaissances scientifiques, sociologiques et psychologiques peuvent jeter un éclairage. Si l'expérience vécue n'a pas par elle-même un caractère normatif, elle peut enrichir notre compréhension des situations et nous garder de nous satisfaire de belles déclarations de principe, désincarnées, sans rapport avec ce que vivent concrètement nos contemporains.
Devant certains problèmes suscités par des changements scientifiques ou sociaux, il se peut que nos analyses diffèrent et que nous ne parvenions pas tous à une même position. Nous devons être prêts à nous écouter les uns les autres et à confronter nos points de vue, sans jeter d'anathème sur les autres.
Les yeux ouverts sur le monde :
Pour bien discerner les implications éthiques de l'Evangile aux problèmes qui se posent dans la société contemporaine, nous devons faire un effort sérieux d'analyse du monde d'aujourd'hui.
Le caractère pécheur de l'humanité se manifeste dans tous les domaines de la vie humaine personnelle ou collective, parfois en reproduisant des comportements anciens, parfois de façon nouvelle. Notre regard sur le monde et donc notre discours sera nécessairement critique.
Mais nous devrons nous garder d'un jugement trop systématiquement négatif (par exemple, par des comparaisons avec d'autres époques que le temps a embellies et dont nous oublions facilement les faiblesses) et surtout méprisant. La lucidité critique doit aller de pair avec l'écoute et la compréhension. Les humains n'agissent pas de telle ou telle façon parce que c'est mal, mais parce qu'ils croient que c'est bon pour eux, qu'ils y ont intérêt. Il nous faut donc essayer de comprendre le pourquoi de leurs comportements.
Une caractéristique de la société contemporaine est certainement la perte des repères moraux. Nous vivons dans un monde largement déboussolé. Le phénomène le plus marquant de notre époque, selon la majorité des observateurs, est "l'émergence et le développement d'un besoin d'expression individuelle et de liberté de choix à tous les niveaux". La valeur suprême est l'épanouissement de soi, l'accomplissement personnel. Il en résulte une relativisation de toutes les règles morales jusqu'ici plus ou moins acceptées, sinon mises en pratique, et une méfiance à l'égard de toutes les autorités qui veulent régenter la vie humaine.
Le slogan "à chacun sa vérité" peut servir de justification à des comportements que la Parole de Dieu déclare inacceptables. Nous devrons donc souvent nous opposer à des idées largement reçues et "dénoncer les oeuvres stériles des ténèbres". Mais il nous faut veiller à ne pas considérer seulement les symptômes, les manifestations les plus visibles, en oubliant les causes profondes, les mentalités qui les favorisent. Nous devons essayer de discerner les enjeux engagés par telle ou telle pratique, les conséquences qu'elles risquent d'entraîner.
La revendication de liberté et l'individualisme dominant ne détruisent pas tout sens moral. Nos contemporains sont capables de s'indigner devant des injustices flagrantes et beaucoup d'entre eux sont prêts à agir pour y remédier. Aujourd'hui, comme toujours, les humains sont des êtres contradictoires. Beaucoup de ceux qui tiennent à leur liberté morale souffrent de se trouver privés de boussole et de ne pas trouver de repères qui leur permettraient de donner un sens à leur vie, un autre sens que la recherche du bien-être matériel et du divertissement. Il y a là une attente, plus ou moins consciente, à laquelle nous devons répondre.
Dans notre travail d'analyse de la société moderne, nous ne devons pas oublier que nous sommes nous-mêmes membres de cette société et que nous respirons aussi l'air du temps. Si l'Evangile nous appelle au non-conformisme par rapport au monde, il ne nous autorise pas à croire que nous sommes totalement libérés à cet égard. Nous devons donc aussi garder un regard critique sur nos propres jugements et ne pas prétendre à l'infaillibilité, ni même à une supériorité morale indiscutable.
COMMUNIQUER
Nous croyons devoir partager avec d'autres le fruit de notre réflexion. Nous ne travaillons pas seulement pour nous-mêmes. Notre désir est de parvenir à éclairer la conscience du plus grand nombre, afin que chacun agisse de manière informée et responsable. Nous voulons donc faire connaître les conclusions de notre réflexion et cela, en nous adressant à trois catégories de personnes (qui se recoupent partiellement) : les chrétiens, l'ensemble des individus, les décideurs de la société.
Aux chrétiens, nous rappellerons leur vocation à vivre selon l'amour, à l'image du Christ et cela, dans tous les domaines de l'existence humaine, individuelle ou collective. Nous attirerons leur attention sur les repères de la Parole de Dieu qui nous font comprendre ce qu'aimer veut dire et comment mettre en pratique cet amour dans les réalités de la vie. Nous devrons nous garder aussi bien du légalisme rigide que du relativisme moral. Nous veillerons à informer, expliquer, faire comprendre pour permettre à chacun de discerner les enjeux des situations qui le placent devant des choix éthiques et l'aider à se déterminer de façon responsable. Nous leur rappellerons aussi leur vocation à être "le sel de la terre", à ne pas se désintéresser de la société dans laquelle ils vivent, mais au contraire à travailler à son bien. Nous rechercherons la collaboration des pasteurs pour communiquer aux chrétiens les convictions que nous tenons de l'Ecriture.
A l'ensemble des hommes, nous ferons connaître la volonté de Dieu révélée dans sa Parole et nous chercherons à leur montrer comment elle s'applique dans des situations concrètes. Nous affirmons notre souci de respecter et faire respecter la liberté de conscience de tous les humains. Nous nous efforcerons de les convaincre de la valeur et de la pertinence des repères que nous donne l'Ecriture : ce ne sont pas des entraves arbitraires, mais des balises qui nous tracent un chemin de vie, de liberté et de justice. Cela nous amènera inévitablement à "dénoncer le mal et l'injustice où qu'ils soient". Nous devrons veiller à le faire non dans un esprit de jugement, mais avec amour, en avertissant plutôt qu'en condamnant, en attirant l'attention de nos contemporains sur les conséquences néfastes de certains choix de vie et de société. Nous ne devons pas nous contenter de déclarations négatives sans proposer un autre chemin, une alternative chrétienne, ou tout au moins des repères pour trouver ce chemin.
Aux décideurs (gouvernants, législateurs, responsables d'opinion, etc.), nous ferons connaître les exigences de justice et de paix que nous donne la Parole de Dieu. Nous les mettrons en garde contre les dangers du pouvoir et les idoles qui pervertissent la vie des nations. Nous leur rappellerons, avec respect et douceur, qu'ils sont eux-mêmes responsables devant Dieu de l'usage qu'ils font de l'autorité qui leur est donnée.
Nous n'oublierons pas que le rôle de l'Eglise n'est pas de contrôler ou de diriger la société, mais de témoigner de sa foi et de ses convictions et de faire entendre la Parole de Dieu. Nous vivons dans un monde pécheur et, par conséquent, nous ne pouvons exiger, ni même attendre de ce monde qu'il agisse en pleine conformité avec la volonté de Dieu. La loi est nécessaire "à cause de la dureté du cœur humain". Mais cette dureté entraîne ce qu'on a appelé "le tragique de l'action", c'est-à-dire l'impossibilité de réaliser tous les idéaux à la fois. Toute législation, toute politique est de l'ordre du relatif, et non de l'absolu.
Mais en même temps, nous rappellerons la valeur permanente des commandements de Dieu pour indiquer à toute communauté humaine la direction à suivre et l'objectif à poursuivre.
Certes, le protestantisme évangélique reste minoritaire dans les pays d'Europe francophone. Notre voix aura peut-être du mal à se faire entendre. Toutefois, cela ne doit pas nous amener à nous taire, mais à faire preuve de sagesse dans nos efforts de communication, en ne refusant à priori aucun moyen pour que notre message soit entendu (déclarations publiques, lettres aux autorités, articles dans la presse, etc.), aussi bien à l'échelon local que régional, national ou international.
ANNEXE
Extraits de la Déclaration de Lausanne et du Manifeste de Manille concernant les implications sociales de l'Evangile.
« Nous affirmons que Dieu est à la fois le Créateur et le Juge de tous les hommes : nous devons par conséquent désirer comme lui que la justice règne dans la société, que les hommes se réconcilient et qu'ils soient libérés de toutes les sortes d'oppression. L'homme étant créé à l'image de Dieu, chaque personne humaine possède une dignité intrinsèque, quelles que soient sa religion ou la couleur de sa peau, sa culture, sa classe sociale, son sexe ou son âge ; c'est pourquoi chaque être humain devrait être respecté, servi et non exploité. . . Le message du salut implique aussi un message de jugement sur toute forme d'aliénation, d'oppression et de discrimination. Nous ne devons pas craindre de dénoncer le mal et l'injustice où qu'ils soient. Lorsque les hommes acceptent Christ, ils entrent par la nouvelle naissance dans son Royaume et doivent rechercher, non seulement à refléter sa justice, mais encore à la répandre dans un monde injuste. Le salut dont nous nous réclamons devrait nous transformer totalement dans notre façon d'assumer nos responsabilités personnelles et sociales. La foi sans les oeuvres est morte » (Déclaration de Lausanne).
« L'Evangile authentique doit se manifester par des vies transformées. Un service plein d'amour doit accompagner notre proclamation de l'amour de Dieu et la mise en pratique de ses exigences de justice et de paix doit accompagner notre annonce du royaume de Dieu. . . La proclamation du Royaume de Dieu exige la dénonciation prophétique de tout ce qui est incompatible avec lui. Parmi les maux que nous regrettons vivement, citons la violence sous toutes ses formes, y compris la violence institutionnalisée, la corruption politique, l'exploitation des personnes et l'usage abusif des ressources terrestres, la destruction de la famille, l’avortement, le trafic de drogues et le mépris des droits de l'homme. Dans notre souci des pauvres, nous sommes angoissés par le poids de la dette des pays du Tiers-monde (qui constituent les deux tiers du monde !). Nous sommes aussi scandalisés par les conditions dans lesquelles vivent des millions de personnes qui portent, comme nous, l'image de Dieu... La liberté de "professer, pratiquer et propager" sa religion, selon la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, est un droit qui peut et doit être mutuellement reconnu... Notre engagement permanent dans l'action sociale ne nous fait pas confondre Royaume de Dieu et société christianisée. Il signifie plutôt que nous reconnaissons les implications sociales inéluctables du message biblique. La mission véritable est toujours incarnée. Elle doit pénétrer avec humilité dans le monde des autres, s'identifier à leur situation sociale, leurs peines et leurs souffrances et leur combat pour la justice contre les puissances oppressives. Cela ne peut se faire sans sacrifices personnels.
L'étroitesse de notre vision, nous nous en repentons, nous a empêché de proclamer la seigneurie de Jésus-Christ sur tous les domaines de la vie, privée et publique, locale et globale. Nous sommes résolus à lui obéir et à "chercher premièrement le Royaume de Dieu et sa justice
». (Manifeste de Manille).